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» auroit tôt ou tard enlevée : mais je ne puis auffi ne pas NoтHUS.

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fentir la plaie cruelle que leur mort a faite à mon cœur, » & ne point haïr & détefter les Athéniens, auteurs de » cette malheureufe guerre, comme les homicides & les » meurtriers de mes enfans. Cependant, je ne puis le diffimuler, je fuis moins fenfible à ma douleur, qu'à l'hon»neur de ma patrie: & je la voi prête à fe deshonorer » pour toujours par le cruel avis qu'on vous propofe. Les Athéniens, il eft vrai, méritent toutes fortes de fupplices » & de mauvais traitemens pour l'injufte guerre qu'ils nous » ont déclarée: mais les dieux, juftes vengeurs du crime, » ne les ont-ils pas affez punis, & ne nous ont-ils pas affez » vengés? Quand leurs Chefs ont mis bas les armes, & fe » font rendus à nous, n'a-ce pas été dans l'efpérance de » conferver leur vie : & pouvons-nous la leur ôter, fans en» courir le jufte reproche d'avoir violé le droit des gens, » & d'avoir deshonoré notre victoire par une barbare » cruauté? Quoi! vous fouffrirez que votre gloire foit ainsi » flétrie dans tout l'univers, & qu'on dife qu'un peuple, qui le premier a érigé un temple dans fa ville à la Miséricorde, n'en a point trouvé dans la vôtre? Sont-ce les » victoires & les triomphes qui rendent à jamais illuftre une ville, & non pas la clémence pour des ennemis vain» cus, la modération dans la plus grande profpérité, » & la crainte d'irriter les dieux par un orgueil fier & infolent ? Vous n'avez point fans doute oublié que ce mê » me Nicias, fur le fort duquel vous êtes prêts pronon» cer, eft celui qui plaida votre caufe dans l'affemblée des Athéniens, & qui emploia tout fon crédit & toute fon éloquence pour les détourner de vous faire la guerre. » Une sentence de mort prononcée contre ce digne Chef, » est-elle donc une jufte récompenfe du zêle qu'il a té. moigné pour vos intérêts. Pour moi, la mort me fera » moins triste, que la vûe d'une telle injuftice commise " par ma patrie & par mes concitoiens.

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Le peuple parut touché par ce difcours, d'autant plus que voiant paroitre ce Vieillard fur la Tribune, il s'étoit attendu qu'il alloit demander vengeance contre les auteurs de tous fes maux, & non pas implorer fa clémence en leur

Tome II.

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DARIUS faveur. Mais les ennemis d'Athénes aiant exagéré avec force & véhémence les cruautés inouies que cette République avoit exercées contre plufieurs villes de leurs ennemis & même de leurs anciens alliés, l'acharnement de fes Chefs contre Syracufe, & les maux qu'ils lui auroient fait fouffrir s'ils avoient été vainqueurs, la douleur & les gé miffemens d'une infinité de Syracufains, qui pleuroient la mort de leurs enfans & de leurs proches, dont les mânes ne pouvoient être appaifés que par le fang de leurs meurtrièrs: le peuple rentra dans fes premiers fentimens, & fuivit en tout l'avis de Dioclès. Gylippe fit de vains efforts pour obtenir que Nicias & Démofthéne fuffent conduits à Lacédémone, d'autant plus qu'ils étoient fes prifonniers. Sa demande fut rejettée avec hauteur & infulte, & les deux Généraux furent mis à mort.

