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Législateur, en le permettant, avoit été d'inspirer aux jeunes Lacédémoniens, destinés tous à la guerre, plus de hardieffe & de fineffe, de les accoutumer de bonne heure à la vie de foldat, & de leur apprendre à vivre de peu & à pourvoir eux-mêmes à leur fubfistance. J'ai traité ail* Man. d'E- leurs * cette matière avec quelque étendue.

tud.

Cie. Tufc.

Quaft. lib. 2. 2.34.

La patience & la fermeté des jeunes Lacédémoniens Pag. St. éclatoient fur-tout dans une fête qu'on célébroit en l'honneur de Diane furnommée Orthia, où les enfans, fous les yeux de leurs parens, & en présence de toute la Ville, fe laiffoient fouetter jufqu'au fang fur l'autel de cette inhu maine déeffe, & quelquefois même expiroient fous les coups, fans pouffer aucun cri, ni même aucun foupir. Et c'étoient leurs peres mêmes, qui les voiant tout couverts de fang & de bleffures, & près d'expirer, les exhortoient à perfévérer conftamment jufqu'à la fin. Plutarque nous affure qu'il avoit vû de fes propres yeux plufieurs enfans perdre la vie à ce cruel jeu. De là vient qu'Horace donne Od. 7. lib. 2. l'épithète de patiente à la ville de Lacédémone, patiens Lacedæmon; & qu'un autre Auteur fait dire à un homme, qui avoit fouffert trois coups de bâton fans fe plaindre: Tres plagas Spartana nobilitate concoxi.

Plut. pag. 54.

Pag. 55.

L'occupation la plus ordinaire des Lacédémoniens étoit la chaffe, & les différens exercices du corps. Il leur étoit défendu d'exercer aucun art méchanique. Les Ilotes, qui étoient une efpéce d'efclaves, cultivoient leurs terres, & leur en rendoient un certain revenu.

Lycurgue vouloit que fes citoiens jouiffent d'un grand loifir. Il y avoit des fales communes où l'on s'affembloit pour la converfation. Quoiqu'elle roulât affez fouvent fur des matiéres graves & férieufes, elle étoit affaifonnée d'un fel & d'un agrément qui inftruifoit & corrigeoit en divertiffant. Ils étoient rarement feuls on les accoutumoit à vivre, comme les abeilles, toujours ensemble, toujours autour de leurs Chefs. L'amour de la patrie & du bien commun, étoit leur paffion dominante, Ils ne croioient point être à eux, mais à leur pays. Pédaréte n'aiant pas eu l'honneur d'être choifi pour un des trois cens qui avoient un certain rang distingué dans la ville, s'en re

tourna chez lui fort content & fort gai, difant qu'il étoit ravi que Sparte cut trouvé trois cens hommes plus honnêtes gens que lui.

.

Tout infpiroit, à Sparte, l'amour de la vertu, & la hai- pag. $6. ne du vice: les actions des citoiens, leurs converfations, & même les infcriptions publiques. Il étoit difficile que des hommes nourris au milieu de tant de préceptes & d'exemples vivans, ne devinssent vertueux, de la manière dont le pouvoient être des payens. Ce fut pour conserver en eux cette heureufe habitude, que Lycurgue ne permit pas à toutes fortes de perfonnes de voiager, de peur qu'ils ne raportaffent des mœurs étrangères, & des coutumes licentieufes, qui leur auroient bientôt inspiré du dégoût pour la vie & pour les maximes de Lacédémone. Il chaffa auffi de fa ville tous les étrangers qui n'y venoient pour rien d'utile ni de profitable, & que la curiofité feule y attiroit, craignant que chacun n'y fît entrer avec lui les défauts & les vices de fon pays, & perfuadé qu'il étoit plus important & plus néceffaire de fermer les portes des villes aux mœurs corrompues, qu'aux malades & aux pefti

férés.

