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DARIUS Conjure ceux-là, & il force les autres de monter fur leurs galéres: mais tous ces efforts & tout cet empreffement fu rent inutiles, les foldats étant difperfés çà & là. Car ils n'étoient pas plutôt defcendus fur le rivage, que les uns avoient couru aux vivandiers, les autres étoient allés fe promener dans la campagne, ceux-ci s'étoient mis à dormir dans leurs tentes, & ceux-là avoient commencé à préparer leur fouper. C'étoit l'effet du peu d'attention & du peu d'expérience de leurs Capitaines, qui ne foupçon nant pas le moindre danger, fe tenoient en repos, & y laiffoient leurs foldats.

Déja les ennemis fe portoient fur eux avec de grands cris & un grand bruit de rames, lorfque Conon fe dérobant avec neuf galéres, du nombre defquelles étoit la galére facrée nommée la Paralienne, prit la route de Cypre, & s'y retira auprès d'Evagore. Les Péloponnéfiens tombant fur les autres galères, enlévent d'abord celles qui font vuides, choquent & brisent celles qui commencent à fe remplir. Les foldats, qui accourent au fecours fans ordre & fans armes, font tués au pié des galéres où ils veulent monter; ou, prenant la fuite dans les terres, ils font taillés en piéces par les ennemis defcendus pour les pourfuivre. Lyfandre fit trois mille prifonniers, prit tous les Généraux, & fe rendit maître de toute la flote. Après avoir pillé le camp, & attaché à la poupe de fes galères celles des ennemis, il s'en retourna à Lampfaque au fon des flutes, & parmi les chants de triomphe. Il eut la gloire d'avoir exécuté avec très peu de perte un des plus grands exploits guerriers dont il foit parlé dans l'hiftoire, & d'avoir terminé dans l'efpace d'une heure une guerre qui avoit déja duré vingt sept ans, & qui peutêtre, fans lui, en auroit encore duré davantage. Lyfandre envoia auffitôt porter cette agréable nouvelle à Lacédémone.

Les trois mille prifonniers qu'on avoit faits à cette bataille, aiant été condannés à mort par le Confeil, Lyfandre appella Philoclès, l'un des Généraux Athéniens. C'étoit lui qui avoit fait précipiter du haut d'un rocher tous les prifonniers de deux galéres prifes fur les ennemis, 'une d'Andros, l'autre de Corinthe; & qui avoit autre.

fois perfuadé au peuple d'Athénes d'ordonner qu'on cou. NOTHUS. peroit le pouce de la main droite à tous les prifonniers de guerre, afin qu'ils fuffent hors d'état de manier la pique, & qu'ils ne puffent fervir qu'à la rame. Lyfandre le fit donc venir, & lui demanda à quoi il fe condannoit luimême, pour avoir porté fes citoiens à donner le cruel Décret dont on vient de parler. Philoclès, fans rien rabattre de fa fierté malgré l'extrémité du danger où il fe trouvoit, lui répondit : » N'accufe point des gens qui n'ont point de Juges; & puifque tu es vainqueur, ufe de tes droits, & fai contre nous ce que nous euffions fait con» tre toi, fi nous t'avions vaincu. En même tems il alla fe mettre au bain, prit enfuite un manteau magnifique, & marcha le premier au fupplice. Tous les prifonniers furent égorgés, à la réserve d'Adimante, qui s'étoit oppofé à ce Décret.

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Après cette expédition, Lyfandre alla avec sa flote par toutes les villes maritimes; & il ordonnoit à tous les Athéniens qui s'y trouvoient, de fe retirer au plutôt dans Athéfans leur permettre de prendre une autre route, & en leur déclarant qu'après un certain tems marqué il puniroit de mort tous ceux qu'il rencontreroit hors de la ville. Ce qu'il faifoit en habile politique, pour affamer la ville plus promtement, & la mettre hors d'état de foutenir un long fiége. Il s'appliqua enfuite à ruiner dans toutes les villes la Démocratie, & toutes les autres fortes de gouvernement, & il laiffa dans chacune un Gouverneur Lacédémonien, appellé Harmofte, & dix Archontes ou Magiftrats, qu'il tiroit des fociétés qu'il y avoit établies. Il s'affuroit par là en quelque forte le gouvernement général & comme la principauté de toute la Gréce, ne mettant en place que des perfonnes qui lui étoient entiérement at

tachées.

