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devoir être contenus formellement ou éminemment dans sa cause. De même qu'il faudroit répondre à celui qui diroit que chaque homme peut peindre un tableau aussi bien qu'Apelles, puisqu'il ne s'agit que des couleurs diversement appliquées, et que chacun peut les mêler en toutes sortes de manières, il faudroit, dis-je, répondre à cette personne-là, que, lorsque nous parlons de la peinture d'Apelles, nous ne considérons pas seulement en elle un certain mélange de couleurs, mais ce mélange qui est produit par l'art du peintre pour représenter certaines ressemblances des choses, mélange par conséquent qui ne peut être exécuté que par les plus habiles de l'art. Je réponds au second, que, de ce que vous avouez que la pensée est un attribut de la substance qui n'enferme aucune étendue, et qu'au contraire l'étendue est l'attribut de la substance qui n'enferme aucune pensée, il faut par là que vous avouiez aussi que la substance qui pense est distinguée de celle qui est étendue; car nous n'avons point d'autre marque pour connoître qu'une substance diffère de l'autre que de ce que nous comprenons l'une indépendamment de l'autre; et, en effet, Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre clairement; et s'il y a d'autres choses qu'on dit que Dieu ne peut faire, c'est qu'elles impliquent contradiction dans leurs idées, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas

intelligibles. Or nous pouvons comprendre clairement une substance qui pense et qui ne soit pas étendue, et une substance étendue qui ne pense pas, comme vous l'avouez: cela étant, que Dieu lie et unisse ces substances autant qu'il le peut, il ne pourra pas pour cela se priver de sa toutepuissance, ni s'ôter le pouvoir de les séparer, par conséquent elles demeureront distinctes.

Je n'ai pu remarquer dans votre écrit si par Cappadocien vous entendez Lemoine ou Voëtius. J'ai trouvé cela bien. Se l'appliquera qui voudra, mais j'apprends qu'on ne sait pas le pays de Voëtius; ainsi vous lui procureriez un bien de lui assigner la Cappadoce pour patrie. Vous avez beaucoup d'obligation au Moine de ce qu'il grossit votre auditoire. Au reste, j'ai appris de M. P. que vous aviez dessein de nous venir voir; je vous y invite de tout mon cœur, non seulement vous, mais madame votre épouse et mademoiselle votre fille je me ferai un plaisir très sensible de vous recevoir. Les arbres sont déjà revêtus d'un nouveau feuillage, et bientôt nos cerises et nos poires seront mûres. Adieu, et aimez-moi toujours un peu.

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A MONSIEUR *** '.

(Lettre 120 du tome III.)

MONSIEUR,

J'employai la journée d'hier à lire les dialogues de Mundo, que vous m'avez fait la faveur de m'envoyer, mais je n'y ai remarqué aucun lieu où l'auteur ait voulu me contredire: car pour celui où il dit qu'on ne sauroit faire des lunettes d'approche plus parfaites que celles que l'on a déjà, il y parle si avantageusement de moi, que je serois de mauvaise humeur si je le prenois en mauvaise part. Il est vrai qu'en plusieurs autres endroits il a des opinions fort différentes des miennes, mais il ne témoigne pas là qu'il pense à moi, non plus qu'en ceux où il en a de conformes à celles que j'ai ; et j'accorde volontiers aux autres la liberté que je leur demande pour moi, qui est de pouvoir écrire ce que l'on croit être le plus vrai, sans se soucier s'il est conforme ou différent de quelques autres.

Je trouve plusieurs choses fort bonnes dans ses

3 « Cette lettre est adressée à M. de Zuytlichem, du 8 octobre 1642. Voyez-en la raison dans le nouveau cahier. »

trois dialogues; mais pour le second, où il a voulu imiter Galilée, je le trouve trop subtil. Je voudrois bien pourtant qu'on publiât quantité d'ouvrages de cette sorte; car je crois qu'ils pourroient préparer les esprits à recevoir d'autres opinions que celles de l'école, et je ne crois pas qu'ils puissent nuire aux miennes.

Au reste, monsieur, je vous suis doublement obligé de ce que ni votre affliction, ni la multitude des occupations qui, comme je crois, l'accompagnent, ne vous ont point empêché de penser à moi, et de prendre la peine de m'envoyer ce livre. Je sais que vous avez beaucoup d'affection pour vos proches, et que leur perte ne peut manquer de vous être extrêmement sensible; je sais bien aussi que vous avez l'esprit très, fort, et que vous n'ignorez aucun des remèdes qui peuvent servir à adoucir votre douleur; mais je ne saurois m'abstenir de vous en dire un que j'ai trouvé très puissant, non seulement pour me faire supporter la mort de ceux que j'ai le plus aimés, mais aussi pour m'empêcher de craindre la mienne, nonobstant quej'estime assez la vie; il consiste dans la considération de la nature de nos âmes, que je pense connoître si clairement devoir durer après cette vie, et être nées pour des plaisirs et des félicités beaucoup plus grandes que celles dont nous jouissons en ce monde, pourvu que par nos dérèglements nous ne

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nous en rendions point indignes, et que nous ne nous exposions point aux châtiments qui sont préparés aux méchants, que je ne puis concevoir autre chose de la plupart de ceux qui meurent, sinon qu'ils passent dans une vie plus douce et plus tranquille que la nôtre, et que nous les irons trouver quelque jour, même avec la souvenance du passé; car je trouve en nous une mémoire intellectuelle, qui est assurément indépendante du corps: et quoique la religion nous enseigne beaucoup de choses sur ce sujet, j'avoue néanmoins en moi une infirmité, qui m'est, ce me semble, commune avec la plupart des hommes, à savoir, que, nonobstant que nous voulions croire et même que nous pensions croire très fermement tout ce qui nous est enseigné par la religion, nous n'avons pas néanmoins coutume d'être si touchés des choses que la seule foi nous enseigne, et où notre raison ne peut atteindre, que de celles qui nous sont avec cela persuadées par des raisons naturelles fort évidentes. Je suis, etc.

DE LA

VILLE

LYON

FIN DU TOME HUITIÈME.

1893

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