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de vos corrections qui montre que vous voyez ce qui en est mais je vous demande pardon si le zèle m'a emporté à vous écrire si librement toutes mes pensées, et je vous prie de me croire, etc.

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AU R. P. MERSENNE .

(Lettre 96 du tome II.)

MON RÉVÉREnd père,

Il faudroit que je fusse fort las de vivre si je négligeois de me conserver, après avoir lu vos dernières, où vous me mandez que vous et quelques autres personnes de très grand mérite ont un tel soin de moi, que vous avez peur que je ne sois malade lorsque vous êtes plus de quinze jours sans recevoir de mes lettres ; mais il y a trente ans que je n'ai eu, grâces à Dieu, aucun mal qui méritât d'être appelé mal; et pourceque l'âge m'a ôté cette chaleur de foie qui me faisoit autrefois aimer les armes, et que je ne fais plus profession que de poltronnerie, et aussi que j'ai acquis quelque peu de connoissance en la médecine, et que je me sens

1 << Cette lettre est la quatrième des manuscrits de Lahire, et fixement » datée du 9 janvier 1639. »

vivre, et me tâte avec autant de soin qu'un riche vieillard', il me semble quasi que je suis maintenant plus loin de la mort que je n'étois en ma jeunesse. Et si Dieu ne me donne assez de science pour éviter les incommodités que l'âge apporte, j'espère qu'il me laissera au moins assez long-temps en cette vie pour me donner loisir de les souffrir. Toutefois, le tout dépend de sa providence, à laquelle, raillerie à part, je me soumets d'aussi bon cœur que puisse avoir fait le père Joseph; et l'un des points de ma morale est d'aimer la vie sans craindre la mort.

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Je vous suis extrêmement obligé de la peine que vous prenez de corriger les fautes de mes essais, mais j'ai quasi peur qu'elle soit superflue; car vu le peu d'exemplaires que le libraire dit en avoir vendu, je ne vois pas grande apparence qu'il les doive imprimer une seconde fois. Vous avez raison qu'en la page 66, ligne 4, il faut lire il pour objet, mais en la page 125, ligne 1, j'ai mis mesure, c'est-à-dire temps ou cadence, au sens qu'on le prend en musique.

J'approuve bien la façon que vous proposez pour peser la sphère de l'air, pourvu qu'elle soit praticable; mais il ne me semble pas qu'on puisse avoir deux corps plats d'aucune matière qui soient si durs, si polis, et qui se rapportent si exactement

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l'un à l'autre, qu'il ne demeure aucun air entre deux. Et je ne vois point du tout de difficulté en votre objection; car si A est parfaitement joint à B, on ne l'en peut séparer en le tirant en haut perpendiculairement que toutes les parties de la superficie inférieure de ce corps A ne s'éloignent en même instant de celles de la superficie supérieure du corps B, et pourceque l'air ne peut entrer en un instant en l'espace qu'elles laissent entre elles lorsqu'on les sépare, cet espace est nécessairement vide d'air en cet instant-là, ce qui est cause qu'on doit alors sentir la pesanteur de toute la colonne d'air qui est au-dessus. Mais il n'arrive rien de semblable lorsqu'on tire de biais A vers D; car la séparation de ces deux corps se faisant alors successivement, l'air entre sans difficulté en la place qu'ils laissent.

Si vous voulez concevoir que Dieu ôte tout l'air qui est dans une chambre, sans remettre aucun autre corps en sa place, il faut par même moyen que vous conceviez que les murailles de cette chambre se viennent joindre; ou il y aura de la contradiction en votre pensée : car tout de même qu'on ne sauroit imaginer qu'il anéantisse toutes les montagnes de la terre, et que nonobstant cela il y laisse toutes les vallées, ainsi ne peut-on penser qu'il ôte toute sorte de corps, et que nonobstant il laisse de l'espace à l'idée que nous avons du corps ou de la

cause que

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matière en général est comprise en celle que nous avons de l'espace, à savoir que c'est une chose qui est longue, large et profonde, ainsi que l'idée d'une montagne est comprise en celle d'une vallée.

Quand je conçois qu'un corps se meut dans un milieu qui ne l'empêche point du tout, c'est que je suppose que toutes les parties du corps liquide qui l'environne sont disposées à se mouvoir justement aussi vite que lui et non plus, tant en lui cédant leur place, qu'en rentrant en celle qu'il quitte; et ainsi il n'y a point de liqueurs qui ne soient telles, qu'elles n'empêchent point certains mouvements. Mais pour imaginer une matière qui n'empêche aucun des divers mouvements de quelque corps, il faut feindre que Dieu ou un ange agite plus ou moins ses parties, à mesure que ce corps qu'elles environnent se meut plus ou moins vite.

J'ai omis ci-devant à vous mander ce que je crois qui empêche le vide entre les parties de la matière subtile, à cause que je ne le pouvois expliquer qu'en parlant d'une autre matière très subtile, dont je n'ai voulu faire aucune mention en mes essais, afin de la réserver toute pour mon Monde ; mais je vous suis trop obligé pour oser vous taire quelque chose. Je vous dirai donc que j'imagine, ou plutôt que je trouve par démonstration, qu'outre la matière qui compose les corps terrestres, y en a de deux autres sortes, l'une fort subtile, dont

il

les parties sont rondes ou presque rondes, ainsi que des grains de sable, et celle-ci non seulement occupe tous les pores des corps terrestres, mais aussi compose tous les cieux. L'autre, incomparablement plus subtile que celle-là, et dont les parties sont si petites et se meuvent si vite, qu'elles n'ont aucune figure arrêtée, mais prennent sans difficulté à chaque moment celle qui est requise, pour remplir tous les petits intervalles que les autres corps n'occupent point.

Pour entendre ceci, il faut considérer premièrement que plus un corps est petit, cæteris paribus, moins il faut de force pour lui faire changer sa figure; par exemple, ayant deux balles de plomb. d'inégale grosseur, il faudra moins de force pour rendre plate la plus petite, que pour rendre plate la plus grosse, et si elles heurtent l'une contre l'autre, la figure de la plus petite changera le plus. Secondement il est à remarquer que lorsque plusieurs divers corps sont agités tous ensemble, derechef, cæteris paribus, les plus petits reçoivent plus de cette agitation, c'est-à-dire se meuvent plus vite que les plus gros; d'où il suit demonstrative, que puisqu'il y a des corps qui se meuvent en l'univers, et qu'il n'y a point de vide, il faut nécessairement qu'il s'y trouve une telle matière dont les parties soient si petites et se meuvent si extrêmement vite, que la force dont elles rencontrent les autres corps

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