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DARIUS

AN. M. 3600.

Xenoph. Hel

len. lib. 2. p.
458-462.
Plut. in Lyf

§. VII. Athénes, affiégée par Lyfandre, capitule, &fe rend. Lyfandre y change la forme de gouvernement, y établit trente Commandans. Il envoie devant lui à Sparte Gylippe, avec tout l'or & l'argent qu'il avoit pris fur les ennemis. Décret de Sparte fur l'usage qu'on en doit faire. Ainfi finit la guerre du Péloponnéfe. Mort de Darius Nothus.

QUAND on apprit à Athénes, par un vaiffeau qui arAv. J.C. 404 riva de nuit dans le Pirée, la défaite entiére de l'armée, la confternation fut générale. On n'entendit qu'un cri de douleur & de désespoir dans toute la ville. Ils croioient pag. 440 441. déja voir l'ennemi aux portes. Ils fe repréfentoient les maux d'un long fiége & d'une cruelle famine, la ruine & l'incendie de la ville, les infultes d'un fier vainqueur, & la honteufe fervitude où ils alloient être livrés, plus triste pour eux & plus infupportable que les plus durs fupplices que la mort même. Le lendemain on convoqua l'affemblée, & il fut réfolu qu'on boucheroit tous les ports excepté un feul, qu'on repareroit les bréches, & qu'on feroit la garde pour se préparer à un fiége.

&

En effet Agis & Paufanias, les deux rois de Lacédémone, s'approchérent d'Athénes avec toutes leurs troupes. Lyfandre, bientôt après, aborda au port de Pirée avec cent cinquante voiles, & empécha qu'aucun navire n'y entrât & n'en fortît. Les Athéniens affiégés par terre & par mer, fans vivres, fans vaiffeaux, fans efpérance de fecours, & fans aucune ressource, rétablirent tous ceux qui avoient été flétris par quelque Décret, fans parler néanmoins de capituler, quoique plufieurs mouruffent déja de faim. Mais, quand on n'eut plus de blé, on députa vers Agis pour traiter avec Lacédémone, en confervant feulement la ville & le port, & abandonnant le refte. Il renvoia à Sparte les Députés, comme n'aiant pas le pouvoir de traiter. Lorfqu'ils furent arrivés à Sellafie fur la frontière de Lacédémone, & qu'ils eurent expofé leur commiffion aux Ephores, ils eurent ordre de fe retirer, & de revenir avec

d'autres

d'autres propofitions s'ils vouloient avoir la paix. Les NOTHUS. Ephores avoient demandé qu'on abbattît douze cens pas de murailles de part & d'autre du Pirée: mais un Athénien, qui ofa le confeiller, fut mis en prifon, & défense fut faite de proposer deformais rien de femblable.

