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et mou, dur, et fragile, elles se présentent assez d'elles-mêmes (43).

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Il y a peu d'Idées simples qui aient des noms.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de faire ici une énumération de toutes les idées simples qui sont les objets particuliers des sens. Et on ne pourrait même en venir à bout quand on voudrait, parce qu'il y en a beaucoup plus que nous n'avons de noms pour les exprimer. Les odeurs, par exemple, qui sont peut-être en aussi grand nombre, ou même en plus grand nombre que les différentes espèces de corps qui sont dans le monde, manquent de nom pour la plupart. Nous nous servons communément des mots sentir bon, ou sentir mauvais, pour exprimer ces idées, par où nous ne disons, dans le fond, autre chose, sinon qu'elles nous sont agréables ou désagréables, quoique l'odeur de la rose, et celle de la violette, par exemple, qui sont agréables l'une et l'autre, soient sans doute des idées fort distinctes. On n'a pas eu plus de

(43) « On peut dire que le poli, ou le rude, et le dur, <«< ou le mou, ne sont que les modifications de la résistance, << ou de la solidité, »

soin de donner des noms aux différents goûts, dont nous recevons les idées par le moyen du palais. Le doux, l'amer, l'aigre, l'acre, l'acerbe et le salé, sont presque les seuls termes que nous ayons pour désigner ce nombre infini de saveurs qui se peuvent remarquer distinctement, non-seulement daus presque toutes les espèces d'êtres sensibles, mais dans les différentes parties de la même plante, ou du même animal. On peut dire la même chose des couleurs et des sons. Je me contenterai donc, sur ce que j'ai à dire des idées simples, de ne proposer que celles qui font le plus à mon dessein, ou qui sont en elles-mêmes de nature à être moins con

nues, quoique fort souvent elles fassent partie de nos idées complexes. Parmi ces idées simples, auxquelles ont fait peu d'attention, il me semble qu'on peut fort bien mettre la solidité, dont je parlerai pour cet effet dans le chapitre suivant.

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L'IDÉE de la solidité nous vient

par l'attouchement, et elle est causée par la résistance que nous trouvons dans un corps jusqu'à ce qu'il ait quitté le lieu qu'il occupe, lorsqu'un autre corps y entre actuellement. De toutes les idées qui nous viennent par sensation, il n'y en à point que, nous recevions plus constamment que celle de la solidité. Soit que nous soyons en mouvement ou en repos, dans quelque situation que nous nous rencontrions, nous sentons toujours quelque chose qui nous soutient et qui nous empêche d'aller plus bas; et nous éprouvons tous les jours en maniant des corps, que tandis qu'ils sont entre nos mains ils empêchent, par une force invincible, l'approche des

parties de nos mains qui les pressent. Or, ce qui empêche ainsi l'approche de deux corps, lorsqu'ils se meuvent l'un vers l'autre, c'est ce que j'appelle solidité. Je n'examine point si le mot de solide, employé dans ce sens, approche plus de sa signification originale, que dans le sens auquel s'en servent les mathématiciens: il suffit que la notion ordinaire de la solidité doive, je ne dis pas justifier, mais autoriser l'usage de ce mot, au sens que je viens de marquer; ce que je ne crois pas que personne veuille nier. Mais si quelqu'un trouve plus à propos d'appeler impénétrabilité, ce que je viens de nommer solidité, j'y consens volontiers. Pour moi, j'ai cru le terme de solidité, beaucoup plus propre à exprimer cette idée, non- seulement à cause qu'on l'emploie communément en ce sens-là, mais aussi parce qu'il emporte quelque chose de plus positif que celui d'impénétrabilité, qui est purement négatif, et qui peut-être est plutôt un effet de la solidité, que la solidité elle-même. Du reste, la solidité est de toutes les idées, celle qui paraît la plus essentielle et la plus étroitement unie au corps, en sorte qu'on ne peut la trouver ou l'imaginer ailleurs que dans la matière et quoique nos sens ne la remarquent que dans des amas de matière d'une grosseur capable de produire en nous quelque sensation,

cependant l'ame ayant une fois reçu cette idée, par le moyen de ces corps grossiers, la porte encore plus loin, la considérant (aussi-bien que la figure) dans la plus petite partie de matière qui puisse exister, et la regardant comme inséparablement attachée au corps, quelque part qu'il soit, et de quelque manière qu'il soit modifié (44).

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La Solidité remplit l'Espace.

Or, par cette idée qui appartient au corps, nous concevons que le corps remplit l'espace: autre idée, qui emporte que par-tout où nous imaginons quelque espace occupé par une substance solide, nous concevons que cette substance occupe de telle sorte cet espace, qu'elle en exclut toute autre substance solide, et qu'elle empêchera à jamais deux autres corps, qui se meuvent en ligne droite l'un vers l'autre, de venir à se toucher, si elle ne s'éloigne d'entre eux par une ligne qui ne soit point parallèle à celle sur laquelle ils se meuvent actuellement.

(44) «Dans le fond la solidité, en tant qu'elle donne une <<< notion distincte, se conçoit par la pure raison, quoique <«<les sens fournissent au raisonnement de quoi prouver qu'elle est dans la nature. »

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