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ressource. Qui sèmera leur champ? qui fera leurs travaux, pendant six mois de prison ou plus? Qui prendra soin de leurs familles? Et sortis, s'ils en sortent, que deviendront-ils après? mendiants ou voleurs par force; nouvelle matière pour le zèle de M. le procureur

du roi.

Tu

Ici scène moins grave, il s'agit de préséance. A l'église c'était grande cérémonie, office pontifical, cierges allumés, faux-bourdon, procession, cloches en branle; le concours des fidèles et cet ordre pompenx faisaient plaisir à voir. Au beau milieu du choeur, deux champions couverts d'or, se gourment, s'apostrophent. Ote-toi. — Non, c'est ma place. C'est la mienne. ments. Coups de pied, coups de poing. Tu n'es pas royaliste. Je le suis plus que toi. -Non, mais moi plus que toi. Je te le prouverai, je te le ferai voir. Notre mère sainte église, affligée du scandale, y voulut mettre fin; le ministre du Très-Haut arrive crossé, mitré. Ah, monsieur le général, ah monsieur le commandant de la garde nationale! Mon cher comte! mon cher chevalier ! Laissezlà cette chaise, monsieur le général; rengaînez votre épée, monsieur le commandant.

Par malheur le payeur ne se trouvait pas là, car il eût apaise la noise tout d'abord, en

faisant savoir à ces messieurs ce que chacun d'eux touche par mois du gouvernement; on eût pu calculer, en francs, de combien l'un était plus royaliste que l'autre, et régler les rangs sans dispute. La charge de payeur devrait toujours s'unir à celle de maître des cérémonies. Je l'ai dit à Perceval, un de nos députés; il en fera la proposition dès qu'il sera conseiller d'état.

Mais dites-moi, je vous prie, vous qui avez couru, sauriez-vous un pays où il n'y eût ni gendarmes, ni rats de cave, ni maire, ni procureur du roi, ni zèle, ni appointements (je voulais dire dévouement; n'importe, c'est tout un), ni généraux, ni commandants, ni nobles, ni vilains qui pensent noblement? Si vous savez un pays sur la mappe-monde, montrez-le-moi, et me procurez un passeport.

tel

Voilà Perceval en bon chemin. Secrétaire de la guerre! cela s'appelle tirer son épingle du jeu. C'est un habille garçon; il n'en demeurera pas là tant vaut l'homme, tant vaut la députation. Les sots n'attrapent rien; quelques-uns y mettent du leur. Il n'ose, dit-on, revenir ici de peur de la sérénade. Quelle foiblesse ! je me moquerais et de la sérénade et de mes commettants. Bellart n'en est pas mort à Brest. Un autre de nos dépu

tés, M. Gouin Moisan, est ici un peu fâché, à ce qu'on dit, de n'avoir pu encore rien tirer des ministres, ni pour lui, ni pour sa famille. Ce M. Gouin Moisan est un honnête marchand que la noblesse méprise, et qui vote avec elle, sans qu'elle le méprise moins, comme vous pensez bien. Pour les services par lui rendus au parti gentilhomme, il voudrait qu'on le fît noble; il se contenterait du titre de baron. La noblesse française n'a point de baron Gouin, et s'en passe volontiers; mais Gouin ne se passe pas de noblesse. Depuis trois ans entiers, il se lève, il s'assied avec le côté droit, dans l'espérance d'un parchemin. Quand on peut à ce prix rendre les gens heureux, il faut avoir coeur bien ministériel pous les laisser languir. Le service des nobles est dur et profite peu; on leur sacrifie tout; on renie ses amis, ses œuvres, ses paroles; on abjure le vrai; toujours dire et se dédire, parler contre son sens; combattre l'évidence et mentir sans tromper; je ne m'étonne pas que de Serre en soit malade. Renoncer à toute espèce de bonne foi, d'approbation de soi-même et d'autrui; affronter le haro, l'indignation publique! pour qui? pour des ingrats qui vous paient d'un cordon et disent: Le sieur Laisné, le nommé de Villèle, un certain Donnadieu. Eh! bonjour,

mon ami, votre père fait-il toujours de bons souliers? Çà, vous dînerez chez moi, quand je n'aurai personne. Voilà la récompense. Va pour de telles gens, va trahir ton mandat, et livre à l'étranger ta patrie et tes dieux. Ainsi parle un vilain dégoûté de bien penser; mais la moindre faveur d'un coup d'œil caressant le rengage comme Sosie, et fait taire la conscience, la patrie et le mandat.

Nous en allons faire de nouveaux, je dis des députés, Dieu sait quels, blancs ou noirs, mais bonnes gens, à coup sûr. En attendant ce jour, on rit de la querelle de Paul et du préfet; c'est affaire d'élection. Paul veut être électeur; le préfet ne veut pas qu'il le soit, et lui fait la plus plaisante chicane.... Paul n'a pas de domicile, dit le préfet, attendu qu'il a été soldat, il a femme et enfant dans ce département, cultive son héritage, habite la maison de son père et de son grand-père, paie treize cents francs d'impôts; tout cela n'y fait rien. Il a été soldat pendant seize ans, rebelle aux puissances étrangères, aux cabinets de l'Europe; il a quitté le pays. Que ne restait-il chez lui? ou, s'il eût émigré.... C'est un mauvais sujet, un vagabond indigne d'être même électeur. Cette bouffonnerie réjouit toute la ville, et le département, et le bonhomme Paul, qui, labourant son champ,

se moque des cabinets. Adieu : portez-vous bien; que tout ceci soit entre nous.

SECONDE

LETTRE PARTICULIÈRE.

Tours, 28 novembre 1820.

Vous êtes babillard, et vous montrez mes lettres, ou bien vous les perdez, elles vont de main en main et tombent dans les journaux. Le mal serait petit ši je ne vous mandais que les nouvelles du Pont-Neuf; mais de cette façon tout le monde sait nos affaires. Et croyezvous, je vous prie, moi qui ai toujours fui la mauvaise compagnie, que je prenne plaisir à me voir dans la Gazette ?

Notre vigne n'est point si chétive qu'on le voudrait bien faire croire. Les vieilles souches, à vrai dire, sont pourries jusqu'au cœur, et le fruit n'en vaut guère; mais un jeune plant s'élève, qui va prendre le dessus et couvrir tout bientôt. Laissez-le croître avec cette vigueur, cette sève, seulement cinq ou six ans encore, et vous m'en direz des nouvelles.

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