Page images
PDF
EPUB

Xerxès le reconnut dans l'occafion dont il s'agit. Quand XERXES. fon premier emportement de colére fut paffé, & que la nuit lui eut laiffé le loifir de faire réflexion fur les deux différens avis qu'on lui avoit donnés, il reconnut qu'il avoit eu tort de maltraiter de paroles fon oncle, & il ne rougit pas de réparer fa faute le lendemain.en plein Confeil, avouant nettement que le feu de la jeuneffe & fon peu d'expérience l'avoient fait manquer à ce qu'il devoit à un Prince auffi refpectable qu'étoit Artabane & par fon âge, & par fa fageffe: qu'il fe rangeoit de fon avis malgré un fonge qu'il avoit eu la nuit, où un phantôme l'avoit vivement exhorté à entreprendre cette guerre. Tous ceux qui compofoient le Confeil furent ravis d'entendre ce discours, & témoignérent leur joie en fe profternant tous devant le Roi, & relevant à l'envi la gloire de cette démarche, fans que de telles louanges puffent être fufpectes. a Car on dif cerne aifément fi celles qu'on donne aux Princes partent du cœur & naiffent de la vérité, ou fi elles ne font que fur les levres, & un pur effet de la flaterie. Cet aveu, fi fincére & fi humiliant, loin de leur paroitre une foiblesse dans Xerxès, fut regardé comme l'effort d'une grande ame, qui s'élève au-deffus de fes propres fautes, en les avouant avec courage pour les réparer. Ils admirérent d'autant plus la nobleffe de cette démarche, qu'ils favoient que les Princes, élevés comme Xerxès dans une vaine hauteur & une fauffe gloire, ne veulent jamais avoir tort, & n'emploient pour l'ordinaire leur autorité qu'à foutenir avec fierté les fautes qu'ils ont faites par ignorance, ou par imprudence. On peut dire qu'il eft plus glorieux de fe relever ainfi, que de n'être jamais tombé. En effet rien n'eft plus grand, ni en même tems plus rare, que de voir un Roi puiffant, & dans le tems de fa plus grande profpérité, reconnoitre fes fautes quand il lui arrive d'en faire, fans chercher ni prétexte ni excufes pour les couvrir; rendre hommage à la vérité, lors même qu'elle le condanne; & laiffer à des Princes, fauffement délicats fur la grandeur,

[merged small][ocr errors][merged small]

XERXES. la honte d'être toujours pleins de défauts, & de n'en jamais convenir.

[ocr errors]

La nuit fuivante, le même phantôme, fi l'on en croit Hérodote, fe montra encore au Roi, ajoutant au premier difcours qu'il avoit tenu de nouvelles menaces. Xerxès en fit part à fon oncle, &, pour reconnoitre fi ce fonge venoit des dieux ou non, il se pressa vivement de fe revétir des habits roiaux, de monter fur le trône, & de paffer enfuite la nuit dans fon lit à fa place, Artabane lui parla très-fenfément fur la vanité des fonges, puis venant à ce qui le regardoit perfonnellement : * J'eftime prefque éga»lement, dit-il, de bien penfer par foi-même, & de fe » rendre docile aux bons avis d'un autre. Vous avez ces deux qualités, grand Prince; & fi vous fuiviez votre » naturel, vous ne vous porteriez qu'à des fentimens de » fageffe & de modération. Il n'y a que les difcours em poifonnés des flateurs qui vous pouffent à des partis violens, ** comme la mer, tranquille par elle-même, n'est » troublée que par une impreffion étrangére. Au reste ce qui m'a afflige dans le difcours que vous avez tenu à » mon égard, n'a pas été mon injure perfonnelle, mais le » tort que vous vous faisiez à vous-même par votre mau» vais choix entre deux confeils qu'on vous donnoit, rejet, » tant celui qui vous portoit à des fentimens de modéra » tion & d'équité, & embraffant l'autre, qui ne tendoit » au contraire qu'à nourrir l'orgueil & à irriter l'am»bition.

