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Il l'étoit auffi de dire aucune injure à perfonne dans les temples dans les lieux où fe rendoit la juftice, dans les affemblées publiques, & dans les théatres pendant les Jeux. Car de ne pouvoir être nulle part le maître de fa colére, c'eft l'effet d'un naturel trop indocile & trop ef fréné: : comme de la retenir en tout tems & en toute occafion, c'est une vertu au-deffus des forces humaines, & une perfection qui étoit réfervée à la loi Evangélique.

Cicéron remarque que le fage Législateur d'Athénes, dont les réglemens étoient encore en vigueur de fon tems dans cette puiffante République, n'avoit fait aucune loi contre le parricide. Comme on lui en demandoit la raison, ail répondit qu'il lui fembloit que faire des loix & ftatuer des peines contre un crime inconnu & inoui jufques-là, c'eût été l'enseigner plutôt que le défendre.

Je paffe plufieurs loix fur le mariage & fur l'adultére, où l'on remarque des contradictions manifeftes, & un mélange de lumière & de ténébres, fort ordinaire aux plus éclairés des payens, qui n'avoient point de principe fixe. Quand Solon eut publié fes loix, & qu'on fe fut engagé par un ferment public à les obferver religieufement du moins pendant cent années, il jugea à propos de s'éloigner d'Athènes, pour leur laiffer le tems de prendre racine, & de fe fortifier par l'usage, pour fe délivrer luimême des importunités de ceux qui venoient le confulter fur l'intelligence de fes loix, & pour éviter auffi les plaintes& la haine de fes citoiens: car comme il le difoit lui-mêdans les grandes entreprises il eft difficile de plaire à tout le monde. Il fut abfent pendant dix ans. C'eft dans cet intervalle de tems qu'il faut placer fes voiages en Egypte, en Lydie chez le roi Créfus, & dans plufieurs autres pays.

me,

A fon retour, il trouva la ville toute en mouvement & AN. M. 3445. en trouble. Les trois anciennes factions s'étoient réveillées, Av. J.C.559. & formoient trois partis différens. Lycurgue étoit à la Plut.in Solon. tête de ceux de la plaine, Mégaclès, fils d'Alcméon, pag. 94.

a Sapienter feciffe dicitur, cùm de eo nihil fanxerit, quod antea commiffum non erat; ne, non tam

prohibere, quàm admonere vide-
retur. Pro Rofc. Amer. n. 70.

Herod. lib. 6.

étoit chef de ceux de la côte, Pififtrate s'étoit déclaré pour les montagnards, aufquels fe joignirent les artifans & les ouvriers qui vivoient de leurs bras, & qui en vou loient le plus aux riches. De ces trois Chefs, les deux derniers étoient les plus puiffans.

Mégaclès étoit fils de cet Alcméon, que Créfus avoit cap. 125-131. extrêmement enrichi pour un fervice particulier qu'il en avoit reçu. Il avoit de plus épousé une fille qui lui avoit apporté des biens immenfes en mariage: c'étoit Agarifte, fille de Clifthene tyran de Sicyone. Ce Clifthéne étoit le Prince le plus riche & le plus opulent qui fût alors dans la Gréce. Pour être en état de fe choisir un digne gendre, & dont il pût connoitre par lui-même les moeurs & le caractére, il invita tous les jeunes Seigneurs de la Gréce à venir paffer une année chez lui: c'étoit une coutume ancienne d'en user ainfi. Il en vint de plufieurs endroits au nombre de treize. C'étoient tous les jours des courses, des jeux, des tournois, des feftins magnifiques, des converfations où l'on agitoit toutes fortes de matières. L'un d'eux, qui jufques-là l'avoit emporté fur tous les autres, manqua ce mariage, parce que dans une danfe il avoit fait des geftes & des poftures qui déplurent infiniment à Clifthéne. Enfin, au bout de l'année, celui-ci se déclara pour Mégaclès, & renvoia les autres Seigneurs, après les avoir comblés d'honnêtetés & de préfens. Voila qui étoit Mégaclès.

Plut. pag. 95.