Les perfonnes fages & modérées ne purent refufer des larmes à la fin tragique de ces deux grands hommes, & fur - tout à celle de Nicias, qui de tous ceux de fon tems paroiffoit le moins digne de cette infortune. Quand on fe rappelloit dans l'efprit les difcours qu'il avoit tenus & les remontrances qu'il avoit faites pour empêcher cette guerre,

&

que d'un autre côté l'on confidéroit l'attachement inviolable qu'il avoit toujours eu pour tout ce qui regarde la religion, la plupart étoient tentés d'accufer hautement la Providence, en voiant qu'un homme qui avoit toujours témoigné un refpect infini pour les dieux, & qui n'avoit jamais rien épargné quand il s'agiffoit de leur honneur & de leur culte, en étoit fi mal récompenfé, & n'éprouvoit point une fortune plus heureufe que les plus méchans & les plus fcélérats des hommes. Il n'est pas étonnant que les malheurs des gens de bien infpiraffent de telles pensées aux payens, & les jettaffent dans le murmure & le décou ragement, vû qu'ils ne connoiffoient ni la fainteté de Dieu, ni la corruption de la nature humaine.

Les prifonniers furent enfermés dans des carrières, où ils fouffrirent des maux incroiables pendant l'efpace de huit mois, entaffés les uns fur les autres dans ces lieux étroits; exposés aux injures de l'air & du tems; brûlés pendant le jour par l'ardeur du foleil, puis glacés pendant

la nuit par les froids de l'autonne; empoisonnés par la NOTHUS. puanteur & de leur propre ordure, & des cadavres de ceux qui mouroient de leurs bleffures ou de la maladie; enfin confumés par la faim & par la foif, car on ne leur donnoit à chacun par jour qu'une petite mesure d'eau, & deux de farine. Ceux qu'on tira de là, deux mois après, pour les vendre comme efclaves, parmi lesquels fe trouvérent plufieurs citoiens qui avoient déguisé leur état, éprouvérent un fort moins fâcheux. Leur fageffe, leur patien ce, & un certain air de probité & de retenue, leur furent d'un grand fecours. Car ou ils furent bientôt mis en liberté, ou ils demeurérent auprès de leurs maîtres qui les traitérent avec toute forte d'eftime & de confidération. Il y en eut même plufieurs qui dûrent leur falut à Euripide, des piéces duquel ils avoient récité les plus beaux endroits aux Siciliens qui en étoient fort curieux; & à leur retour dans leur patrie, ils allérent le faluer comme leur libérateur, en lui racontant ce qui leur étoit arrivé à l'occafion de fes vers. LA NOUVELLE de la défaite aiant été portée à Athénes, on n'en voulut rien croire d'abord; & l'on étoit fi éloigné d'y ajouter foi, qu'on condanna au fupplice celui qui le premier l'avoit répandue. Mais quand on l'eut avérée, la confternation fut générale parmi les Athéniens; & comme fi ce n'avoit pas été eux qui euffent décerné la guerre, leur dépit & leur colére éclata & contre les orateurs qui avoient favorifé l'entreprise, & contre les devins qui par des oracles ou des prodiges fuppofés leur en avoient fait efpérer un heureux fuccès. Jamais ils ne s'étoient vûs dans un pareil état. On fe trouvoit fans cavalerie, fans infanterie, fans argent, fans galéres, fans matelots, en un mot dans le dernier defefpoir; de forte qu'on s'attendoit à toute. que les ennemis, enflés d'une fi grande victoire, & fortifiés par la revolte des alliés, viendroient fondre fur Athénes par mer & par terre avec toutes les forces du Péloponnéfe. Cicéron a a raison de dire, en parlant du combat naval donné dans le port de Syracufe, que c'est là que

heure

a Hic primùm opes illius civitatis victæ, comminutæ, depreffæque funt: in hoc portu Athenienfium

nobilitatis, imperii, gloriæ naufra-
gium factum exiftimatur. Cic. Ver
rin. 7.n.97.

Thucyd. 1. 8. pag. 551-553. rulit. p. 509.

Plut. de Gar

DARIUS les forces d'Athènes, auffibien que fes galéres, furent ruinées & coulées à fond; & que c'eft dans ce port que la gloire & la puiffance des Athéniens firent un funefte naufrage.

