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poéte affez célébrè, qui étoit de l'île de Céos l'une des Cyclades dans la mer Egée, à qui il paioit une groffe penfion, & faifoit de riches préfens. Le deffein de ces Princes, en faisant venir ainfi des gens favans à Athénes, étoit, dit Platon, d'adoucir & de cultiver l'efprit de leurs citoiens & de leur infpirer du goût pour la vertu, en leur en infpirant pour les sciences. Il n'y eut pas jufqu'aux gens de la campagne qu'ils fongérent à inftruire, en faifant ériger, non-feulement dans toutes les rues de la ville, mais fur tous les chemins publics, des ftatues de pierres, appellées Mercures, où étoient infcrites de graves fentences propres à former les mœurs, qui par de muettes leçons inftruifoient tous les paffans. Platon femble fuppofer qu'Hipparque avoit l'autorité, ou que les deux freres régnoient enLib. 6. p. 215. femble. Mais Thucydide démontre que ce fut Hippias qui fuccéda à fon pere, comme l'aîné de ses enfans.

Thucyd. 1. 6. pag. 445-450.

Quoiqu'il en foit, leur régne en tout, depuis la mort de Pififtrate, ne dura que dix-huit ans ; & voici comme il finit.

nes,

Harmodius & Ariftogiton, tous deux citoiens d'Athéétoient liés d'une amitié très-étroite. Hipparque, mécontent du premier pour une injure perfonnelle qu'il prétendoit en avoir reçue, chercha à s'en venger fur fa fœur par un affront public qu'il lui fit, en l'obligeant de fe retirer honteufement d'une proceffion folennelle où elle devoit porter une corbeille facrée, fous pretexte qu'elle n'étoit point en état d'affifter à cette cérémonie. Le frere, & encore plus fon ami, piqués jufqu'au vif d'une fi fanglante injure, prirent dès lors la réfolution d'attaquer les Tyrans. Ils attendirent pour cela l'occafion d'une fête, qui leur parut très-favorable pour leur deffein: c'étoit celle des Pa nathénées, où la cérémonie de la fête demandoit que tous les artisans fuffent en armes. Pour plus grande fûreté, ils n'avoient mis dans leur fecret qu'un très-petit nombre de citoiens, comptant qu'au premier mouvement tous les autres fe joindroient à eux. Le jour arrivé, ils vinrent de bonne heure dans la place armés de leurs poignards. Hippias, forti du palais, alla dans le Céramique, qui étoit un fieu hors de la ville, où étoit pour lors la compagnie des

Gardes, & il y donna les ordres néceffaires pour la cérémonie. Les deux amis l'y avoient fuivi. Ils virent un des conjurés qui s'entretenoit familiérement avec lui. Ils crurent qu'ils étoient trahis. Ils auroient bien exécuté dans le moment même leur deffein fur Hippias: mais ils vouloient commencer par l'auteur de l'affront qu'ils vengeoient. Ils retournent donc à la ville, & aiant rencontré Hipparque, ils le tuent. Mais aiant été arrétés sur le champ, eux-mêmes furent tués, & Hippias trouva le moien de diffiper cet

orage.

Depuis ce tems-là il ne garda plus de mefures, & régna véritablement en tyran, faifant mourir un grand nombre de citoiens. Pour fe mettre à l'abri d'une pareille entreprife, & fe préparer une retraite fûre en cas d'accident, il chercha de l'appui au-dehors, & donna fa fille en mariage au fils du Tyran de Lampfaque.

Cependant les Alcméonides, qui dès le commencement Herod. lib. 5. de la révolution avoient été exilés d'Athénes par Pififtrate, cap. 62-96. & qui voioient leur espérance trompée par le mauvais fuc

cès de la derniére confpiration, ne perdirent pas néan

moins

courage, & tournérent leurs vûes d'un autre côté. Comme ils étoient fort riches & fort puiffans, ils fe firent charger par les Amphictyons, qui formoient le Confeil public de la Gréce, de la construction du nouveau temple de Delphes, moiennant la fomme de trois cens talens, c'eft-à-dire trois cens mille écus. Généreux comme ils étoient, & d'ailleurs aiant leurs raifons pour en ufer ainfi, ils y mirent beaucoup du leur, & firent à leurs dépens toute la façade du temple de marbre de Pâros, quoiqu'elle ne dût être que de pierres, fuivant le marché qu'ils avoient fait avec les Amphictyons.

