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AU R. P. MERSENNE.

(Lettre 105 du tome III.)

MON RÉVÉREND PÈRE,

Je souhaiterois avec passion de pouvoir contribuer quelque chose au louable dessein qu'a M. de Cavendisch pour faire réussir les lunettes, mais je pense vous avoir déjà écrit ci-devant tout ce que j'en sais : à savoir qu'il y a de la différence entre la théorie et la pratique, en ce que celle-ci ne pouvant atteindre à la perfection de celle-là, on doit se contenter d'en approcher le plus qu'on pourra, et que du reste, il faut principalement avoir soin que les verres soient bien nets, c'està-dire sans ondes ou nuages au dedans, et bien polis, tant du côté qu'on laisse plat que de l'autre. On a réussi quelquefois à faire d'assez bonnes lunettes, en tâchant seulement de faire les verres sphériques, à cause que la figure de tels verres étant petite n'étoit pas sensiblement différente de l'hyperbolique; mais étant plus grands, la différence y est fort sensible, comme vous voyez que le cercle A b C et l'hyperbole d be se touchent pres

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que en un assez long espace vers b, mais que vers A d et C e ils s'éloignent beaucoup. Or toute l'importance est de faire des verres convexes assez grands et bien polis, qui aient à peu près la figure de l'hyperbole; et pour les petits verres, bien que selon la théorie il n'en faille qu'un seul à chaque homme qui lui peut servir pour joindre à tous les verres convexes, selon la pratique il en faut plusieurs de diverses concavités, à cause que la figure du convexe n'étant pas exacte, il faut que celle du concave supplée à ce défaut. Et d'autant que plus le petit verre est concave il reçoit les rayons d'une plus grande partie convexe, comme on peut voir dans la page 85 de ma Dioptrique, et qu'il arrive souvent qu'une petite partie du convexe approche plus de la vraie figure qu'une grande, de là vient que presque toujours les petits verres les moins concaves réussissent mieux pour rendre la vision plus distincte, mais ils n'agrandissent pas tant les objets. Je suis, etc.

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La franchise que j'ai pu remarquer en votre humeur, et les obligations que je vous ai, me convient à écrire ici librement ce que je puis conjecturer du traité des sections coniques, dont le R. P. Mersenne m'a envoyé le projet. Vous pouvez avoir deux desseins qui sont fort bons et fort louables, mais qui ne requièrent pas tous deux

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1 « Cette lettre est de M. Descartes à M. Desargues. Voyez les pages

187 et 448 de ce volume, où l'on parle des coniques de M. Desargues.

» Elle est antérieure à la 96o du même volume, datée fixement le 9 janvier,

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› puisque M. Descartes en parle dans cette lettre 96, pages 442 et 443; et » au même endroit il dit, conformément à ce qu'il avoit écrit à M. Des» argues, page 171 de cette lettre, qu'il n'avoit point répondu à son » billet par les raisons qu'il déduit. Ainsi je fixe cette lettre au 4 janvier 1639. Pour justifier encore que cette lettre est adressée plutôt à M. Des

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» argues qu'à M. Mydorge, il n'y a qu'à faire une réflexion, qu'il est ici

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question d'un traité en notre langue, au lieu que M. Mydorge a écrit ses › coniques en latin. »

même façon de procéder: l'un est d'écrire pour les doctes et de leur enseigner quelques nouvelles propriétés de ces sections qui ne leur soient pas encore connues, et l'autre est d'écrire pour les curieux qui ne sont pas doctes, et de faire que cette matière qui n'a pu jusques ici être entendue que de fort peu de personnes, et qui est néanmoins fort utile pour la perspective, la peinture, l'architecture, etc., devienne vulgaire et facile à tous ceux qui la voudront étudier dans votre livre. Si vous avez le premier, il ne me semble pas qu'il soit nécessaire d'y employer aucuns nouveaux termes; car les doctes étant déjà accoutumés à ceux d'Apollonius, ne les changeront pas aisément pour d'autres, quoique meilleurs, et ainsi les vôtres ne serviroient qu'à leur rendre vos démonstrations plus difficiles, et à les détourner de les lire. Si vous avez le second, il est certain que vos termes qui sont françois, et dans l'invention desquels on remarque de l'esprit et de la grâce, seront bien mieux reçus par des personnes non préoccupées que ceux des anciens, et même ils pourront servir d'attrait à plusieurs pour leur faire lire vos écrits, ainsi qu'ils lisent ceux qui traitent des armoiries, de la chasse, de l'architecture, etc., sans vouloir être ni chasseurs, ni architectes, seulement pour en savoir parler en mots propres. Mais si vous avez cette intention, il faut vous résoudre à composer un

gros livre, et à y expliquer tout si amplement, si clairement et si distinctement, que ces messieurs qui n'étudient qu'en bâillant, et qui ne peuvent se peiner l'imagination pour entendre une proposition de géométrie, ni tourner les feuillets pour regarder les lettres d'une figure, ne trouvent rien en votre discours qui leur semble plus malaisé à comprendre qu'est la description d'un palais enchanté dans un roman. Et à cet effet il me semble que, pour rendre vos démonstrations plus triviales, il ne seroit pas hors de propos d'user des termes et du calcul de l'arithmétique, ainsi que j'ai fait en ma géométrie; car il y a bien plus de gens qui savent ce que c'est que multiplication, qu'il y en a qui savent ce que c'est que composition de rai

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Pour votre façon de considérer les lignes parallèles, comme si elles s'assembloient à un but à distance infinie, afin de les comprendre sous le même genre que celles qui tendent à un point, elle est fort bonne, pourvu que vous vous en serviez, comme je m'assure que vous faites, pour donner à entendre ce qui est obscur en l'une de ces espèces, par le moyen de l'autre, où il est plus clair, et non au contraire. Je n'ajoute rien de ce que vous écrivez du centre de gravité d'une sphère, car j'ai assez mandé ci-devant au R. P. Mersenne ce que j'en pensois, et vous mettez un mot à la fin

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