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n'a pas moins en soi les idées de Dieu, de lui-même, et de toutes ces vérités qui de soi sont connues, que les personnes adultes les ont lorsqu'elles n'y pensent point: car il ne les acquiert point par après avec l'âge. Et je ne doute point que s'il étoit dès lors délivré des liens du corps, il ne les dût trouver en soi. Et cette opinion ne nous jette en aucunes difficultés; car il n'est pas plus difficile de concevoir que l'esprit, quoique réellement distingué du corps, ne laisse pas de lui être joint et d'être touché par les vestiges qui sont imprimés en lui, ou même aussi d'en imprimer en lui de nouveaux, qu'il est facile à ceux qui supposent des accidents réels de concevoir (comme ils font d'ordinaire) que ces accidents agissent sur la substance corporelle, encore qu'ils soient d'une nature totalement différente d'elle. Et il ne sert de rien de dire que ces accidents sont corporels : car si par corporel on entend tout ce qui peut, en quelque manière que ce soit, affecter le corps, l'esprit en ce sens devra aussi être dit corporel; mais si par corporel on entend ce qui est composé de cette substance qui s'appelle corps, ni l'esprit ni même ces accidents, que l'on suppose être réellement distingués du corps, ne doivent point être dits corporels : et c'est seulement en ce sens qu'on a coutume de nier que l'esprit soit corporel. Ainsi donc, quand l'esprit étant uni au corps pense à quelque chose de cor

porel, certaines particules du cerveau sont remuées de leur place, quelquefois par les objets extérieurs qui agissent contre les organes des sens, et quelquefois par les esprits animaux qui montent du cœur au cerveau; mais quelquefois aussi par l'esprit même, à savoir lorsque de lui-même et par sa propre liberté il se porte à quelque pensée. Et c'est par le mouvement de ces particules du cerveau qu'il se fait un vestige duquel dépend le ressouvenir. Mais pour ce qui est des choses purement intellectuelles, à proprement parler on n'en a aucun ressouvenir; et la première fois qu'elles se présentent à l'esprit, on les pense aussi bien que la seconde, si ce n'est peut-être qu'elles ont coutume d'être jointes et comme attachées à certains noms qui, étant corporels, font que nous nous ressouvenons aussi d'elles. Mais il y a encore plusieurs autres choses à remarquer en tout ceci qu'il n'est pas nécessaire d'expliquer plus exactement, pourceque ce n'en est pas ici le lieu.

3. De ce que j'ai mis distinction entre les choses qui m'appartiennent, c'est-à-dire à ma nature, et celles qui appartiennent seulement à la connoissance que j'ai de moi-même, on ne peut avec raison inférer que ma métaphysique n'établit rien du tout de ce qui appartient à cette connoissance, ni aucunes des autres choses qui me sont ici objectées. Car le lecteur peut facilement reconnoître

quand j'ai traité seulement de la connoissance que j'ai de moi-même et quand j'ai en effet traité de la vérité des choses. Et je ne me suis servi en aucun lieu du mot de croire, où il a fallu employer celui de savoir; et même dans le lieu ici cité, le mot de croire ne s'y trouve point. Et dans ma réponse aux secondes objections, j'ai dit qu'étant éclairés surnaturellement de Dieu, nous avions cette confiance, que les choses qui nous sont proposées à croire ont été révélées par lui, pourcequ'en cet endroit-là il étoit question de la foi et non pas de la science humaine. Et je n'ai pas dit que, par la lumière de la grâce, nous connoissions clairement les mystères de la foi (encore que je ne nie pas que cela ne se puisse faire), mais seulement que nous avions confiance qu'il les faut croire. Or personne ne peut trouver étrange, s'il est vraiment fidèle, et ne peut même douter qu'il ne soit très évident qu'il faut croire les choses que Dieu a révélées, et qu'il ne faille préférer la lumière de la grâce à celle de la nature. Et tout ce que vous me demandez ensuite ne me regarde point, puisque je n'ai donné aucune occasion en mes écrits de me faire de telles demandes. Et pourceque j'ai déjà ci-devant déclaré, en ma réponse aux sixièmes objections, que je ne répondrois point à de telles questions, je n'ajouterai ici rien davantage.

4. Je n'ai rien avancé que je sache qui ait pu

servir de fondement à cette quatrième objection qui est, que le plus haut point de ma certitude est lorsque nous pensons voir une chose si clairement, que nous l'estimons d'autant plus vraie que nous y pensons davantages et par conséquent je ne suis point obligé de répondre à ce que vous ajoutez ensuite, quoiqu'il ne seroit pas fort difficile à une personne qui sait distinguer la lumière de la foi de la lumière naturelle, et qui préfère l'autre à celle-ci.

5. Je n'ai aussi rien avancé qui ait pu servir de fondement à cette cinquième objection; et je nie tout net que nous ignorions ce que c'est qu'une chose, ce que c'est que la pensée, ou qu'il soit besoin que je l'enseigne aux autres, pourceque tout cela est de soi si manifeste, qu'il n'y a rien par quoi on le puisse expliquer plus clairement; et enfin je nie que nous ne pensions à rien qu'à des choses corporelles.

6. Il est très vrai de dire que nous ne concevons pas l'infini par la négation du fini; et de ce que la limitation contient en soi la négation de l'infini, c'est en vain qu'on infère que la négation de la limitation ou du fini contient la connoissance de l'infini § ̧ pourceque ce par quoi l'infini diffère du fini est réel et positif, et qu'au contraire la limitation par laquelle le fini diffère de l'infini est un non-être ou une négation d'être : or ce qui n'est point ne nous peut conduire à la connoissance de ce qui est; mais

au contraire, par la connoissance d'une chose il est aisé de concevoir sa négation. Et lorsque j'ai dit, en la page 564, qu'il suffit que nous concevions une chose qui n'a point de limites pour concevoir l'infini, j'ai suivi en cela la façon de parler la plus usitée; comme aussi lorsque j'ai retenu le nom d'être infini, qui plus proprement auroit pu être appelé l'être très ample, si nous voulions que chaque nom fût conforme à la nature de chaque chose; mais l'usage a voulu qu'on l'exprimât par la négation de la négation de même que si, pour désigner une chose très grande, je disois qu'elle n'est pas petite, ou qu'elle n'a point du tout de petitesse; mais par là je n'ai pas prétendu montrer que la nature positive de l'infini se connoissoit par une négation, et partant je ne me suis en aucune façon contredit.

Je demeure bien d'accord que notre esprit a la faculté d'agrandir et d'amplifier les idées des choses; mais je nie que ces idées ainsi agrandies, et même la faculté de les agrandir de la sorte, pussent être en lui, si l'esprit même ne tiroit son origine de Dieu, dans lequel toutes les perfections où cette ampliation peut atteindre existent véritablement. Ce que j'ai souvent inculqué et prouvé par cette raison très claire et accordée de tout le monde, à savoir qu'un effet ne peut avoir aucune perfection qui n'ait été auparavant dans sa cause. Et il n'y a

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