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Toutes nos Idées viennent de l'une de ces deux sources (28).

L'entendement ne me paraît avoir absolument aucune idée qui ne lui vienne de l'une de ces deux sources: Les objets extérieurs fournissent à l'esprit les idées des qualités sensibles, c'està-dire toutes ces différentes perceptions que ces qualités produisent en nous; et l'esprit fournit à l'entendement les idées de ses propres opérations. Si nous faisons une exacte revue de toutes ces idées, et de leurs différents modes, combinaisons et relations, nous trouverons que c'est à quoi se réduisent toutes nos idées, et que nous n'avons rien dans l'esprit qui n'y vienne par l'une de ces deux voies. Que quelqu'un prenne seulement la peine d'examiner ses propres pensées, et de fouiller exactement dans son esprit pour considérer tout ce qui s'y passe, et qu'il me dise, après cela, si toutes les idées originales qui y sont viennent d'ailleurs que des objets de ses sens, ou des opérations de son ame,

(28) « Je l'entends de leur perception actuelle; car je crois

qu'elles sont en nous avant qu'on s'en aperçoive, en tant qu'elles ont quelque chose de distinct. »

considérés comme des objets de la réflexion qu'elle fait sur les idées qui lui sont venues par les sens. Quelque grand amas de connaissances qu'il y découvre, il verra, je m'assure, après y avoir bien pensé, qu'il n'a d'autres idées dans l'esprit, que celles qui y ont été produites par ces deux voies; quoique peut-être combinées et étendues par l'entendement avec une variété infinie, comme nous le verrons dans la suite.

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Ce qu'on peut observer dans les enfants.

Quiconque considérera avec attention l'état où se trouve un enfant dès qu'il vient au monde, n'aura pas grand sujet de se figurer qu'il ait dans l'esprit ce grand nombre d'idées qui sont la matière des connaissances qu'il a dans la suite. C'est par degrés qu'il acquiert toutes ces idées: et, quoique celles des qualités qui sont le plus exposées à sa vue et qui lui sont le plus familières s'impriment dans son esprit avant que la mémoire commence de tenir registre du temps et de l'ordre des choses, il arrive néanmoins assez souvent que certaines qualités peu communes se présentent si tard à l'esprit, qu'il y a peu de gens qui ne puissent rappeler le souvenir du temps auquel ils ont commencé à les

connaître et, si cela en valait la peine, il est certain qu'un enfant pourrait être conduit de telle sorte qu'il aurait fort peu d'idées, même des plus communes, avant que d'être homme fait. Mais tous ceux qui viennent dans ce monde, étant d'abord environnés de corps qui frappent leurs sens continuellement et en différentes manières, une grande diversité d'idées se trouvent gravées dans l'ame des enfants, soit qu'on prenne soin de leur en donner la connaissance, ou non. La lumière et les couleurs sont toujours en état de faire impression par-tout où l'œil est ouvert pour leur donner entrée. Les sons, et certaines qualités qui concernent l'attouchement, ne manquent pas non plus d'agir sur les sens qui leur sont propres, et de s'ouvrir un passage dans l'ame. Je crois pourtant qu'on m'accordera sans peine que, si un enfant était retenu dans un lieu où il ne vit que du blanc et du noir, jusqu'à ce qu'il devînt homme fait, il n'aurait pas plus d'idée de l'écarlate ou du vert, que celui qui, dès son enfance, n'a jamais goûté ni ananas ni huître, n'en a du goût particulier de ces deux choses.

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Les hommes reçoivent plus ou moins de ces Idées, selon que différents objets se présentent à

eux.

Par conséquent, les hommes reçoivent de dehors plus ou moins d'idées simples, selon que les objets qui se présentent à eux leur en fournissent une diversité plus ou moins grande, comme ils en reçoivent aussi des opérations intérieures de leur esprit, selon qu'ils y réfléchissent plus ou moins. Car, quoique celui qui examine les opérations de son esprit ne puisse qu'en avoir des idées claires et distinctes, il est pourtant certain que, s'il ne tourne pas ses pensées de ce côté-là, pour faire une attention particulière sur ce qui se passe dans son ame, il sera aussi éloigné d'avoir des idées distinctes de toutes les opérations de son esprit, que celui qui prétendrait avoir toutes les idées particulières qu'on peut avoir d'un certain paysage, ou des parties et des divers mouvements d'une horloge, sans avoir jamais jeté les yeux sur ce paysage, ou sur cette horloge, pour en considérer exactement toutes les parties. L'horloge ou le tableau peuvent être placés d'une telle manière, quoiqu'ils se rencontrent tous les jours sur son chemin,

qu'il n'aura que des idées fort confuses de toutes leurs parties, jusqu'à ce qu'il se soit appliqué avec attention à les considérer chacuné en particulier.

§ 8.

Les Idées qui viennent par réflexion sont plus tard dans l'esprit, parce qu'il faut de l'attention pour les découvrir.

Et de là nous voyons pourquoi il se passe bien du temps avant que la plupart des enfants aient des idées des opérations de leur propre esprit, et pourquoi certaines personnes n'en connaissent ni fort clairement ni fort parfaitement la plus grande partie, pendant tout le cours de leur vie. La raison de cela est que, quoique ces opérations soient continuellement excitées dans l'ame, elles n'y paraissent que comme des visions flottantes, et n'y font pas d'assez fortes impressions pour en laisser dans l'ame des idées claires, distinctes et durables, jusqu'à ce que l'entendement vienne à se replier, pour ainsi dire, sur soi-même, à réfléchir sur ses propres opérations, et à en faire l'objet de ses propres contemplations. Les enfants ne sont pas plus tôt au monde, qu'ils se trouvent environnés d'une infinité de choses nouvelles, qui, par l'impression continuelle qu'elles font sur leurs

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