A

proprement parler, le métier & l'exercice des Lacedémoniens étoit la guerre. Tout tendoit là chez eux : tout refpiroit les armes. Leur vie étoit bien plus douce à l'armée qu'à la ville, & il n'y avoit qu'eux au monde à qui la guerre fût un tems de repos & de rafraîchiffement, parce qu'alors les liens de cette difcipline dure & auftére qui régnoit à Sparte étoient un peu relâchés, & qu'on leur laiffoit plus de liberté. Chez eux la premiére loi de la guerre Herod. .7 & la plus inviolable, comme Démarate le déclara à Xerxès, cap. 104. étoit de ne jamais prendre la fuite, quelque fupérieure en

nombre

que pût être l'armée des ennemis, de ne jamais quitter fon pofte; de ne point livrer fes armes, en un mot, de vaincre ou de mourir. Cette maxime leur paroif Plus in Lafoit fi capitale, que le poéte Archiloque étant venu à con. Inftitut. p. Sparte, ils l'obligérent dans le moment même d'en fortir, parce qu'ils apprirent que dans une de fes poéfies il avoit dit qu'il valoit mieux jetter bas fes armes, que de s'expofer

d mourir.

239.

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a De là vient qu'une mere recommandoit à fon fils qui partoit pour une campagne, de revenir avec fon bouclier, ou fur fon bouclier; & qu'une autre, apprenant que fon fils étoit mort dans le combat en défendant sa patrie, répondit froidement: Je ne l'avois mis au monde que pour cela. Cette difpofition étoit commune parmi les Lacédémoniens. Après la fameuse bataille de Leuctres qui leur fut fi funefte, les percs & les meres de ceux qui étoient morts en combattant fe félicitoient les uns les autres, & alloient dans les temples remercier les dieux de ce que leurs enfans avoient fait leur devoir; au lieu que les parens de ceux qui avoient furvécu à cette défaite étoient inconfolables. A Sparte, ceux qui avoient pris la fuite dans un combat, étoient diffamés pour toujours. Non-feulement on les excluoit de toutes fortes de charges & d'emplois, des affemblées, des spectacles; mais c'étoit encore une honte de s'allier avec eux par les mariages, & on leur faifoit impunément mille outrages en public.

Ils n'alloient au combat qu'après avoir imploré le secours des dieux par des facrifices & des priéres publiques; & pour lors ils marchoient à l'ennemi pleins de confiance, comme étant affurés de la protection divine, &, pour me fervir de l'expreffion de Plutarque, comme fi Dieu étoit préfent, & combattoit avec eux: as to bed ovμπapórtoS.

Quand ils avoient rompu & mis en fuite leurs ennemis, ils ne les pourfuivoient qu'autant qu'il le faloit pour s'affurer la victoire: après quoi ils fe retiroient, eftimant qu'il n'étoit ni glorieux, ni digne de la Gréce, de tailler en piéces des gens qui cédent & qui fe retirent. Et cela ne leur étoit pas moins utile qu'honorable: car leurs ennemis, fachant que tout ce qui réfiftoit étoit paffé au fil de l'épée, & qu'ils ne pardonnoient qu'aux fuiards, préféroient or dinairement la fuite à la résistance.

Quand les premiers établissemens de Lycurgue furent reçus & confirmés par l'ufage, & que la forme de gouvernement qu'il avoit établie parut assez forte & affez vigou

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reufe pour fe maintenir d'elle-même & pour fe conferver: comme Platon a dit de Dieu, qu'après avoir achevé de créer le monde, il fe réjouit lorfqu'il le vit tourner & faire fes premiers mouvemens avec tant de justesse & d'harmonie; ainfi le Législateur de Sparte, charmé de la grandeur & de la beauté de fes loix, fentit un redoublement de plaifir quand il les vit, pour ainfi dire, marcher feules & cheminer fi heureusement.

