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O généreux sanglot qu'il ne peut retenir!
Que dira Ferdinand, l'Europe, l'avenir?

Il la donne à son roi, cette terre féconde;
Son roi va le payer des maux qu'il a soufferts:
Des trésors, des honneurs en échange d'un monde,
Un trône. Ah! c'était peu ! Que reçut-il? des fers.

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UN NID D'OISEAU.

SOUVESTRE (EMILE).

1806-1854.

Emile Souvestre a peu écrit; mais tout ce qu'il a écrit mérite d'être connu. Il est aussi moral qu'aimable.

De ce buisson de fleurs approchons-nous ensemble.
Vois-tu ce nid posé sur la branche qui tremble?
Pour le couvrir vois-tu ces rameaux se ployer?

Les petits sont cachés dans leur couche de mousse;

Ils sont tous endormis. . . . Oh! viens, ta voix est douce,
Ne crains pas de les effrayer.

De ses ailes encor la mère les recouvre,
Son œil appesanti se referme et s'entr'ouvre,
Et son amour longtemps lutte avec le sommeil ;
Elle s'endort enfin. . . . Vois comme elle repose!
Elle n'a rien pourtant qu'un nid sous une rose,
Et sa part de notre soleil.

Vois, il n'est point de vide en son étroit asile:
A peine s'il contient sa famille tranquille;
Mais là, le jour est pur et le sommeil est doux,
C'est assez! Elle n'est ici que passagère,
Chacun de ses petits peut réchauffer son frère,
Et son aile les couvre tous.

LE VOYAGEUR RECUEILLI PAR LA RELIGION.

CHÊNEDOLLÉ (Charles).

1769-1833.

Chênedollé s'est montré fidèle aux traditions normandes. Il a écrit le Génie de l'homme, poème philosophique et descriptif, divisé en quatre chants, pour réfuter les doctrines du Contrat Social. Il a écrit aussi le poème de l'Invention, de l'Esprit de Rivarol, les Etudes poétiques. Son style est pur et harmonieux.

La neige, au loin accumulée,

A torrents épaissis tombe du haut des airs,

Et, sans relâche amoncelée,

Couvre du Saint-Bernard les vieux sommets déserts.

Plus de route: tout est barrière.

L'ombre accourt; et déjà, pour la dernière fois,
Sur la cime inhospitalière,

Dans les vents de la nuit l'aigle a jeté sa voix.

A ce cri d'effroyable augure,

Le voyageur transi n'ose plus faire un pas;
Mourant et vaincu de froidure,

Au bord d'un précipice il attend le trépas.

C'en est fait ! son heure dernière
Se mesure pour lui dans ces terribles lieux,
Et, couvrant sa froide paupière,

Un funeste sommeil déjà ferme ses yeux.

Soudain, ô surprise! ô merveille!
D'une cloche il a cru reconnaître le bruit.
Le bruit augmente à son oreille;

Une clarté subite a brillé dans la nuit.

Tandis qu'avec peine il écoute,

A travers la tempête un autre bruit s'entend;
Un chien jappe, et, s'ouvrant la route,
Suivi d'un solitaire, approche au même instant.

Le chien, en aboyant de joie,
Frappe du voyageur les regards éperdus;
La mort laisse échapper sa proie,
Et la charité compte un miracle de plus.

VOYAGE DANS L'ILE DES PLAISIRS.

Après avoir longtemps vogué sur la mer Pacifique, nous aperçûmes de loin une île de sucre avec des montagnes de compote, des rochers de sucre candi et de caramel, et des rivières de sirop qui coulaient dans la campagne. Les habitants, qui étaient fort friands, léchaient tous les chemins, et suçaient leurs doigts après les avoir trempés dans les fleuves. Il y avait aussi des forêts de réglisse, et de grands arbres d'où tombaient des gaufres, que le vent emportait dans la bouche des voyageurs, si peu qu'elle fût ouverte. Comme tant de douceurs nous parurent fades, nous voulûmes passer en quelque autre pays où l'on pût trouver de mets d'un goût plus relevé. On nous assura qu'il y avait, à dix lieues de là, une autre île où il y avait des mines de jambons, de saucisses et de ragoûts poivrés. On les creusait comme on creuse les mines d'or dans le Pérou. On y trouvait aussi des ruisseaux de sauces à l'oignon. Les murailles des maisons sont de croûte de pâté. Il y pleut du vin couvert, quand le temps est chargé; et, dans les plus beaux jours, la rosée du matin est toujours de vin blanc semblable au vin grec ou à celui de Saint-Laurent. Pour passer dans cette île, nous fîmes mettre sur le port de celle d'où nous voulions partir douze hommes