"

[ocr errors]
[ocr errors]

Artabane, par complaifance, paffa la nuit dans le lit du Roi, & y eut la même vifion qu'avoit eu Xerxès, c'est-àdire qu'en dormant il vit un homme qui lui faifoit de violens reproches, & qui le menaçoit des plus grands malheurs, s'il continuoit de s'oppofer au deffein du Roi. Il céda pour lors, & fe rendit croiant qu'il y avoit en cela

Cette pensée eft dans Héfiode, Opera & dies, v. 293. Cic. pour Cluent. n. 84. & Tit. Liv. lib. 22. n. 29. Sæpe ego audivi, milites, eum primum effe virum, qui ipfe confulat quid in rem fit: fecundum

eum, qui bene monenti obediat: qui nec ipfe confulere, nec alteri parere fciat, cum extremi ingenii effe.

** Cette pensée est aussi dans Tite-Live, Liv. 28. n. 27.

quelque

quelque chofe de divin, & la guerre contre les Grecs fut XERXES. réfolue. Je raporte les chofes telles que je les trouve dans Hérodote.

Xerxès foutint mal cette gloire dans la fuite. Nous ne verrons en lui que de courtes lueurs de fageffe & de raison, qui brillent un moment, & font place aux excès les plus condannables. On peut juger par là qu'il avoit un bon fonds & un naturel heureux. Mais les qualités les plus excellentes font bientôt gâtées & corrompues par le poifon de la flaterie, & par celui d'une puiffance fouveraine & fans bornes: vi dominationis convulfus.

C'est un beau fentiment dans un Ministre, d'être moins Tacit. touché de l'affront qu'on lui fait, que du tort qu'on faifoit à fon Maître en lui donnant un funefte confeil.

Le confeil de Mardonius étoit funefte, en ce que, comme le remarque Artabane, il n'étoit propre qu'à nourrir & à augmenter dans le Prince une pente à la hauteur & à la violence, qui ne lui étoit déja que trop naturelle üßew dužions; & a en ce qu'il accoutumoit fon efprit à porter toujours fes defirs au-dela de fa fortune préfente, à vouloir toujours aller en avant, & à ne mettre aucunes bornes à fon ambition. b C'est la paffion de ceux qu'on appelle Conquerans, & qu'on nommeroit à plus jufte titre, avec l'Ecriture Sainte, brigands des nations. Parcourez, Pradones gendit Sénéque, toute la fuite des Rois de Perfe, en trouve- tium. Jerem. 4. rez-vous quelqu'un qui fe foit arrété de lui-même dans fa courfe, qui ait été content de fes premiéres conquêtes, & que la mort n'ait pas furpris formant encore quelque nouveau projet? Et cette difpofition ne doit pas étonner, ajoute-t-il: car l'ambition eft un gouffre & un abyme fans fond, où tout fe perd, & où l'on entaffe en vain des

2 Ως κακὸν εἴη διδάσκειν τὴν ψυχήν πλέον τι δίζεται ἄνει ἔχειν το παρέοντα.

b Nec hoc Alexandri tantùm vitium fuit, quem per Liberi Herculifque veftigia felix temeritas egit; fed omnium, quos fortuna irritavit implenda. Totum regni Perfici Lemma percenfe: quem invenies,

Tome II.

cui modum imperii fatietas fecerit?
qui non vitam in aliqua ulteriùs
procedendi cogitatione finierit ?
Nec id mirum eft. Quicquid cu-
piditati contigit, penitus hauritur
& conditur: nec intereft quantum
eò, quod inexplebile eft, congeras,
Senec. lib. 7. de Benef. cap. 3.

A a

7.

XERXES. provinces & des roiaumes, fans en pouvoir remplir le

'AN. M. 3523.

Diod. lib. 11. pag. 1. & 2.

vuide.

§. II. Xerxès fe met en marche, & paffe d'Afie en Europe en traverfant le détroit de l'Hellefpont Jur un pont de bateaux.

LA GUERRE étant réfolue, Xerxès, pour ne rien Av. J. C. 481. omettre de ce qui pouvoit faire réuffir son deffein, entra en confédération avec les Carthaginois, le plus puissant peuple qui fût alors en Occident, & convint avec eux que, pendant que les Perfes attaqueroient la Grèce, les Carthaginois tomberoient fur les nations Grecques qui étoient en Sicile & en Italie, pour les empécher de venir au fecours des autres Grecs. Les Carthaginois élurent pour Général Amilcar, qui ne fe contenta pas de lever autant de troupes qu'il put en Afrique, mais, avec l'argent que Xerxès lui avoit envoie, engagea à fon fervice un grand nombre de foldats tirés d'Elpagne, de Gaule, & d'Italie; de forte qu'il affembla une armée de trois cens mille hommes, des vaiffeaux à proportion, pour exécuter les projets de la Ligue.

