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ART A- difpofoit à fon gré des finances, des troupes, & des vaifXERXE feaux. Les îles & la mer lui étoient foumifes, & il régnoit

toient à

de dix mil

lions.

3.60.

feul dans cette vafte Seigneurie qui s'étendoit, non feulement fur les Grecs, mais fur les Barbares, & qui étoit cimentée & fortifiée par l'obéiffance & par la fidélité des nations foumifes, par l'amitié des Rois, & par des traités faits avec plufieurs Princes.

Les hiftoriens vantent beaucoup les ouvrages magnifi ques dont Périclès embellit Athénes, & j'ai raporté fidellement leur témoignage: mais je ne fai fi les plaintes qu'on formoit contre lui étoient fi mal fondées. Etoit-il raifonnable en effet d'emploier en bâtimens fuperflus, & en *Elles mon- vaines décorations, des fommes immenfes, qui étoient to plus deftinées pour les fonds de la guerre; & n'auroit-il pas mieux valu foulager les alliés d'une partie des contributions, qui fous le gouvernement de Périclès furent portées à près d'un tiers de plus qu'elles n'étoient auparavant? Lib. 2. Offic. Cicéron ne trouve d'ouvrages & de bâtimens véritablement dignes d'admiration, que ceux qui ont pour but l'utilité publique des aqueducs, des murailles de villes, des citadelles, des arfenaux, des ports de mer; & il faut ranger parmi ce nombre ce que fit Périclès pour joindre Athénes au port de Pirée. Mais Cicéron ne manque pas de remarquer que le même Périclès fut blâmé d'avoir épuifé le tréfor public, pour enrichir fa ville d'ornemens fuperIn Gorg. pag. Aus. Platon, qui jugeoit des chofes felon la vérité & non felon l'éclat extérieur, fait obferver en plus d'un endroit après Socrate fon maître, que Périclès, avec tous fes beaux ouvrages, n'avoit point contribué à rendre un feul de fes citoiens meilleur, mais plutôt à corrompre la pureté & la fimplicité de leurs mœurs anciennes.

515.
In Alcib. 1.

pag. 119.

Plut. in Pe

§. XI. Périclès change de conduite à l'égard du peu ple. Son extrême autorité : fon defintéressement.

LORSQUE Périclès fe vit ainfi revétu de toute l'au rich. pag. 161. torité, il commença à changer de maniéres, à ne plus fe montrer fi doux & fi traitable, à ne plus céder ni s'abandonner aux caprices & aux fantaifies du peuple, com

me à toutes fortes de vents; mais, dit Plutarque, tirant LONGUEles rênes de ce gouvernement populaire trop mou & trop MAIN. complaifant, comme on bande les cordes d'un inftrument qui font trop lâches, il le convertit en un gouvernement aristocratique, ou plutôt en une espéce de roiauté, fans néanmoins s'écarter jamais de l'utilité publique. Allant donc toujours droit à ce qui étoit le meilleur, & se rendant irrépréhenfible en toutes chofes, il vint fi bien à bout du peuple, qu'il le tournoit à fon gré. Tantôt, par fes feuls avis & par la voie de la perfuafion, il le conduifoit doucement à fes fins, tirant de lui un confentement volontaire : tantôt, quand il trouvoit en lui de la résistance & de l'oppofition, il l'entraînoit comme par force & malgré lui à ce qui étoit le plus expédient; imitant en cela un fage médecin, qui dans une maladie longue & opiniâtre, fait prendre fon tems pour accorder à fon malade des chofes innocentes qui lui font plaifir, & pour lui donner enfuite des remédes plus forts, qui le tourmentent à la vérité, mais qui font feuls capables de lui rendre la fanté.