Ils ne fe laifférent pourtant point abbattre, & ne perdirent point courage. On réfolut d'amaffer de l'argent de tous côtés, & de faire venir du bois pour conftruire des vaiffeaux, afin de retenir les alliés dans leur devoir, & particulièrement l'île d'Eubée. On retrancha toutes les dépenfes fuperflues, & l'on établit un nouveau Confeil de vieillards, pour agiter les affaires avant que de les propo fer au peuple. Enfin l'on n'omit rien de tout ce qui pouvoit être utile dans la conjoncture préfente, l'allarme où l'on étoit & le danger commun rendant les efprits attentifs à tous les befoins de l'Etat, & dociles à tous les bons avis.

AN. M. 3591.

Thucyd. lib.

8. pag. 553.

CEL

CHAPITRE SECOND.

E CHAPITRE renferme l'hiftoire des huit derniéres années de la guerre du Péloponnése, pendant autant d'années de Darius Nothus roi de Perfe.

§. I. Suites de la défaite des Athéniens en Sicile. Revalte des alliés. Alcibiade devient puissant auprès de Tiffapherne.

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XIX & XX années de la guerre.

LA DEFAITE des Athéniens devant Syracuse, caufa Av. J.C. 413. de grands mouvemens dans toute la Grèce. Les peuples qui n'avoient point encore pris parti, & qui attendoient que l'événement les déterminât, réfolurent de fe déclarer contre eux. Les alliés des Lacédémoniens crurent que le tems étoit venu de fe délivrer pour toujours des dépenses d'une guerre qui leur étoit fort à charge, en achevant promtement la ruine d'Athénes. Ceux des Athéniens, qui ne les fuivoient que par contrainte, n'envisageant dans l'avenir aucune resource pour cette République après le

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terrible échec qu'elle venoit de recevoir, crurent devoir NOTHUS. profiter d'une conjoncture fi favorable pour fecouer le joug de la dépendance, & fe mettre en liberté. Ces difpofitions infpiroient aux Lacédémoniens de grandes vûes,qui étoient encore foutenues par l'efpérance dont ils fe flatoient leurs alliés de Sicile arriveroient au printems avec une armée navale, augmentée des débris de celle d'Athénes.

que

En effet, les peuples d'Eubée, ceux de Chio & de 1d. pag. 553Lesbos, & plufieurs autres, firent favoir aux Lacédémo- 558. niens qu'ils étoient prêts à quitter le parti d'Athénes s'ils vouloient les prendre fous leur protection. Il arriva en même tems des députés de la part de Tiffapherne & de Pharnabaze. Le premier étoit Gouverneur de la Lydie & de l'Ionie, l'autre de l'Hellefpont. Ces deux Vicerois de Darius ne manquoient ni d'application ni de zêle pour les intérêts de leur maître commun. Tiffapherne, promettant aux Lacédémoniens de fournir à leurs troupes toute la dépense néceffaire, les preffoit d'armer au plutôt, & de se joindre à lui, parce que la flote des Athéniens l'empéchoit de lever dans fon département les contributions ordinaires, & il s'étoit vû hors d'état d'envoier au Roi celles des années précédentes. D'ailleurs il efpéroit avec ce puiffant fecours fe rendre maître plus aisément d'un Seigneur qui s'étoit revolté vers la Carie, & qu'il avoit ordre du Roi d'amener vif ou mort: c'étoit Amorgès, bâtard de Pif. futhne. Pharnabaze, en même tems, demandoit des vaifseaux, afin de détacher les villes de l'Hellefpont de l'obéiffance des Athéniens, qui l'empéchoient auffi de lever les tributs de fa province.

On crut, à Lacédémone, devoir commencer par fatisfaire Tiffapherne, & le crédit d'Alcibiade contribua beaucoup à faire prendre cette réfolution. Il partit avec Calcidée pour Chio, qui fe fouleva à leur arrivée, & fe déclara pour les Lacédémoniens. Sur la nouvelle de cette revolte, il fut résolu à Athènes qu'on tireroit du tréfor les mille * talens qui y étoient en réserve depuis le commencement de la guerre, après avoir caffé l'arrêt qui le défendoit. Milet fe revolta auffi peu de tems après. Tiffapherne, aiant joint fes troupes à celles de Lacédémone, attaqua & prit

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* Trois mil

lions.

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