Page images
PDF
EPUB

Il est impossible qu'une chose soit et ne soit

pas en même temps, soit fondée sur une conséquence tirée par le secours de notre raison. Car ce serait détruire la bonté qu'ils prétendent que Dieu a eue pour les hommes, en gravant dans leurs ames ces sortes de maximes; ce serait, dis-je, anéantir tout-à-fait cette grace dont ils paraissent si jaloux, que de faire dépendre la connaissance de ces premiers principes, d'une suite de pensées déduites avec peine les unes des autres. Comme tout raisonnement suppose quelque recherche, il demande du soin et de l'application, cela est incontestable. D'ailleurs, en quel sens, tant soit peu raisonnable, peuton soutenir, qu'afin de découvrir ce qui a été imprimé dans notre ame par la nature, pour qu'il serve de guide et de fondement à notre raison, il faille faire usage de cette même raison?

[ocr errors]

Tous ceux qui voudront prendre la peine de réfléchir avec un peu d'attention sur les opérations de l'entendement, trouveront que ce consentement, que l'esprit donne sans peine à certaines vérités, ne dépend en aucune manière ni de l'impression naturelle qui en ait été faite dans l'ame, ni de l'usage de la raison; mais d'une faculté de l'esprit humain, qui est tout-à-fait

différente de ces deux choses (5), comme nous le verrons dans la suite. Puis donc que la raison ne contribue en aucune manière à nous faire recevoir ces premiers principes, si ceux qui soutiennent que les hommes les connaissent et y donnent leur consentement dès qu'ils viennent à faire usage de leur raison, veulent dire parlà, que l'usage de la raison nous conduit à la connaissance de ces principes, cela est entièrement faux; et quand il serait véritable, il ne prouverait point que ces maximes soient innées.

§ 12.

Quand on commence à faire usage de la raison, on ne commence pas à connaitre ces maximes générales qu'on veut faire passer pour innées.

Mais, lorsqu'on dit que nous connaissons ces vérités et que nous y donnons notre consentement, dès que nous venons à faire usage de la raison; si l'on entend par-là que c'est dans ce

:

(5) <«< Fort bien mais ce n'est pas une faculté nue, qui ⚫ consiste dans la seule possibilité de les entendre: c'est << une disposition, une aptitude, une préformation', qui dé<< termine notre ame, qui fait que ces vérités en peuvent être « tirées, tout comme il y a de la différence entre les figures

[ocr errors]

qu'on donne à la pierre ou au marbre indifféremment, et

« entre celles que ses veines marquent déja, ou sont dispo«sées à marquer, si l'on veut en profiter. »

temps-là que l'ame s'aperçoit de ces vérités, et qu'aussitôt que les enfants viennent à se servir de la raison, ils commencent aussi à connaître et à recevoir ces premiers principes, cela est encore faux et inutile. Je dis premièrement que cela est faux, parce qu'il est évident que ces sortes de maximes ne sont pas connues à l'ame, dans le même temps qu'elle commence à faire usage de la raison; et par conséquent qu'il n'est point vrai que le temps auquel on commence à faire usage de la raison, soit le même que celui auquel on commence à découvrir ces maximes. Car, je vous prie, combien de marques de raison n'observe-t-on pas dans les enfants, longtemps avant qu'ils aient aucune connaissance de cette maxime; Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps? Combien y at-il de gens sans lettres et de peuples sauvages, qui, étant parvenus à l'âge de raison, passent une bonne partie de leur vie sans faire aucune réfléxion à cette maxime et aux autres propositions générales de cette nature? Je conviens que les hommes n'arrivent point à la connaissance de ces vérités générales et abstraites qu'on croit innées, avant que de faire usage de leur raison; mais, j'ajoute qu'ils ne les connaissent pas même alors. Et cela, parce qu'avant que de faire usage de la raison, l'esprit n'a pas formé les idées

générales et abstraites, d'où résultent les maximes générales qu'on prend mal à propos pour des principes innés; et parce que ces maximes sont effectivement des connaissances et des vérités qui s'introduisent dans l'esprit par la même voie et par les mêmes degrés, que plusieurs autres propositions que personne ne s'est avisé de supposer innées, comme j'espère de le faire voir dans la suite de cet ouvrage. Je reconnais donc qu'il faut nécessairement que les hommes fassent usage de leur raison, avant que de parvenir à la connaissance de ces vérités générales: mais, encore un coup, je nie que le temps auquel ils commencent à se servir de leur raison, soit justement celui auquel ils viennent à découvrir ces vérités.

§ 13.

On ne saurait les distinguer par-là de plusieurs autres vérités qu'on peut connaitre dans le même temps.

Cependant, il est bon de remarquer que ce qu'on dit, que dès qu'on fait usage de la raison, on s'aperçoit de ces maximes et qu'on y acquiesce, n'emporte dans le fond autre chose que ceci : savoir, qu'on ne connaît jamais ces maximes avant l'usage de la raison, quoique peutêtre on n'y donne un consentement actuel

que

temps-là que l'ame s'aperçoit de ces vérités, et qu'aussitôt que les enfants viennent à se servir de la raison, ils commencent aussi à connaître et à recevoir ces premiers principes, cela est encore faux et inutile. Je dis premièrement que cela est faux, parce qu'il est évident que ces sortes de maximes ne sont pas connues à l'ame, dans le même temps qu'elle commence à faire usage de la raison; et par conséquent qu'il n'est point vrai que le temps auquel on commence à faire usage de la raison, soit le même que celui auquel on commence à découvrir ces maximes. Car, je vous prie, combien de marques de raison n'observe-t-on pas dans les enfants, longtemps avant qu'ils aient aucune connaissance de cette maxime: Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps? Combien y at-il de gens sans lettres et de peuples sauvages, qui, étant parvenus à l'âge de raison, passent une bonne partie de leur vie sans faire aucune réfléxion à cette maxime et aux autres propositions générales de cette nature? Je conviens que les hommes n'arrivent point à la connaissance de ces vérités générales et abstraites qu'on croit innées, avant que de faire usage de leur raison; mais, j'ajoute qu'ils ne les connaissent pas même alors. Et cela, parce qu'avant que de faire usage de la raison, l'esprit n'a pas formé les idées

« PreviousContinue »