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Chaque fois que tu seras tenté d'en sortir, dis en toi-même : "Que je fasse encore une bonne action avant de mourir." Puis va chercher quelque indigent à secourir, quelque infortuné à consoler, quelque opprimé à défendre. Si cette considération te retient aujourd'hui, elle te retiendra demain, aprèsdemain, toute ta vie. J.-J. Rousseau.

LE LEPREUX.

Pourquoi, me disais-je, la lumière me fut-elle accordée ? pourquoi la nature n'est-elle injuste et marâtre que pour moi? Semblable à l'enfant déshérité, j'ai sous les yeux le riche patrimoine de la famille humaine, et le ciel avare m'en refuse ma part. Non, non, m'écriai-je enfin dans un accès de rage, il n'est pas de bonheur pour toi sur la terre; meurs, infortuné, meurs ! assez longtemps tu as souillé la terre par ta présence; puisse-t-elle t'engloutir vivant et ne laisser aucune trace de ton odieuse existence ! Ma fureur, insensée s'augmentant par degrés, le désir de me détruire s'empara de moi et fixa toutes mes pensées. Je conçus enfin la résolution d'incendier ma retraite et de m'y laisser consumer avec tout ce qui aurait pu laisser quelque souvenir de moi. Agité, furieux, je sortis dans la campagne, j'errai quelque temps dans l'ombre autour de mon habitation; des hurlements involontaires sortaient de ma poitrine oppressée et m'effrayaient moi-même dans le silence de la nuit. Je rentrai plein de rage dans ma demeure en criant malheur à toi, lépreux! malheur à toi! et comme si tout avait dû contribuer à ma perte, j'entendis l'écho qui, du milieu des ruines du château de Bramafan, répéta distinctement: Malheur à toi! Je m'arrêtai, saisi d'horreur, sur la porte de la tour, et l'écho faible de la montagne répéta longtemps après: Malheur à toi!

Je pris une lampe, et, résolu de mettre le feu à mon habita

tion, je descendis dans la chambre la plus basse, emportant avec moi des sarments et des branches sèches: c'était la chambre qu'avait habitée ma sœur, et je n'y étais plus rentré depuis sa mort; son fauteuil était encore placé comme je l'en avais retirée pour la dernière fois. Je sentis un frisson de crainte en voyant son voile et quelques parties de ses vêtements epars dans la chambre; les dernières paroles qu'elle avait prononcées avant d'en sortir se retracèrent à ma pensée : "Je ne t'abandonnerai pas en mourant, me disait-elle, souvienstoi que je serai présente dans tes angoisses." En posant la lampe sur la table, j'aperçus le cordon de la croix qu'elle portait à son cou, et qu'elle avait placée elle-même entre deux feuillets de sa Bible. A cet aspect, je reculai plein d'un saint. effroi. La profondeur de l'abîme où j'allais me précipiter se présenta tout à coup à mes yeux dessillés; je m'approchai en tremblant du livre sacré : "Voilà, voilà, m'écriai-je, le secours qu'elle m'a promis !" et comme je retirais la croix du livre, j'y trouvai un écrit cacheté que ma bonne sœur y avait laissé pour moi. Mes larmes, retenues jusqu'alors par la douleur, s'échappèrent en torrents; tous mes funestes projets s'évanouirent à l'instant: je pressai longtemps cette lettre précieuse sur mon cœur avant de pouvoir la lire, et me jetant à genoux pour implorer la miséricorde divine, je l'ouvris, et j'y lus en sanglotant ces paroles qui seront éternellement gravées dans mon cœur: "Mon frère, je vais bientôt te quitter; mais je ne t'abandonnerai pas. Du haut du ciel, où j'espère aller, je veillerai sur toi; je prierai Dieu qu'il te donne le courage de supporter la vie avec résignation, jusqu'à ce qu'il lui plaise de nous réunir dans un autre monde; alors je pourrai te montrer toute mon affection, rien ne m'empêchera plus de t'approcher, et rien ne pourra nous séparer. Je te laisse la petite croix que j'ai portée toute ma vie, elle m'a souvent consolée dans mes peines, et mes larmes n'eurent jamais d'autre témoin qu'elle. Rappelle-toi quand tu la verras, que

mon dernier vœu fut que tu puisses vivre et mourir en bon chrétien."