Mais defirant, autant que cela dépendoit de la prudence humaine, de les rendre immortelles & immuables, il fit entendre au peuple qu'il lui reftoit encore un point le plus important & le plus effentiel de tous, fur lequel il vouloit confulter l'oracle d'Apollon; & en attendant, il les fit tous jurer que jufqu'à ce qu'il fût de retour ils maintiendroient la forme de gouvernement qu'il avoit établie. Quand il fut arrivé à Delphes, il confulta le dieu pour favoir fi fes loix étoient bonnes & fuffifantes pour rendre les Spartiates heureux & vertueux. La Prétresse lui répondit qu'il ne manquoit rien à fes loix, & que tant que Sparte les obferveroit, elle feroit la plus glorieuse ville du monde, & jouiroit d'une parfaite félicité. Lycurgue envoia cette réponse à Sparte, & croiant fon miniftere confommé il mourut volontairement à Delphes, en s'abstenant de manger. Il étoit perfuadé que la mort même des grands perfonnages & des hommes d'Etat ne doit pas être oifive ni inutile à la République, mais une fuite de leur ministére, ane de leurs plus importantes actions, & celle qui leur doit faire autant ou plus d'honneur que toutes les autres. Il crut donc qu'en mourant de la forte il mettoit le sceau & le comble à tous les fervices qu'il avoit rendus pendant sa vie à ses citoiens, puifque fa mort les obligeroit à garder toujours fes ordonnances, qu'ils avoient juré d'obferver inviolablement jufqu'à fon retour.

En expofant les fentimens de Lycurgue fur fa propre mort, tels que Plutarque les a marqués, je fuis bien éloigné de les approuver : & j'en dis autant de plufieurs faits

a Ce paffage de Platon eft dans le Timée, & donne lieu de croire que ce Philofophe avoit lu ce que Moyfe

dit de Dieu quand il créa le monde: Vidit Deus cuncta quæ fecerat, & erant valde bona. Gen. 1. 31.

Pag. 58.

pareils, que je raporte quelquefois fans y joindre de ré flexion, mais fans prétendre y donner d'approbation. Les prétendus fages du paganisme n'avoient fur l'article dont il s'agit ici, comme fur beaucoup d'autres, que des lumiéres fort bornées, & mélées d'épaiffes ténèbres. Ils éta bliffoient ce principe admirable, qu'on trouve dans plufieurs de leurs écrits: a Que l'homme, placé dans le monde comme dans un poste par fon Général, ne peut le quitter que par le commandement exprès de celui de qui il dépend, c'est-à-dire de Dieu même. Ils le regardoient auffi quelquefois comme un coupable condanné à une triste prison, d'où il pouvoit defirer de fortir, mais d'où il ne lui étoit permis de fortir en effet que par l'ordre du Magiftrat & de la Juftice, & non en brifant fes chaînes, ni en forçant les portes du cachot. Ces idées font belles, parce qu'elles font vraies : mais l'application qu'ils en faifoient étoit fauffe, en prenant pour un ordre exprès de la divinité, ce qui n'étoit qu'un effet de leur foibleffe ou de leur orgueil, qui les portoient à fe donner la mort à eux-mêmes, foit pour délivrer des peines de cette vie, foit pour immortalifer leur nom dans la postérité, comme cela arriva à Lycurgue, à Caton, & à tant d'autres,

fe

REFLEXIONS fur le gouvernement de Sparte, & fur les loix de Lycurgue,

1. Chofes louables dans les loix de Lycurgue.

IL FAUT bien, à n'en juger même que par l'événe ment, qu'il y eût dans les loix de Lycurgue un grand fonds de fagefle & de prudence, puifque tant qu'elles fu

a Vetat Pythagoras, injuffu Imperatoris, id eft Dei, de præfidio & ftatione vita decedere.Cic.de fenect.

1. 73.

Cato fic abiit è vita, ut caufam moriendi nactum fe effe gauderet. Vetat enim dominans ille in nobis Deus injuffu hinc nos fuo demigrare. Cùm verò caufam juftam Deus ipfe dederit, ut tunc Socrati, nunc

Catoni, fæpe multis: næ ille, medius fidius, vir fapiens, lætus ex his tenebris in lucem illam excefferit. Nec tamen illa vincula carceris ruperit; leges enim vetant: fed, tanquam à magiftratu aut ab aliqua poteftate legitima, fic à Deo cvocatus atque emiffus, exierit. Id. 1, Tufc. Quast, n. 74.

rent

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