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vement, ou à occuper notre esprit; mais, laissant aller nos pensées à l'aventure, sans les diriger vers aucun but particulier, nous ne ferions aucune attention sur nos idées, qui, dèslà semblables à de vaines ombres, viendraient se montrer à notre esprit, sans que nous nous en missions autrement en peine. Dans cet état, l'homme, quoique doué des facultés de l'entendement et de la volonté, ne serait qu'une créature inutile, plongée dans une parfaite inaction, passant toute sa vie dans une lâche et continuelle léthargie. Il a donc plu à notre sage créateur d'attacher à plusieurs objets, et aux idées que nous recevons par leur moyen, aussibien qu'à la plupart de nos pensées, certain plaisir qui les accompagne; et cela en différents degrés, selon les différents objets dont nous sommes frappés, afin que nous ne laissions pas ces facultés, dont il nous a enrichis, dans une entière inaction, et sans en faire aucun usage.

§ 4.

La douleur n'est pas moins propre à nous mettre en mouvement que le plaisir car nous sommes tout aussi prêts à faire usage de nos facultés pour éviter la douleur, que pour rechercher le plaisir. La seule chose qui mérite d'être remarquée en cette occasion, c'est que la douleur

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est souvent produite par les mêmes objets, et par les mémes idées, qui nous causent du plaisir. L'étroite liaison qu'il y a entre l'un et l'autre, et qui nous cause souvent de la douleur par les mêmes sensations d'où nous attendons du plaisir, nous fournit un nouveau sujet d'admirer la sagesse et la bonté de notre créateur, qui, pour la conservation de notre être, a établi que certaines choses venant à agir sur nos corps, nous causassent de la douleur, pour nous avertir par là du mal qu'elles nous peuvent faire, afin que nous songions à nous en éloigner. Mais, comme il n'a pas eu seulement en vue la conservation de nos personnes en général, mais la conservation entière de toutes les parties et de tous les organes de notre corps en particulier, il a attaché, en plusieurs occasions, un sentiment de douleur aux mêmes idées qui nous font du plaisir en d'autres rencontres. Ainsi la chaleur, qui dans un certain degré nous est fort agréable, venant à s'augmenter un peu plus, nous cause une extrême douleur. La lumière elle-même, qui est le plus charmant de tous les objets sensibles, nous incommode beaucoup, si elle frappe nos yeux avec trop de force, et audelà d'une certaine proportion. Or, c'est une chose sagement et utilement établie par la nature, que, lorsque quelque objet met en dés

ordre, par la force de ses impressions, les organes du sentiment, dont la structure ne peut qu'être fort délicate, nous puissions être avertis, par la douleur que ces sortes d'impressions produisent en nous, de nous éloigner de cet objet, avant que l'organe soit entièrement dérangé, et par ce moyen mis hors d'état de faire ses fonctions à l'avenir. Il ne faut que réfléchir sur les objets qui causent de tels sentiments, pour être convaincu que c'est là effectivement la fin ou l'usage de la douleur. Car, quoiqu'une trop grande lumière soit insupportable à nos yeux, cependant les ténèbres les plus obscures ne leur causent aucune incommodité, parce que la plus grande obscurité, ne produisant aucun mouvement déréglé dans les yeux, laisse cet excellent organe de la vue dans son état naturel, sans le blesser en aucune manière. D'autre part, un trop grand froid nous cause de la douleur aussibien que le chaud; parce que le froid est également propre à détruire le tempérament qui est nécessaire à la conservation de notre vie, et à l'exercice des différentes fonctions de notre corps: tempérament qui consiste dans un degré modéré de chaleur, ou, si vous voulez, dans le mouvement des parties insensibles de notre corps, renfermé dans de certaines limites.

$ 5.

Outre cela, nous pouvons trouver une autre raison pourquoi Dieu a attaché différents degrés de plaisir et de peine à toutes les choses qui nous environnent, et qui agissent sur nous, et pourquoi il les a joints ensemble dans la plupart des choses qui frappent notre esprit et nos sens. C'est afin que trouvant, dans tous les plaisirs que les créatures peuvent nous donner, quelque amertume, une satisfaction imparfaite et éloignée d'une entière félicité, nous soyons portés à chercher notre bonheur dans la possession de celui (a) en qui il y a un rassasiement de joie, et à la droite duquel il y a des plaisirs pour toujours.

§ 6.

Quoique ce que je viens de dire ne puisse peut-être pas servir à nous faire connaître les idées du plaisir et de la douleur, plus clairement que nous les connaissons par notre propre expérience, qui est la seule voie par laquelle nous pouvons avoir ces idées; cependant, comme, en considérant la raison pourquoi ces idées se trouvent attachées à tant d'autres, nous

(a) Ps. XVI, 11.

sommes portés par là à concevoir de justes sentiments de la sagesse et de la bonté du souverain régulateur de toutes choses, cette considération convient assez bien au but principal de ces recherches, puisque la principale de toutes nos pensées, et la véritable occupation de tout être doué d'entendement, c'est la connaissance et l'adoration de cet Être suprême.

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Comment on vient à se former des idées de
l'existence et de l'unité.

L'existence et l'unité sont deux autres idées, qui sont communiquées à l'entendement par chaque objet extérieur, et par chaque idée que nous apercevons en nous-mêmes. Lorsque nous avons des idées dans l'esprit, nous les considérons comme y étant actuellement, tout ainsi que nous considérons les choses comme étant actuellement hors de nous, c'est-à-dire comme actuellement existantes en elles-mêmes. D'autre part, tout ce que nous considérons comme une seule chose, que ce soit un être réel ou une simple idée, suggère à notre entendement l'idée de l'unité.

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