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SIMPLE DISCOURS

DE PAUL-LOUIS,

VIGNERON DE LA CHAVONNIÈRE,

AUX MEMBRES DU CONSEIL

DE LA COMMUNE DE VÉRETZ,

DÉPARTEMENT D'INDRE-ET-LOIRE,

A L'OCCASION D'UNE SOUSCRIPTION PROPOSÉE PAR SON

EXCELLENCE LE MINISTRE DE L'INTÉRIEUR,

POUR L'ACQUISITION DE CHAMBORD.

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Si nous avions de l'argent à n'en savoir que faire, toutes nos dettes payées, nos chemins réparés, nos pauvres soulagés, notre église d'abord (car Dieu passe avant tout), pavée, recouverte et vitrée, s'il nous restait quelque somme à pouvoir dépenser hors de cette commune, je crois, mes amis, qu'il faudrait contribuer, avec nos voisins, à refaire le pont de Saint-Avertin, qui, nous abrégeant d'une grande lieue le transport d'ici à Tours, par le prompt débit de nos denrées, augmenterait le prix et le produit des terres dans tous ces environs; c'est-là, je crois, le meilleur emploi à faire de notre superflu, lorsque nous en aurons. Mais d'acheter Cham bord pour le duc de Bordeaux, je n'en suis pas d'avis et ne le voudrais pas quand nous aurions de quoi, l'affaire étant, selon moi, mauvaise pour lui, pour nous et pour Chambord. Vous l'allez comprendre, j'espère, si vous m'écoutez; il est fête, et nous avons le temps de causer.

Douze mille arpents de terre enclos que contient le parc de Chambord, c'est un joli cadeau

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à faire à qui les saurait labourer. Vous et moi connaissons des gens qui n'en seraient pas embarrassés, à qui cela viendrait fort bien; mais lui, que voulez-vous qu'il en fasse ? Son métier, c'est de régner un jour, s'il plaît à Dieu, et un château de plus ne l'aidera de rien. Nous allons nous gêner et augmenter nos dettes, remettre à d'autres temps nos dépenses pressées, pour lui donner une chose dont il n'a pas besoin, qui ne lui peut servir et servirait à d'autres. Ce qu'il lui faut pour régner, ce ne sont pas des châteaux, c'est notre affection; car il n'est sans cela couronne qui ne pèse. Voilà le bien dont il a besoin et qu'il ne peut avoir en même temps que notre argent. Assez de gens là-bas lui diront le contraire, nos députés tous les premiers, et sa cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles; que notre dévouement croît avec le budget. Mais, s'il en veut savoir le vrai, qu'il vienne ici, et il verra sur ce point-là et sur bien d'autres, nos sentiments fort différents de ceux des courtisans. Ils aiment le prince en raison de ce qu'on leur donne, nous, en raison de ce qu'on nous laisse ; ils veulent Chambord pour en être, l'un gouverneur, l'autre concierge, bien gagé, bien logé, bien nourri, sans faire œuvre, et peu leur importe du

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reste. L'affaire sera toujours bonne pour eux. quand elle serait mauvaise pour le prince, comme elle l'est, je le soutiens; acquérant de nos deniers pour un million de terres, il perd pour cent millions au moins de notre amitié ; Chambord, ainsi payé, lui coûtera trop cher; de telles acquisitions le ruineraient bientôt, s'il est vrai ce qu'on dit, que les rois ne sont riches que de l'amour des peuples. Le marché paraît d'or pour lui, car nous donnons et il reçoit : il n'a que la peine de prendre; mais lui, sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop, s'il diminue son capital dans le cœur de ses sujets : c'est spéculer fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille ainsi n'est pas de ses amis, ou, comme dit l'autre, mieux vaudrait un sage ennemi.

Mais quoi! je vous le dis, ce sont les gens de cour dont l'imaginative enfante chaque jour ces merveilleux conseils; ils ont plutôt inventé cela que le semoir de Fehlemberg ou bien le bateau à vapeur. On a eu l'idée, dit le ministre, de faire acheter Chambord par les communes de France, le duc de pour Bordeaux. On a eu cette pensée ! qui done? Est-ce le ministre? il ne s'en cacherait pas, ne se contenterait pas de l'honneur d'approuver en pareille occasion. Le prince ? à

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