En effet, on comprend aisément, combien il faloit d'art & d'habileté pour régir & manier une multitude fiére de fa puiffance, & pleine de caprices: & c'eft en quoi Périclès excelloit merveilleufement. Il emploioit, felon les différentes conjonctures, tantôt la crainte, tantôt l'efpérance, comme un double gouvernail, foit pour arréter les fougues & les emportemens du peuple, foit pour le relever de fon abbattement & de fa langueur. Il fit voir par cette conduite que l'éloquence, comme le dit Platon, n'eft autre chofe que l'art de manier les efprits; & que le chef-d'œuvre de cet art, eft d'émouvoir à propos les diverfes paffions foit douces, foit violentes, lefquelles étant à l'ame ce que font les cordes à un inftrument, n'ont befoin, pour produire leur effet, que d'être touchées par

une main adroite & habile.

Il faut pourtant avouer, que ce qui donna à Périclès cette grande autorité, ne fut pas feulement la force de fon éloquence, mais, comme dit Thucydide, la gloire & la réputation de sa vie, & fa grande probité.

Q q iïj

ARTA

Plutarque fait remarquer en lui une qualité bien effenXERXE tielle à un homme d'Etat, bien propre à attirer l'estime & la confiance du public, & qui fuppofe une grande fu, de rep. ger. p. périorité d'efprit: c'eft de ne vouloir

Plut. in prac.

812.

Plut. in vit. Pericl. p. 161. 162.

par

pas tout faire foi-même, de ne fe pas croire capable de tout, d'affocier à ses travaux & à fes foins des hommes de mérite, de les emploier chacun felon leurs talens, & de fe décharger fur eux d'un détail qui confume le tems & la liberté d'ef prit néceffaires pour les grandes chofes. Cette conduite, dit Plutarque, produit deux grands biens. Premiérement, elle éteint ou du moins elle amortit l'envie & la jalousie, en partageant en quelque forte une puiffance, qui bleffe & choque l'amour propre quand on la voit réunie & concentrée dans un feul homme, comme s'il avoit lui feul le mérite de tous les autres. En fecond lieu, elle avance & facilite l'exécution des affaires, & les fait réuffir avec plus de fûreté. Plutarque, pour mieux expliquer fa penfée, emploie une comparaifon fort naturelle & fort belle. La main, dit-il, pour être partagée en cinq doits, loin d'être plus foible, en eft au contraire plus forte, plus agile, plus propre au mouvement. Il en eft de même d'un homme d'Etat, qui fait partager à propos fes fonctions, & qui par là rend fon autorité plus promte, plus agiffante, plus éten due, plus décifive: au lieu que l'empreffement indifcret d'un petit efprit, à qui tout fait ombrage, & qui veut feul tout embraffer, ne fert qu'à mettre en évidence la foibleffe & fon incapacité, & à ruiner le fuccès des affaires. Périclès, dit Plutarque, n'en ufoit pas ainfi. Semblable à un habile pilote, qui demeurant prefque immobile met tout en mouvement, & qui veut bien quelquefois faire affeoir au gouvernail des Officiers fubalternes; il étoit l'ame de l'Etat, & paroiffant ne rien faire par lui-même, il remuoit & gouvernoit tout, mettant en œuvre l'éloquence de l'un, le crédit de l'autre, la prudence de ce lui-ci, la bravoure & le courage de celui-là.

A ce que je viens de raporter, ajoutez une autre qualité non moins rare ni moins eftimable, je veux dire l'élévation d'une ame noble & defintéreffée. Périclès avoit tant d'éloignement pour les préfens, il méprifoit fi fort les richeffes,

& il étoit tellement au-deffus de toute cupidité & de toute LONGUEavarice, que quoi qu'il eût rendu fa ville riche & opulente MAIN. au point que nous l'avons vû, qu'il eût furpaffé en puiffance plufieurs tyrans & plufieurs rois, qu'il eût manié lontems avec un fouverain pouvoir les finances de la Gréce, il n'augmenta pourtant pas d'une feule dragme le bien que fon pere lui avoit laiffé. Telle fut la fource & la cause véritable du crédit fuprême de Périclès dans la République, digne fruit de fa droiture & de fon parfait defintéreffement.

