Page images
PDF
EPUB

actuellement existants, convient à ces idées abstraites. Ces idées simples et précises que l'esprit se représente sans considérer comment, d'où et avec quelles autres idées elles lui sont venues, l'entendement les met à part, avec les noms qu'on leur donne communément, comme autant de modèles, auxquels on puisse rapporter les ètres réels sous différentes espèces, selon qu'ils correspondent à ces exemplaires, en les désignant suivant cela par différents noms. Ainsi, remarquant aujourd'hui, dans de la craie ou dans la neige, la même couleur que le lait excita hier dans mon esprit, je considère cette idée unique, je la regarde comme une représentation de toutes les autres de cette espèce, et lui ayant donné le nom de blancheur, j'exprime par ce son, la même qualité, en quelque endroit que je puisse l'imaginer, ou la rencontrer et c'est ainsi que se forment les idées universelles, et les termes qu'on emploie pour les désigner.

§ 10.

Les Bétes ne forment point d'abstraction

Si l'on peut douter que les bêtes composent et étendent leurs idées de cette manière, à un certain degré, je crois être en droit d'affirmer que la puissance de former des abstractions ne

leur a pas été donnée, et que cette faculté de former des idées générales est ce qui met une parfaite distinction entre l'homme et les brutes, excellente qualité qu'elles ne sauraient acquérir en aucune manière par le secours de leurs facultés (58). Car il est évident que nous n'observons dans les bêtes aucunes preuves qui nous puissent faire connaître qu'elles se servent de signes généraux pour désigner des idées universelles; et puisqu'elles n'ont point l'usage des mots ni d'aucuns autres signes généraux, nous avons raison de penser qu'elles n'ont point la faculté de faire des abstractions, ou de former des idées générales.

§ II.

1

Or, on ne saurait dire, que c'est faute d'organes propres à former des sons articulés qu'elles ne font aucun usage, ou n'ont aucune connaissance des mots généraux, puisque nous voyons plusieurs qui peuvent former de tels

nous en

(58) « Je suis du même sentiment. Elles connaissent apparemment la blancheur et la remarquent dans la craie <«< comme dans la neige; mais ce n'est pas encore abstrac<«<tion: car elle demande une considération du commun séparé du particulier; et par conséquent il y entre la << connaissance des vérités universelles, qui n'est point donnée aux bêtes. »

[ocr errors]

sons, et prononcer des paroles assez distincte ment, mais qui n'en font jamaisioune apareille application. D'autre part, les hommes qui, par quelque défaut dans les organes, sont privés de l'usage de la parole, ne laissent pourtant pas d'exprimer leurs idées universelles par des signes qui leur tiennent lieu des termes généraux : faculté que nous ne découvrons point dans les bêtes. Nous pouvons donc supposer, à mon avis, que c'est en cela que les bêtes diffèrent de l'homme. C'est là, dis-je, la différence caractéristique par laquelle ces deux sortes de créatures sont entièrement séparées, et qui met enfin une si vaste distance entre elles; car si les bêtes ont quelques idées, et ne sont pas de pures machines, comme quelques-uns le prétendent, nous ne saurions nier qu'elles n'aient de la raison dans un certain degré. Et pour moi, il me paraît aussi évident qu'il y en a quelques-unes qui raisonnent en certaines rencontres, qu'il me paraît qu'elles ont du sentiment; mais c'est seulement sur des idées particulières qu'elles raisonnent selon que leurs sens les leur présentent (59).

[ocr errors]

(59) « Les bêtes passent d'une imagination à une autre par la liaison qu'elles y ont sentie autrefois.... On pour«rait appeler cela conséquence et raisonnement dans un << sens fort étendu mais j'aime mieux me conformer à

Les plus parfaites d'entre elles sont renfermées dans ces étroites bornes n'ayant point, à ce que je crois, la faculté de les étendre par aucune sorte d'abstraction.

[ocr errors][merged small]

Si l'on examinait avec soin les divers égarements des imbécilles, on découvrirait sans doute jusqu'à quel point leur imbécillité procède de l'absence ou de la faiblesse de quelqu'une des facultés dont nous venons de parler, ou de ces deux choses ensemble. Car ceux qui n'aperçoivent qu'avec peine, qui ne retiennent qu'imparfaitement les idées qui leur viennent dans l'esprit, et qui ne sauraient les rappeler ou assembler promptement, n'ont que très-peu de pensées. Ceux qui ne peuvent distinguer, comparer et abstraire des idées, ne sauraient être fort capables de comprendre les choses, de faire usage des termes, ou de juger et de raisonner passablement bien. Leurs raisonnements, qui sont rares et très-imparfaits, ne roulent que sur

«l'usage reçu, en consacrant ces mots à l'homme, et en -<«<les restreignant à la connaissance de quelque raison de <«la liaison des perceptions, que les sensations seules "ne "sauraient donner. »

des choses présentes, et fort familières à leurs sens. Et en effet, si quelqu'une des facultés dont j'ai parlé ci-dessus, vient à manquer ou à se dérégler, l'entendement de l'homme a constamment les défauts que doit produire l'absence ou le déréglement de cette faculté.

§ 13.

Différence entre les Imbécilles et les Fous.

Enfin, il me semble que le défaut des imbécilles vient du manque de vivacité, d'activité et de mouvement dans les facultés intellectuelles, par où ils se trouvent privés de l'usage de la raison. Les fous, au contraire, semblent être dans l'extrémité opposée. Car il ne me paraît pas que ces derniers aient perdu la faculté de raisonner; mais ayant joint mal à propos certaines idées, ils les prennent pour des vérités, et se trompent de la même manière que ceux qui raisonnent juste sur de faux principes. Après avoir converti leurs propres fantaisies en réalités par la force de leur imagination, ils en tirent des conclusions fort raisonnables. Ainsi, vous verrez un fou qui s'imaginant être roi, prétend, par une juste conséquence, être servi, honoré, et obéi selon sa dignité. D'autres qui ont cru être de verre, ont pris toutes les précautions

[ocr errors]
« PreviousContinue »