Les chofes étant dans ce trifte état, Théraméne dit tout haut dans l'affemblée, que fi on vouloit l'envoier vers Lyfandre, il fauroit fi la propofition que faifoient les Lacédémoniens de démanteler la ville, étoit pour la ruiner plus aisément, ou pour l'empécher de fe revolter. Les Athéniens l'aiant député, il fut plus de trois mois fans revenir, apparemment pour les obliger par l'extrémité de la famine à accepter les conditions qu'on leur propoferoit quelles qu'elles fuffent. Il dit à fon retour que Lyfandre l'avoit arrété tout ce tems-là, & qu'à la fin on lui avoit dit qu'il s'adreffat aux Ephores. Il fut donc renvoié lui dixième à Lacédémone, avec plein pouvoir de traiter. Quand ils Y furent arrivés, les Ephores leur donnérent audience dans l'affemblée générale, où les Corinthiens, & plufieurs autres alliés, particulièrement ceux de Thebes, foutinrent qu'il faloit détruire abfolument la ville, fans plus parler de traité. Mais les Lacédémoniens, préférant la gloire & la fûreté de la Grèce à leur propre grandeur, répondi rent qu'il ne leur feroit jamais reproché d'avoir détruit une ville qui avoit rendu à toute la Grèce de fi grands services, dont le fouvenir devoit faire fur l'efprit des alliés une plus forte impreffion, que le reffentiment des injures particulières qu'ils en avoient reçues. La paix fut donc faite à ces conditions: » Qu'on démoliroit les fortifications » du Pirée, avec la longue muraille qui joignoit le port » à la ville; que les Athéniens livreroient toutes leurs ga » léres à la réserve de douze, qu'ils abandonneroient tou»tes les villes dont ils s'étoient emparés, & fe contente» roient de leurs terres & de leur pays; qu'ils rappelle» roient leurs bannis, & qu'ils feroient ligue offenfive & » défenfive avec les Lacédémoniens, & les fuivroient par >>tout où ils les voudroient mener.

Les Députés étant de retour, furent environnés d'une foule innombrable de peuple, qui appréhendoit qu'on Tome II,

Xxx

DARIUS n'eût rien conclu: car on ne pouvoit plus tenir à cause de la multitude de ceux qui mouroient tous les jours de faim, Le lendemain ils rendirent compte de leur négociation: le traité fut ratifié malgré l'oppofition de quelques particuliers ; & Lyfandre, fuivi des bannis, entra dans le port. C'étoit le jour même où les Athéniens avoient gagné autrefois la bataille navale de Salamine. Il fit démolir les murailles au fon des flutes & des trompettes, avec toutes les marques extérieures d'une joie & d'une allégreffe extraordinaire, comme fi toute la Gréce eût recouvré ce jour-là fa liberté. Ainfi fut terminée la guerre du Pélo. ponnéfe, après avoir duré l'espace de vingt-fept ans.

Lyfandre, fans donner aux Athéniens le tems de fe reconnoitre, changea toute la forme de leur gouvernement, établit dans la ville trente Archontes, ou plutôt trente Tyrans, mit une bonne garnison dans la citadelle, & y laiffa pour Harmofte ou Gouverneur le Spartiate Callibius. Agis licentia fon armée. Lyfandre, avant que de congé dier la fienne, s'avança vers Samos, qu'il preffa fi vivement, qu'il l'obligea enfin de capituler. Après y avoir ré tabli les anciens habitans, il fongea à retourner à Sparte avec les galéres des Lacédémoniens, celles du Pirée, & les éperons des autres qu'il avoit prifes.

Il avoit envoié devant lui Gylippe, qui avoit commandé l'armée en Sicile, pour porter à Lacédémone l'argent & les dépouilles, qui étoient le fruit de fes glorieufes campagnes. L'argent, fans compter les couronnes d'or fans nombre que les villes lui avoient données, montoit à quinze cens talens, c'est-à-dire à quinze cens mille écus. Gylippe, por teur d'une fomme fi confidérable, ne put réfifter à la tentation de s'en approprier quelque partie. Les facs étoient fcellés d'un cachet, & fembloient ne laiffer aucun lieu au vol. Il les découfit par le fond, & après avoir tiré de chaTrois cens cun l'argent qu'il voulut, qui montoit à trois cens talens, mille écus. il les recoufit fort proprement, & fe crut bien en fureté.

Mais, quand il fut arrivé à Sparte, les bordereaux qu'on avoit mis dans chaque fac le décélérent. Pour éviter le fupplice, il fe bannit lui-même de Sparte, emportant par tout la honte d'avoir terni par une fi baffe & fi fordide avarice la gloire de toutes fes belles actions.

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