Lettre chérie elle ne me quittera jamais, je l'emporterai avec moi dans la tombe; c'est elle qui m'ouvrira les portes du ciel que mon crime devait me fermer à jamais. En achevant de la lire, je me sentis défaillir, épuisé par tout ce que je venais d'éprouver. Je vis un nuage se répandre sur ma vue, et, pendant quelque temps, je perdis à la fois le souvenir de mes maux et le sentiment de mon existence. Lorsque je

revins à moi, la nuit était avancée. A mesure que mes idées s'éclaircissaient, j'éprouvai un sentiment de paix indéfinissable. Tout ce qui s'était passé dans la soirée, me paraissait un rève. Mon premier mouvement fut de lever les yeux vers le ciel pour le remercier de m'avoir préservé du plus grand des malheurs. Jamais le firmament ne m'avait paru si serein et si beau: une étoile brillait devant ma fenêtre ; je la contemplai longtemps avec un plaisir inexprimable, en remerciant Dieu de ce qu'il m'accordait encore le plaisir de la voir, et j'éprouvais une secrète consolation à penser qu'un de ses rayons était cependant destiné pour la triste cellule du lépreux. Je remontai chez moi plus tranquille. J'employai le reste de la nuit à lire le livre de Job, et le saint enthousiasme qu'il fit passer dans mon âme finit par dissiper entièrement les noires idées qui m'avaient obsédé. X. de Maistre.

DE LA GUERRE DANS L'ORDRE PROVIDENTIEL. La terre entière, continuellement imbibée de sang, n'est qu'un autel immense où tout ce qui vit doit être immolé sans fin, sans mesure, sans relâche, jusqu'à la consommation des choses, jusqu'à l'extinction du mal, jusqu'à la mort de la mort. Mais l'anathème doit frapper plus directement et plus visiblement sur l'homme l'ange exterminateur tourne comme

le soleil autour de ce globe malheureux, et ne laisse respirer une nation que pour en frapper d'autres. Mais lorsque les crimes se sont accumulés jusqu'à un point marqué, l'ange presse sans mesure son vol infatigable. Pareil à la torche ardente tournée rapidement, l'immense vitesse de son mouvement le rend présent à la fois sur tous les points de sa redoubtable orbite. Il frappe au même instant tous les peuples de la terre; d'autres fois, ministre d'une vengeance précise et infaillible, il s'acharne sur certaines nations et les baigne dans le sang. N'attendez pas qu'elles fassent aucun effort pour échapper à leur jugement ou pour l'abréger. On croit voir les grands coupables, éclairés par leur conscience, qui demandent le supplice et l'acceptent pour y trouver l'expiation. Tant qu'il leur restera du sang, elles viendront l'offrir; et bien tôt une rare jeunesse se fera raconter ces guerres désolatrices produites par les crimes de leurs pères.

La guerre est donc divine en elle-même, puisque c'est une loi du monde.

La guerre est divine dans la protection accordée aux grands capitaines, même aux plus hasardeux qui sont rarement frappés dans les combats, et seulement lorsque leur renommée ne peut plus s'accroître et que leur mission est remplie.

La guerre est divine dans ses résultats qui échappent absolument aux spéculations de la raison humaine: car ils peuvent être tout différents entre deux nations, quoique l'action de la guerre se soit montrée égale de part et d'autre. Il y a des guerres qui avilissent les nations, et les avilissent pour des siècles; d'autres les exaltent, les perfectionnent de toutes manières, et remplissent même bientôt, ce qui est fort extraordinaire, les pertes momentanées par un surcroit de population. L'histoire nous montre souvent le spectacle d'une population riche et croissante au milieu des combats les plus meurtriers; mais il y a des guerres vicieuses, des guerres de malédiction, que la conscience reconnaît bien mieux que le raisonnement; les

nations en sont blessées à mort et dans leur puissance et dans leur caractère; alors vous pourrez voir le vainqueur même dégradé, appauvri et gémissant au milieu de ses tristes lauriers, tandis que sur les terres du vaincu, vous ne trouverez après quelque temps, pas un atelier, pas une charrue qui demande un homme.

Enfin la guerre est divine par l'indéfinissable force qui en détermine le succès. . . . Toujours il y a un certain équilibre dans l'univers politique, et même il ne dépend pas de l'homme de le rompre; voilà pourquoi les coalitions sont si difficiles; si elles ne l'étaient pas, la politique étant si peu gouvernée par la justice, tous les jours on s'assemblerait pour détruire une puissance; mais ces projets réussissent peu, et le faible même leur échappe avec une facilité qui étonne l'histoire. Une coalition entre plusieurs souverains, faite sur les principes d'une morale pure et désintéressée, serait un miracle. Dieu qui ne le doit à personne et qui n'en fait pas d'inutiles, emploie pour établir l'équilibre, des moyens plus simples; tantôt le géant s'égorge lui-même, tantôt une puissance jette sur son chemin un obstacle imperceptible, mais qui grandit ensuite on ne sait comment, et devient insurmontable; comme un faible rameau, arrêté dans le courant d'un fleuve, produit enfin un atterrissement qui le détourne.

J. de Maistre.

LA PAPAUTE.

FELIX (JOSEPH).

1810-1891.

Le P. Félix, jésuite, a été l'un des plus remarquables prédicateurs et conférenciers de nos jours. Il occupa la chaire de Notre-Dame, à Paris, de 1853 à 1878. Le Progrès par le Christianisme fut le thème qu'il développa, pendant ces 25 ans, avec une ampleur de vue égale à sa science.

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