Cene fut pas pour quelques momens rapides feulement, ni pendant la premiére vivacité d'une faveur naiffante, dont la fleur & la grace font pour l'ordinaire d'une courte durée, qu'il conferva cette autorité. Il la maintint pendant quarante ans entiers, & cela malgré les Cimons, les Tolmides, les Thucydides, & beaucoup d'autres, tous déclarés contre lui; & de ces quarante années, il paffa les quinze derniéres fans rival depuis l'exil de Thucydide, & maître abfolu des affaires. Cependant, au milieu de ce pouvoir fuprême, qu'il avoit rendu perpétuel & fans bornes en fa perfonne, il fe conferva toujours invincible & infurmontable aux richeffes, quoique d'ailleurs il ne manquât pas d'application à faire valoir fon bien. Car il ne reffembloit pas à ces Seigneurs, qui malgré leurs revenus immenfes, foit par négligence & défaut d'économie, foit par de faftueufes & de folles dépenfes, font toujours pauvres au milieu de leurs richeffes, hors d'état & fans volonté de faire le moindre plaifir à de vertueux amis ou à de fidéles & zélés domestiques, & meurent enfin accablés de dettes, laiffant leur nom & leur mémoire en exécration à de malheureux créanciers dont ils ont caufé la ruine. Je ne parle point d'un autre excès où cette négligence & ce défaut d'économie conduifent affez ordinairement, je veux dire la rapine, l'amour des préfens, les concuffions. Car ici, auffibien que pour les finances de l'Etat, la maxime de Tacite a lieu: a Quand on a diffipé fon bien, on ne fonge qu'à en réparer la perte & à en remplir le vuide a Si ambitione ærarium exhau- erit. Tacit. Annal. lib. 2. cap. 38. ferimus, per fcelera supplendum

XERXE

ART A- par toutes fortes de voies, même les plus criminelles. Périclès connoiffoit bien mieux l'ufage qu'un homme d'Etat & emploié dans le gouvernement doit faire des richesses. Il favoit qu'il devoit les destiner à fervir utilement le public, pour s'attacher d'habiles coopérateurs dans fon miniftére, pour aider de bons Officiers dépourvûs fouvent des biens de la fortune, pour récompenfer & animer le mérite de quelque genre qu'il foit, & pour mille autres emplois pareils, aufquels fans doute, foit pour l'intime joie, foit pour la folide gloire qui en reviennent, perfonne n'oferoit comparer les exceffives dépenfes de la table, du jeu, des équipages. C'est dans cette vûe que Périclès mé nageoit fon bien avec une extrême économie, aiant forme lui-même un ancien domeftique pour gouverner fes affaires, fe faisant rendre régulièrement dans des tems marqués un compte exact de la recepte & de la dépense, fe renfermant lui & fa famille dans un honnête néceffaire proportionné à fon revenu & à fon état, mais dont il écartoit févérement toute vaine & ambitieufe fuperfluité. Il eft vrai que cette maniére de vivre ne plaifoit point du tout à fes enfans lorfqu'ils furent en âge, & encore moins à fa femme. Ils trouvoient que la dépenfe pour leur entretien n'étoit pas fuffifante, & ils fe plaignoient de cette économie, baffe & fordide à leur jugement, & qui ne laiffoit voir aucune trace de l'abondance qui régne ordinairement dans les maifons où les richeffes & l'autorité font réunies. Périclès faifoit peu de cas de ces plaintes, & fe conduifoit par des vûes bien fupérieures.

Je croi pouvoir appliquer ici une réflexion fort folide de Plutarque dans le paralléle qu'il fait d'Ariftide & de Caton. Après avoir dit que la vertu politique, c'est-àdire l'art de gouverner les villes & les roiaumes, eft la plus grande & la plus parfaite que l'homme puisse acque. rir, il ajoute que l'économie n'eft pas une des moindres parties de cette vertu. En effet, les richeffes étant un des moiens qui peuvent le plus contribuer au falut ou à la perte des Etats, l'art qui enfeigne à les régir & à en faire un bon usage, & qui eft celui qu'on appelle économique, eft fans contredit une partie de l'art de la politique ; & il n'en eft

pas

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