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Cette conclusion, une fois reçue, a délivré les paresseux de la peine de faire des recherches sur tout ce qui était déclaré inné, et a empêché ceux qui doutaient, de songer à s'en instruire par eux-mêmes. D'ailleurs, ce n'est pas un petit avantage pour ceux qui font les maîtres et les docteurs, de poser, pour principe de tous les principes, que , que les principes ne doivent point étre mis en question (26); car, ayant une fois établi qu'il y a des principes innés, ils mettent leurs sectateurs dans la nécessité de recevoir certaines doctrines comme innées, et leur ôtent, par ce moyen, l'usage de leur propre raison, en les engageant à croire et à recevoir ces doctrines sur la foi de leur maître sans aucun autre examen de sorte que ces pauvres disciples, devenus esclaves d'une aveugle crédulité, sont bien

(26) « Si le dessein de l'auteur est de conseiller qu'on << cherche les preuves des vérités qui en peuvent recevoir, <«< sans distinguer si elles sont innées ou non, nous sommes « entièrement d'accord; et l'opinion des vérités innées, de « la manière que je les prends, n'en doit détourner per<«<sonne; car, outre qu'on fait bien de chercher la raison « des instincts, c'est une de mes grandes maximes, qu'il est « bon de chercher la démonstration des axiomes même: pour <«< ce qui est du principe de ceux qui disent qu'il ne faut « point disputer contre celui qui nie les principes, il n'a lieu « entièrement qu'à l'égard de ces principes qui ne sauraient • recevoir ni doute, ni preuve. »

plus aisés à gouverner, et deviennent beaucoup plus utiles à une certaine espèce de gens, qui ont l'adresse et la charge de leur donner des principes, et de diriger leur conduite. Or, ce n'est pas un petit pouvoir que celui qu'un homme prend sur un autre, lorsqu'il a l'autorité de lui inculquer tels principes qu'il veut, comme autant de vérités qu'il ne doit jamais révoquer en doute, et de lui faire recevoir comme un principe inné tout ce qui peut servir à ses propres fins.

par

Mais si, au lieu d'en user ainsi, l'on eût examiné les moyens par où les hommes viennent à la connaissance de plusieurs vérités universelles, `on aurait trouvé qu'ellés sé forment dans l'esprit la considération exacte des choses mêmes, et qu'on les découvre par l'usage de ses facultés, qui, par leur destination, sont très-propres à nous faire recevoir ces vérités, et à nous en faire juger droitement, si nous les appliquons comme il faut à cette recherche.

$ 25.

Conclusion.

Je me propose, dans le livre suivant, de montrer comment l'entendement y procède; mais j'avertirai d'avance, qu'afin de me frayer le che

min à la découverte de ces fondements, qui sont les seuls, à ce que je crois, sur lesquels les notions que nous pouvons avoir de nos propres connaissances puissent être solidement établies, j'ai été obligé de rendre compte des raisons que j'avais de douter qu'il y ait des principes innés. Et parce que, parmi les arguments qui combattent ce sentiment, il y en a quelques-uns qui sont fondés sur les opinions vulgaires, j'ai été contraint de supposer plusieurs choses; ce qu'on ne peut guère éviter lorsqu'on s'attache uniquement à montrer la fausseté ou l'inconsistance de quelque sentiment particulier. Dans les controverses, il arrive la même chose que dans le siége d'une ville, où, pourvu que la terre sur laquelle on veut dresser les batteries soit ferme, on ne se met point en peine d'où elle est prise, ni à qui elle appartient, pourvu qu'elle serve au besoin présent. Mais, comme je me propose, dans la suite de cet ouvrage, d'élever un bâtiment uniforme, et dont toutes les parties soient bien jointes ensemble, autant que mon expérience et les observations que j'ai faites me le pourront permettre, j'espère de le construire de telle manière sur ses propres fondements, qu'il ne faudra ni piliers ni arcs-boutants pour le soutenir. Que si l'on montre, en le minant, que c'est un château bâti en l'air, je ferai du moins

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en sorte qu'il soit tout d'une pièce, et qu'il ne puisse être enlevé que tout-à-la-fois. Au reste, j'avertirai ici mon lecteur de ne pas s'attendre à des démonstrations incontestables, à moins qu'on ne m'accorde le privilége que d'autres s'attribuent assez souvent, de supposer mes principes comme autant de vérités reconnues, auquel cas je ne serai pas en peine de faire aussi des démonstrations. Tout ce que j'ai à dire en faveur des principes sur lesquels je vais fonder mes raisonnements, c'est que j'en appelle uniquement à l'expérience et aux observations chacun peut que peut faire par soi-même sans aucun préjugé, pour savoir s'ils sont vrais ou faux : et cela suffit pour une personne qui ne fait profession que d'exposer sincèrement et librement ses propres conjectures sur un sujet assez obscur, sans autre dessein que de chercher la vérité avec un esprit dépouillé de toute prévention.

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LIVRE SECOND.

DES IDÉES.

CHAPITRE PREMIER.

Ou L'ON TRAITE DES IDÉES EN GÉNÉRAL ET DE LEUR

ORIGINE

ET OU L'ON EXAMINE, PAR OCCASION,

SI L'AME DE L'HOMME PENSE TOUJOURS.

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Ce qu'on nomme idée, est l'objet de la pensée.

CHAQUE homme étant convaincu en lui-même qu'il pense, et ce qui est dans son esprit, lorsqu'il pense, étant des idées qui l'occupent actuellement, il est hors de doute que les hommes ont plusieurs idées dans l'esprit, comme celles qui sont exprimées par ces mots : blancheur, dureté, douceur, pensée, mouvement, homme, éléphant, armée, meurtre, et plusieurs autres.

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