La libéralité des Álcméonides n'avoit pas été tout-àfait gratuite, ni leur magnificence à l'égard du dieu de Delphes un pur effet de religion. La politique y étoit entrée pour beaucoup, & y avoit eu la plus grande part. Ils avoient efpéré par ce moien fe faire un grand crédit dans le temple, & cela arriva comme ils l'avoient projetté. L'argent qu'ils répandirent à pleines mains dans celles de la Prétreffe, acheva de les rendre maîtres abfolus & de

l'oracle, & du dieu prétendu qui le rendoit, qui dans fa fuite, devenu leur écho, ne fit que répéter fidélement les paroles qu'ils lui avoient dictées, & leur préta avec une conftante reconnoiffance le fecours de fa voix & de fon autorité. Toutes les fois donc qu'il venoit quelque Spartiate confulter la Prétreffe, foit en fon nom, foit au nom de la République, elle ne lui promettoit l'affistance de fon dieu qu'à condition que les Lacédémoniens délivreroient Athénes du joug de la tyrannie. Elle leur répéta cet ordre tant de fois, qu'ils fe déterminérent enfin à faire la guerre aux Pififtratides, quoiqu'ils euffent avec eux les plus fortes liaisons d'amitié & d'hofpitalité, a préférant, dit Hérodote, la volonté de Dieu à toutes les confidérations humaines.

La premiére tentative leur réuffit mal, & les troupes qu'ils envoiérent contre le Tyran furent repouffées avec perte. Elle fut fuivie de près d'une feconde, qui paroiffoit ne devoir pas avoir un meilleur fuccès, parce que les Lacédémoniens, voiant que le fiége qu'ils avoient mis devant Athénes traînoit en longueur, s'étoient retirés pour la plûpart, & n'y avoient laiffé qu'un petit nombre de troupes. Mais les enfans du Tyran, qu'on avoit fait fortir furtivement de la ville pour les mettre ailleurs en fûreté, aianț été pris & arrétés, leur pere fut obligé, pour les racheter, d'en venir à un accommodement avec les Athéniens, & il AN. M. 3496. Convint de fortir de l'Attique dans l'intervalle de cinq Av. J.C. 5o8. jours. Il fe retira en effet dans le tems marqué, après avoir régné dix-huit ans, & s'établit à Sigée, ville de la Phrygie, fituée à l'embouchure du fleuve Scamandre.

Plin. lib. 34.

cap. 4.

Pline remarque que les Tyrans furent chaffés d'Athènes la même année, que les Rois le furent de Rome. On rendit des honneurs extraordinaires à la mémoire d'Harmodius & d'Ariftogiton. Leur nom fut toujours infiniment ref pecté à Athènes dans la fuite des fiécles, & prefque égalé à celui des dieux. On leur érigea fur le champ des ftatues dans la place publique, honneur qui jufques-là n'avoit encore été rendu à perfonne. La vûe feule de ces ftatues, expofées en spectacle aux yeux de tous les citoiens, rallumoit 2 Τὰ γὰρ τὸ θεῖ πρεσβύτερᾳ ἐποιεῦντο, ἢ τὰ τῶν ἀνδρῶν.

en eux la haine & l'exécration de la tyrannie, & renouvelloit de jour en jour dans leurs efprits une vive reconnoiffance pour ces généreux défenfeurs de la liberté, qui n'avoient pas craint de lui facrifier leur vie, & de la fceller de leur fang. Alexandre le Grand, qui favoit combien leur 1bid. cap. 8. fouvenir étoit préfent aux Athéniens, & jufqu'où ils portoient leur zêle à cet égard, crut leur faire un fenfible plaifir en leur renvoiant les ftatues de ces deux grands hommes qu'il trouva dans la Perfe après la défaite de Darius, & que Xerxès avoit autrefois enlevées d'Athénes. Paufanias attribue cette action à Séleucus Nicanor, l'un Paufan. in des fucceffeurs d'Alexandre: & il ajoute qu'il renvoia auffi aux Athéniens leur bibliothéque, que le même Xerxès avoit emmenée avec lui en Perfe.