*

Pififtrate étoit un homme poli, doux, infinuant, promt à secourir les pauvres, fage & modéré envers fes ennemis, le plus habile des hommes à diffimuler, qui avoit tous les dehors de la vertu au-deffus même des plus vertueux, qui paroiffoit zélé défenfeur de l'égalité entre les citoiens, & abfolument déclaré contre toute innovation & tout changement. Il n'eut pas de peine à tromper le peuple par cet air impofant: mais Solon connut tout d'un coup où il tendoit par fes déguifemens & fes artifices. Cependant il le ménagea, dans le commencement, espé

*Il ne faut pas entendre ceux qui demandent l'aumône,Car en ce temslà, dit Ifocrate, il n'y avoit point de

citoien qui mourût de faim, ni qui en mendiant de: honorât fa ville. Orat. Areop. pag. 309.

*

il

rant peutêtre de le ramener doucement à fon devoir. En ce tems-là Thefpis commençoit à changer la Tra- Plut. pag. 95. gédie: car elle avoit été inventée avant lui. Ce fpectacle attira tout le monde par fa nouveauté. Solon alla comme les autres entendre Thefpis, qui jouoit lui-même selon la coutume des poètes anciens. Quand la piéce fut finie, appella Thefpis & lui demanda s'il n'avoit point de honte de mentir ainfi devant tant de gens. Thefpis lui répondit qu'il n'y avoit point de mal dans ces menfonges & dans ces fictions poétiques, qu'on ne faifoit que par jeu. Oui, repartit Solon en donnant un grand coup de fon bâton contre terre: mais fi nous fouffrons & approuvons ce beau jeu-là, il paffcra bientôt dans nos contrats & dans toutes nos affaires.

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Cependant Piniftrate pouffoit toujours fa pointe, & pour Herod. lib. arriver à fon but, il emploia une rufe qui eut tout le fuc- cap. 59-64. cès qu'il en attendoit. S'étant bleffé lui-même, & enfan- Plut. pag. 95. glanté par tout le corps, il fe fit il fe fit porter fur la place dans 96. un chariot, & excita la populace en lui faifant entendre que c'étoient fes ennemis qui l'avoient mis en cet état, & qu'il étoit la victime de fon zêle pour la République. On convoqua fur le champ l'affemblée du peuple, & il y fut réfolu, quelques remontrances que fit Solon au contraire, qu'on accorderoit cinquante gardes à Pifistrate pour la fûreté de fa perfonne. Il en augmenta bientôt le nombre autant qu'il lui plut, & par leur moien fe rendit maître de la citadelle. Tous fes ennemis prirent la fuite. Chacun trembloit dans la ville, & étoit dans le trouble, excepté Solon, qui reprochoit hautement aux Athéniens leur lâcheté, & au Tyran fa perfidie. Et comme on lui demanda ce qui pouvoit lui donner une telle affurance & une telle hardieffe: C'est ma vieillesse, dit-il. En effet il étoit fort âgé, & il fembloit ne hazarder pas beaucoup, étant

*La Tragédie étoit lontems avant Thefpis: mais ce n'étoit qu'un Chœur de gens qui chantoient, & qui fe difoient des injures. Thefpis fut le premier qui jetta dans ce Chœur un perfonnage, qui pour le délaffer, & lui

donner le tems de reprendre baleine,
récitoit une avanture de quelque per-
Jonnage illuftre. Et c'est ce récit qui
donna lieu enfuite aux fujets des
Tragédies.

près de finir fes jours: fi ce n'eft qu'il arrive fouvent qu'on devient plus attaché à la vie, à proportion qu'on a moins de raifon & de droit de fouhaiter qu'elle foit prolongée.

Mais Pififtrate, après avoir tout foumis, regardoit fa conquête comme imparfaite, s'il n'y ajoutoit celle de Solon. Bien inftruit des moiens par lefquels un vieillard peut être gagné, il n'y eut point de careffes qu'il ne lui fît, point de marques d'eftime & d'amitié qu'il ne lui donnât, en lui faifant toutes fortes d'honneurs, en l'appellant souvent près de fa perfonne, en fe déclarant hautement pour fes loix, qu'il obfervoit effectivement lui-même, & qu'il faifoit obferver par tous les autres. Solon voiant qu'il n'étoit pas poffible de porter Pifistrate à renoncer à la tyrannie, ni de la lui ôter, crut qu'il étoit de la prudence de ne pas irriter l'ufurpateur en rejettant les avances qu'il lui faifoit; & il espéra, qu'en entrant dans fa confidence & dans fon confeil, il feroit en état de rectifier au moins & de conduire une domination qu'il ne pouvoit abolir, & d'adoucir des maux qu'il n'avoit pu empécher.

