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CHAPITRE II.

QU'IL N'Y A POINT DE PRINCIPES DE PRATIQUE
QUI SOIENT INNÉS.

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Il n'y a point de principe de morale si clair ni si généralement reçu, que les maximes spéculatives dont on vient de parler.

il

Si les maximes spéculatives, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, ne sont pas reçues de tout le monde par un consentement actuel, comme nous venons de le prouver, est beaucoup plus évident à l'égard des principes de pratique, qu'il s'en faut bien qu'ils soient reçus d'un consentement universel. Et je crois qu'il serait bien difficile de produire une règle de morale qui soit de nature à être reçue d'un consentement aussi général et aussi prompt que cette maxime, Ce qui est, est; ou qui puisse

passer pour une vérité aussi manifeste que ce principe: Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps. D'où il paraît clairement que le privilége d'être inné convient beaucoup moins aux principes de pratique qu'à ceux de spéculation, et qu'on est plus en droit de douter que ceux-là soient imprimés naturellement dans l'ame que ceux-ci. Ce n'est pas que ce doute contribue en aucune manière à mettre en question la vérité de ces différents principes. Ils sont également véritables, quoiqu'ils ne soient pas également évidents. Les maximes spéculatives que je viens d'alléguer, sont évidentes par elles-mêmes: mais à l'égard des principes de morale, ce n'est que par des raisonnements, par des discours, et par quelque application d'esprit qu'on peut s'assurer de leur vérité. Ils ne paraissent point comme autant de caractères gravés naturellement dans l'ame: car s'ils y étaient effectivement empreints de cette manière, il faudrait nécessairement que ces caractères se rendissent visibles par eux-mêmes, et que chaque homme les pût reconnaître certainement par ses propres lumières. Mais en refusant aux principes de morale la prérogative d'être innés, qui ne leur appartient point, on n'affaiblit en aucune manière leur vérité ni leur certitude, comme on ne diminue en rien la

pas

vérité et la certitude de cette proposition, Les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits; lorsqu'on dit qu'elle n'est pas si évidente que cette autre proposition, Le tout est plus grand que sa partie; et qu'elle n'est si propre à être reçue dès qu'on l'entend pour la première fois. Il suffit que ces règles de morale sont capables d'être démontrées; de sorte que c'est notre faute si nous ne venons pas à nous assurer certainement de leur vérité. Mais de ce que plusieurs personnes ignorent absolument ces règles, et que d'autres les reçoivent d'un consentement faible et chancelant, il paraît clairement qu'elles ne sont rien moins qu'innées, et qu'il s'en faut bien qu'elles se présentent d'elles-mêmes à leur vue sans qu'ils se mettent en peine de les chercher,

§ 2.

Tous les hommes ne regardent pas la fidélité et la justice comme des principes.

Pour savoir s'il y a quelque principe de morale dont tous les hommes conviennent, j'en appelle à ceux qui ont quelque connaissance de l'histoire du genre humain, et qui ont, pour ainsi dire, perdu de vue le clocher de leur village pour aller voir ce qui se passe hors de

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chez eux. Car où est cette vérité de pratique qui soit universellement reçue sans aucune difficulté, comme elle doit l'être si elle est innée? La justice et l'observation des contrats est le point sur lequel la plupart des hommes semblent s'accorder entre eux. C'est un principe qui est reçu, à ce qu'on croit, dans les cavernes même des brigands et parmi les sociétés des plus grands scélérats; de sorte que ceux qui ont le plus dépouillé le caractère d'hommes, sont fidèles les uns aux autres et observent entre eux les règles de la justice. Je conviens que les bandits en usent ainsi les uns à l'égard des autres; mais c'est sans considérer les règles de justice, qu'ils observent entre eux, comme des principes innés, et comme des lois que la nature ait gravées dans leur ame. Ils les observent seulement comme des règles de convenance dont la pratique est absolument nécessaire pour conserver leur société car il est impossible de concevoir qu'un homme regarde la justice comme un principe de pratique, si, dans le même temps qu'il en observe les règles avec ses compagnons voleurs de grand chemin, il dépouille ou tue le premier homme qu'il rencontre. La justice et la vérité sont les liens communs de toute société c'est pourquoi les bandits et les voleurs, qui ont rompu avec tout le reste des hommes,

sont obligés d'avoir de la fidélité et de garder quelques règles de justice entre eux, sans quoi ils ne pourraient pas vivre ensemble (10). Mais qui oserait conclure de là que ces gens, qui ne vivent que de fraude et de rapine, ont des principes de vérité et de justice, gravés naturellement dans l'ame, auxquels ils donnent leur consentement?

§ 3.

On objecte que les hommes démentent par leurs actions ce qu'ils croient dans leur ame. Réponse à cette objection,

On dira peut-être, que la conduite des brigands est contraire à leurs lumières, et qu'ils approuvent tacitement dans leur ame ce qu'ils démentent par leurs actions. Je réponds premiè

:

(10) « On ne saurait rien dire de mieux à l'égard de tous <«<les hommes en général. Et c'est ainsi que ces lois sont « gravées dans l'ame savoir comme les conséquences de « notre conservation et de nos vrais biens.... Cependant «< ceux qui ne fondent la justice que sur les nécessités de « cette vie et sur le besoin qu'ils en ont, plutôt que sur le << plaisir qu'ils y devraient prendre, qui est des plus grands lorsque Dieu en est le fondement, ceux-là sont un peu sujets à ressembler à la société des bandits:

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