d'une grosseur prodigieuse, et qu'on avait endormis: ils soufflaient si fort en ronflant, qu'ils remplirent nos voiles d'un vent favorable. A peine fûmes-nous arrivés dans l'autre île, que nous trouvâmes sur le rivage des marchands qui vendaient de l'appétit; car on en manquait souvent parmi tant de ragoûts. Il y avait aussi d'autres gens qui vendaient le sommeil Le prix en était réglé à tant par heure; mais il y avait des sommeils plus chers les uns que les autres, à proportion des songes qu'on voulait avoir. Les plus beaux songes étaient fort chers. J'en demandai des plus agréables pour mon argent; et, comme j'étais las, j'allai d'abord me coucher. Mais à peine fus-je dans mon lit, que j'entendis un grand bruit; j'eus peur, et je demandai du secours. On me dit que c'était la terre qui s'entr'ouvrait. Je crus être perdu; mais on me rassura, en me disant qu'elle s'entr'ouvrait ainsi toutes les nuits à une certaine heure, pour vomir avec grand effort des ruisseaux bouillants de chocolat moussé, et des liqueurs glacées de toutes les façons. Je me levai à la hâte pour en prendre, et elles étaint délicieuses. Ensuite je me recouchai, et dans mon sommeil, je crus voir que tout le monde était de cristal, que les hommes se nourrissaient de parfums quand il leur plaisait, qu'ils ne pouvaient marcher qu'en dansant, ni parler qu'en chantant, qu'ils avaient des ailes pour fendre les airs et des nageoires pour passer les mers. Mais ces hommes étaint comme des pierres à fusil: on ne pouvait les choquer qu'aussitôt ils ne prissent feu. Ils s'enflammaient comme une mèche, et je ne pouvais m'empêcher de rire, voyant combien ils étaient faciles à émouvoir. Je voulus demander à l'un d'eux pourquoi il paraissait si animé : il me répondit, en me montrant le poing, qu'il ne se mettait jamais en colère.

A peine fus-je éveillé, qu'il vint un marchand d'appétit, me demandant de quoi je voulais avoir faim, et si je voulais qu'il me vendît des relais d'estomacs pour manger toute la journée. J'acceptai la condition. Pour mon argent, il me donna douze

petits sachets de taffetas que je mis sur moi, et qui devaient me servir comme douze estomacs, pour digérer sans peine douze grands repas en un jour A peine eus-je pris les douze sachets, que je commençai à mourir de faim. Je passai ma journée à faire douze festins délicieux. Dès qu'un repas était

fini, la faim me reprenait, et je ne lui donnais pas le temps de me presser. Mais comme j'avais une faim avide, on remarqua que je ne mangeai pas proprement: les gens du pays sont d'une délicatesse et d'une propreté exquises. Le soir, je fus lassé d'avoir passé toute la journée à table, comme un cheval à son ratelier. Je pris la résolution de faire tout le contraire le lendemain, et de ne me nourir que de bonnes odeurs. On me donna à déjeuner de la fleur d'orange. A dîner, ce fut une nourriture plus forte: on me servit des tubéreuses et puis des peaux d'Espagne, je n'eus que des jonquilles à la collation. Le soir, on me donna à souper de grandes corbeilles pleines de toutes les fleurs odoriférantes, et on y ajouta des cassolettes de toutes sortes de parfums. La nuit, j'eus une indigestion, pour avoir trop senti tant d'odeurs nourrissantes. Le jour suivant, je jeûnai pour me délasser de la fatigue des plaisirs de la table. On me dit qu'il y avait en ce pays-là une ville toute singulière, et on me promit de m'y mener dans une voiture qui m'était tout à fait inconnue. On me mit dans une petite chaise de bois fort léger et toute garnie de grandes plumes, et on attacha à cette chaise, avec des cordes de soie, quatre grands oiseaux, grands comme des autruches qui avaient des ailes proportionnées à leur corps. Ces oiseaux prirent d'abord leur vol. Je conduisis les rênes du coté de l'Orient, qu'on m'avait marqué. V Je voyais à mes pieds les hautes montagnes, et nous volâmes si rapidement, que je perdais presque haleine en fendant la vague de l'air. En une heure nous arrivâmes à cette ville si renommée. Elle est toute de marbre, et elle est grande trois fois comme Paris. Toute la ville n'est qu'une seule maison. Il y a vingt-quatre

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