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selon l'opinion vulgaire (a); je crois pourtant que nous ne saurions imaginer ni connaître dans les corps, de quelque manière qu'ils soient dis

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(a) Montaigne a exprimé tout cela à sa manière. Comme le passage est curieux, quoique un peu long, je crois qu'on ne sera pas fâché de le voir ici. «La première considération, dit-il, que j'ai sur le subject des sens, est que je <<< mets en doute que l'homme soit pourveu de tous sens na«<turels. Je vois plusieurs animaux qui vivent une vie entière «<et parfaicte, les uns sans la veue, les autres sans l'ouye: qui sait si à nous aussi il ne manque pas encore un, deux, trois, et plusieurs autres sens? Car, s'il en manque quelqu'un, notre discours n'en peut descouvrir le défaut. «C'est le privilége des sens d'être l'extrême borne de notre << apercevance : il n'y a rien, au-delà d'eux, qui nous puisse << servir à les descouvrir : voire ni l'un des sens ne peut des«couvrir l'autre.

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An poterunt oculos aures reprehendere, an aures

Tactus? an hunc porrò tactum sapor arguet oris ?

« An confutabunt nares, oculive revincent?

<<< Ils sont trestous la ligne extrême de notre faculté. Que << sait-on si les difficultés que nous trouvons en plusieurs ou<«< vrages de nature, viennent du défaut de quelques sens? « Et si plusieurs effets des animaux qui excèdent notre ca«pacité, sont produicts par la faculté de quelque sens que <«<nous ayons à dire ? Et si aucuns d'entr'eux ont une vie plus pleine par ce moyen, et plus entière que la nôtre ? << Nous saisissons la pomme quasi par tous nos sens: nous «< y trouverons de la rougeur, de la polisseure, de l'odeur <«<et de la douceur: outre cela elle peut avoir d'autres ver<«<tus, comme d'asseicher ou restreindre, ausquelles nous <«< n'avons point de sens qui se puisse rapporter. Les pro›

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posés, aucunes qualités dont nous puissions avoir quelque connaissance, qui soient différentes des sons, des goûts, des odeurs, et des qualités visibles et tangibles. Par la même raison, si l'homme n'avait reçu que quatre de ces sens, les qualités qui sont les objets du cinquième sens auraient été aussi éloignées de notre connaissance, imagination et conception, que le sont présentement les qualités qui appartiennent au sixième, septième et huitième sens, que nous supposons possibles, et dont on ne saurait dire, sans une grande présomption, que quelques autres créatures ne puissent être enrichies, dans quelque autre partie de ce vaste univers. Car quiconque n'aura pas la vanité ridicule de s'élever au-dessus de tout ce qui est sorti de la main du Créateur, mais considérera sérieusement l'immensité de ce prodigieux édifice, et la grande variété qui paraît sur la terre, cette petite et si peu considérable partie de l'univers, sur laquelle il se trouve placé, sera porté

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priétés que nous appelons occultes en plusieurs choses, « comme à l'aimant d'attirer le fer, n'est-il pas vraisemblable « qu'il y a des facultés sensitives en nature propres à les «juger et à les apercevoir, et que le défaut de telles fa«< cultés nous apporte l'ignorance de la vraye essence de « telles choses? » ESSAIS, tom. II, liv. II, chap. XII, pag. 562 et 565; édition de la Haye, 1727.

à croire que, dans d'autres demeures, il peut y avoir d'autres êtres intelligents dont les facultés lui sont aussi peu connues, que les sens ou l'entendement de l'homme le sont à un ver caché dans le fond d'un cabinet. Une telle variété et une telle excellence dans les ouvrages de Dieu, conviennent à la sagesse et à la puissance de ce grand ouvrier. Au reste, j'ai suivi dans cette occasion le sentiment commun, qui ne donne que cinq sens à l'homme, quoique peut-être on eût droit d'en compter davantage. Mais ces deux suppositions servent également à mon dessein.

CHAPITRE III.

DES IDÉES QUI NOUS VIENNENT PAR UN SEUL SENS.

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Divisions des Idées simples.

POUR mieux connaître les idées que nous recevons par les sens, il ne sera pas inutile de les considérer par rapport aux différentes voies par

où elles entrent dans l'ame, et se font connaître à nous.

I. Premièrement donc, il y en a quelques-unes qui nous viennent par un seul sens.

II. En second lieu, il y en a d'autres qui entrent dans l'esprit par plus d'un sens.

III. D'autres y viennent par la seule réflexion. Nous allons les considérer à part sous ces différents chefs.

Idées qui viennent dans l'esprit par un seul sens. Premièrement, il y a des idées qui n'entrent

dans l'esprit que par un seul sens, qui est particulièrement disposé à les recevoir. Ainsi, la lumière et les couleurs, comme le blanc, le rouge, le jaune et le bleu, avec leurs mélanges et leurs différentes nuances qui forment le vert, l'écarlate, le pourpre, le vert de mer et le reste, entrent uniquement par les yeux; toutes les sortes de bruits, de sons et de tons différents, entrent par les oreilles; les différents goûts par le palais, et les odeurs par le nez. Et si les organes ou nerfs, qui, après avoir reçu ces impressions de dehors, les portent au cerveau, qui est, pour ainsi dire, la chambre d'audience, où elles se présentent à l'ame pour y produire différentes sensations; si, dis-je, quelques-uns de ces organes viennent à être détraqués, en sorte qu'ils ne puissent point exercer leur fonction, ces sensations ne sauraient y être admises par quelque fausse porte; elles ne peuvent plus se présenter à l'entendement, et en être aperçues par aucune autre voie.

Les plus considérables des qualités tactiles, sont le froid, le chaud et la solidité. Pour toutes les autres, qui ne consistent presque en autre chose que dans la configuration des parties sensibles, comme est ce qu'on nomme poli et rude, ou bien dans l'union des parties, plus ou moins. forte, comme est ce qu'on nomme compacte,

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