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qui s'y passe effectivement, j'ajouterai que les deux (a) propositions générales, dont nous avons parlé ci-dessus, ne sont point des vérités qui se trouvent les premières dans l'esprit des enfants, et qu'elles ne précèdent point toutes les notions acquises, et qui viennent de dehors; ce qui devrait être, si elles étaient innées. De savoir si l'on peut, ou si l'on ne peut point déterminer le temps auquel les enfants commencent à penser, c'est de quoi il ne s'agit pas présentement; mais il est certain qu'il y a un temps auquel les enfants commencent à penser: leurs discours et leurs actions nous en assurent incontestablement. Or, si les enfants sont capables de penser, d'acquérir des connaissances, et de donner leur consentement à différentes vérités, peut-on supposer raisonnablement qu'ils puissent ignorer les notions que la nature a gravées dans leur esprit, si ces notions y sont effectivement empreintes? Peut-on s'imaginer, avec quelque apparence de raison, qu'ils reçoivent des impressions des choses extérieures, et qu'en même temps ils méconnaissent ces caractères que la nature elle-même a pris soin

(a) Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps; et Ce qui est la même chose n'est pas différent.

de graver dans leur ame? Est-il possible que recevant des notions qui leur viennent de dehors, et y donnant leur consentement, ils n'aient aucune connaissance de celles qu'on suppose être nées avec eux et faire comme partie de leur esprit, où elles sont empreintes en caractères ineffaçables pour servir de fondement et de règle à toutes leurs connaissances acquises, et à tous les raisonnements qu'ils feront dans la suite de leur vie? Si cela était, la nature se serait donné de la peine fort inutilement, ou du moins elle aurait mal gravé ces caractères, puisqu'ils ne sauraient être aperçus par des yeux qui voient fort bien d'autres choses. Ainsi, c'est fort mal à propos qu'on suppose que ces principes, qu'on veut faire passer pour innés, sont les rayons les plus lumineux de la vérité et les vrais fondements de toutes nos connaissances; puisqu'ils ne sont pas connus avant toute autre chose, et que l'on peut acquérir, sans leur secours, une connaissance indubitable de plu-. sieurs autres vérités. Un enfant, par exemple, connaît fort certainement que sa nourrice n'est point le chat avec lequel il badine, ni le nègre dont il a peur. Il sait fort bien que le semencontra ou la moutarde, dont il refuse de manger, n'est point la pomme ou le sucre qu'il veut avoir: il sait, dis-je, cela très-certainement,

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et en est fortement persuadé sans en douter le moins du monde. Mais, qui oserait dire que c'est en vertu de ce principe, Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps, qu'un enfant connaît si sûrement ces choses et toutes les autres qu'il sait? Se trouverait-il même quelqu'un qui osât soutenir qu'un enfant ait aucune idée ou aucune connaissance de cette proposition, dans un âge où, cependant, on voit évidemment qu'il connaît plusieurs autres vérités? Que s'il y a des gens qui osent assurer que les enfants ont des idées de ces maximes générales et abstraites dans le temps qu'ils commencent à connaître leurs jouets et leurs poupées; on pourrait peut-être dire d'eux, sans leur faire grand tort, qu'à la vérité ils sont fort zélés pour leur sentiment, mais qu'ils ne le défendent point avec cette aimable sincérité qu'on découvre dans les enfants.

§ 26.

Par conséquent elles ne sont point innées.

Donc, quoiqu'il y ait plusieurs propositions générales qui sont toujours reçues avec un entier consentement dès qu'on les propose à des personnes qui sont parvenues à un âge raisonnable, et qui, étant accoutumées à des idées

abstraites et universelles, savent les termes dont on se sert pour les exprimer, cependant, comme ces vérités sont inconnues aux enfants dans le temps qu'ils connaissent d'autres choses, on ne peut point dire qu'elles soient reçues d'un consentement universel de tout être doué d'intelligence; et, par conséquent, on ne saurait supposer en aucune manière qu'elles soient innées. Car il est impossible qu'une vérité innée (s'il y en a de telles) puisse être inconnue, du moins à une personne qui connaît déja quelque autre chose; parce que s'il y a des vérités innées, il faut qu'il y ait des pensées innées (8): car on ne saurait concevoir qu'une vérité soit dans l'esprit, si l'esprit n'a jamais pensé à cette vérité. D'où il s'ensuit évidemment, que s'il des vérités innées, il faut de nécessité que ce soient les premiers objets de la pensée, la première chose qui paraisse dans l'esprit.

y a

(8) « Point du tout; car les pensées sont des actions, « et les connaissances ou les vérités, en tant qu'elles sont « en nous, quand même on n'y pense point, sont des habi<< tudes ou des dispositions; et nous savons bien des choses « auxquelles nous ne pensons guère. »

§ 27.

Elles ne sont point innées, parce qu'elles pa-, raissent moins où elles devraient se montrer avec plus d'éclat.

Or que ces maximes générales, dont nous avons parlé jusqu'ici, soient inconnues aux enfants, aux imbécilles, et à une grande partie du genre humain, c'est ce que nous avons déja suffisamment prouvé : d'où il paraît évidemment que ces sortes de maximes ne sont pas reçues d'un consentement universel, et qu'elles ne sont point naturellement gravées dans l'esprit des hommes. Mais on peut tirer de là une autre preuve contre le sentiment de ceux qui prétendent que ces maximes sont innées; c'est que, si c'étaient autant d'impressions naturelles et originales, elles devraient paraître avec plus d'éclat dans l'esprit de certaines personnes, où cependant nous n'en voyons aucune trace. Ce qui est, à mon avis, une forte présomption que ces caractères ne sont point innés, puisqu'ils sont moins connus de ceux en qui ils devraient se faire voir avec plus d'éclat, s'ils étaient effectivement innés. Je veux parler des enfants, des imbécilles, des sauvages et des gens sans lettres; car de tous les hommes ce sont ceux qui

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