Athénes, dans le tems qu'elle fut délivrée, n'avoit pas borné fa reconnoiffance aux feuls auteurs de fa liberté elle l'étendit jusqu'à une femme, qui fignala fon courage dans cette occafion. C'étoit une courtifane, appellée Lionne, qui par les charmes de fa beauté, & par fon adreffe à toucher la lyre, s'étoit particuliérement attaché Harmodius & Ariftogiton. Après leur mort, le Tyran qui favoit qu'ils n'avoient rien de caché pour cette femme, la fit mettre à la queftion pour tirer d'elle le nom des conju rés. Elle fouffrit les tourmens avec une conftance invincible, & expira au milieu des fupplices, montrant que fon fexe eft plus courageux & plus capable de fecret qu'on ne penfe. Les Athéniens ne laifférent pas périr la mémoire d'une action fi glorieufe. Sa qualité de courtisane fembloit en ternir l'éclat: ils la diffimulérent, & la couvrirent, en érigeant à fon honneur une ftatue de Lionne, qui étoit fans langue.

Attic.

Plin. lib. 7.

cap. 23. & lib.

34. cap. 8.

Plutarque, dans la vie d'Ariftide raconte une chofe qui Pag. 335fait beaucoup d'honneur aux Athéniens, & qui marque jufqu'où alloit leur reconnoiffance pour leur Libérateur, & leur refpect pour fa mémoire. Ils apprirent que la petite fille d'Ariftogiton étoit à Lemnos, où elle vivoit dans un état très-pitoiable, fans pouvoir fe marier à cause de fon extrême mifère. Le peuple la fit venir à Athènes, & la mariant à un des plus riches & des plus confidérables par

tis de la ville, il lui donna pour dot une terre dans le bourg de Potamos.

Il fembloit qu'Athénes, en recouvrant fa liberté, eût auffi recouvré fon ancien courage. Sous les Tyrans, elle avoit agi avec lenteur & nonchalance, fachant que c'étoit pour eux qu'elle travailloit. Depuis qu'elle en fut délivrée, elle montra toute une autre activité, parce qu'elle travailloit pour elle-même.

Elle ne jouit pas d'abord néanmoins d'une tranquillité parfaite. Deux de fes citoiens, Clisthéne de la famille des Alcméonides, & Ifagoras, qui étoient les plus puiffans de la ville, fe difputant l'un à l'autre l'autorité, y formérent deux factions. Le premier, qui avoit attiré le peuple dans fon parti, en changea la conftitution, & au lieu des quatre Tribus dont il avoit été compofé jufques-là, il en etablit dix, aufquelles il donna les noms des dix enfans d'Ion, que les hiftoriens grecs donnent pour le pere & le premier auteur de la nation. Ifagoras, fe voiant inférieur en crédit à fon rival, eut recours aux Lacédémoniens. Cléoméne, l'un des deux Rois de Sparte, obligea Clifthéne de fortir de la ville avec sept cens familles qui étoient attachées à fon parti. Mais elles y rentrérent bientôt avec leur Chef, & furent rétablies dans tous leurs biens.

Les Lacédémoniens, piqués de dépit & de jalousie contre Athénes qui prétendoit ne point dépendre d'eux, & d'ailleurs fe repentant d'en avoir chaffé les Tyrans fur la foi d'un oracle dont ils avoient reconnu depuis la fourberie, fongérent à y rétablir Hippias, l'un des enfans de Pififtrate, & pour cet effet le firent venir de Sigée où il s'étoit retiré. Ils propoférent leur deffein dans une affemblée des Députés de leurs alliés, du fecours defquels ils vouloient fe fortifier pour ne point manquer leur coup. Le Député de Corinthe parla le premier. Il marqua fon étonnement, de ce que les Lacédémoniens, ennemis déclarés pour eux-mêmes de la tyrannie qu'ils avoient en horreur, vouloient l'établir ailleurs, & il mit dans tout fon jour l'injufte & cruelle domination des Tyrans, dont Corinthe fa patrie avoit fait tout récemment une trifte expérience. Tous les autres alliés applaudirent à

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