Il ne furvéquit pas deux ans entiers à la liberté de sa patrie. Car Pifistrate s'étoit rendu maître d'Athènes fous I'Archonte Comias, la première année de l'Olympiade L I. & Solon mourut l'année fuivante fous l'Archonte Hégeftratus, qui fuccéda à Comías.

Les deux partis, qui avoient pour chefs Lycurgue & Mégaclès, s'étant réunis, chafférent Pifistrate d'Athénes. Il y fut bientôt rappellé par Mégaclès même, qui lui donna fa fille en mariage. Mais un différend, furvenu au fujet de ce mariage, les aiant brouillés de nouveau, les Alcméonides eurent du deffous, & furent obligés de fe retirer. Pifistrate fut détrôné deux fois; & deux fois il fut remonter fur le trône. Les artifices l'y placérent, la modération l'y maintint; & a fans doute que fon éloquence, fort grande au jugement même de Cicéron, le fit beaucoup goûter aux Athéniens, déja trop fenfibles aux charmes de la

a Pififtratus dicendo tantum vafuiffe dicitur, ut ei Athenienfes regium imperium oratione capti permitterent. Val. Max. lib. 8. cap. 9.

pa

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role, puifqu'ils leur firent oublier le foin de leur liberté.
Une exacte foumiffion aux loix le diftingua de ceux qui
comme lui avoient ufurpé l'autorité, & la douceur de fa
domination fit honte à plus d'un fouverain légitime. Auffi
a-t-il mérité qu'on l'oppofât aux autres tyrans. Cicéron,
dans l'incertitude de la maniére dont Céfar uferoit de la
victoire après la journée de Pharfale, manda à fon cher
Atticus: a Nous ne
Nous ne favons pas encore fi le deftin de Rome
veut, ou que nous gémiffions fous un Phalaris, ou que nous vi-
vions fous un Pififtrate.

Val. Max. t. Athen 1. 12. pag. 532.

5 cap. 1.

A. Gell. lib.

cap. 17.

En effet, ce Tyran, s'il faut l'appeller de ce nom, fe montra toujours fort populaire & fort modéré, jufqu'à fouffrir tranquillement les reproches & les injures qu'il pouvoit venger d'un feul mot. Ses jardins & fes vergers, étoient ouverts à tous les citoiens, en quoi il fut imité depuis par Cimon. On dit que ce fut lui qui le premier ouvrit une bibliothéque publique à Athénes, laquelle s'au- 6. gmenta beaucoup dans la fuite, & fut tranfportée en Perfe par Xerxès lorsqu'il prit la ville. Mais Seleucus Nicanor, lontems après, la fit raporter à Athénes. Cicéron Lib. 3. de croit que ce fut Pififtrate auffi qui le premier donna aux Athéniens la connoiffance des poèmes d'Homére; qui en difpofa les livres dans l'ordre où nous les avons, au lieu qu'auparavant ils étoient confus & dérangés ; & qui les fit réciter publiquement dans les fêtes qu'on appelloit Panathénées. Platon attribue cet honneur à fon fils Hipparque, In Hipparche. Pififtrate mourut tranquillement, & tranfmit à fes en- pag. 228. Arift. lib. 5. fans la fouveraineté qu'il avoit ufurpée il y avoit trente- de Rep. c. 12. ans, dont il en avoit régné dix-fept en paix,

trois

Orat. n. 137.

In Hip. pag.

Ses enfans étoient Hippias & Hipparque: Thucydide en AN. M. 3478. ajoute un troifiéme, qu'il appelle Theffalus. Il paroit qu'ils Av.J. C. 526. avoient hérité de leur pere le goût pour les lettres & pour les gens favans. Platon, qui attribue à Hipparque ce que nous avons dit des poèmes d'Homére, ajoute qu'il fit venir à Athénes le fameux poéte Anacréon, qui étoit de Téos ville d'Ionie, lui aiant envoié exprès un vaisseau à cinquante rames. Il avoit auffi chez lui Simonide, autre

a Incertum eft Phalarimne, an lib. 7. Ep. 19. Pififtratum, fit imitaturus. Ad Att.

Tome II.

H

228. & 229.

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