[ocr errors]

&

Ainfi Xerxès, conformément à la prédiction deDaniel, a aiant par fa puissance & par fes grandes richesses foulevé contre le roiaume de la Grèce tous les peuples du monde alors connu, c'est-à-dire, tout l'occident fous le commandement Herod. lib.7. d'Amilcar, & tout l'orient fous le fien propre, partit de Sufe pour commencer la guerre l'an cinquième de fon régne, qui étoit le dixiéme depuis la bataille de Marathon, & marcha vers Sardes, où étoit le rendez-vous de l'armée de terre, pendant que celle de mer s'avançoit auffi le long des côtes de l'Afie Mineure vers l'Hellefpont.

cap. 26.

AN. M. 3524.

Av. J. C. 480.

Ibid. cap.2124.

Il avoit donné ordre qu'on perçât le mont Athos. C'eft une montagne de Macédoine, province de la Turquie en Europe, qui s'avance dans l'Archipel en forme de prefqu'île. Elle ne tient à la terre que par un ifthme d'une de

a Ecce adhuc tres reges ftabunt in Perfide; & quartus ( id eft Xexxès) ditabitur opibus nimiis fuper

omnes: & cùm invaluerit divitiis fuis, concitabit omnes adverfùm regnum Græciæ. Dan. cap. 11. v. 2.

mie lieue. Nous avons déja vû que la mer en cet endroit XERXES.
étoit fort orageufe, & que les naufrages y étoient fré-
quens. Ce fut là le prétexte de l'ordre qu'avoit donné
Xerxès de couper cette montagne: mais la véritable rai-
fon étoit de fe fignaler par une entreprise extraordinaire,
& d'une exécution difficile, comme Tacite le dit de Néron:
erat incredibilium cupitor. Auffi Hérodote remarque-t-il que
ce travail étoit plus faftueux que néceffaire, puifqu'il au-
roit pu, à moins de frais, faire tranfporter ses vaisseaux par
deffus l'ifthme, comme c'étoit l'ufage de ce tems-là. La
foffe qu'il y fit creufer, étoit de largeur à y faire paffer
deux trirémes de front, c'est-à-dire deux vaisseaux à trois
rangs de rames. Ce Prince, qui avoit la folie de croire Plut. de Ira,
qu'il étoit le maître des élémens & de toute la nature,
avoit en conféquence écrit une lettre au mont Athos en
ces termes, pour lui intimer fes ordres: Superbe Athos,
qui portes ta tète jufqu'au ciel, ne fois pas fi hardi que d'op-
pofer à mes travailleurs des pierres & des roches qu'ils ne puif-
fent couper. Autrement, je te couperai toi-meme en entier, &

cohib. p. 455.

te précipiterai dans la mer. Il contraignoit en même tems Plut.de anim. fes travailleurs à force de coups de fouets à avancer l'ou- tranq. p. 179. vrage,

rer obferv. p.

78.

Un voiageur, qui vivoit du tems de François premier, Bellon. fingul. & qui a compofé en latin un livre touchant les faits finguliers, révoque celui-ci en doute, & marque qu'en paffant auprès du mont Athos, il n'y a vû aucunes traces du travail dont il eft parlé ici.

Nous avons déja dit que Xerxès s'avançoit vers Sardes. Herod. lib. Au fortir de la Cappadoce, aiant paffé le feuve Halys, il cap. 26-29. vint à Céléne, ville de la Phrygie, près de laquelle le Méandre prend fa fource. Pythius, Lydien, faifoit fa réfi. dence dans cette ville: c'étoit le Prince le plus opulent qui fût alors, après Xerxès. Il le reçut, & toute fon armée, avec une magnificence incroiable, & lui offrit tous fes biens pour fournir aux frais de fon expédition. Xerxès furpris, & en même tems charmé d'une offre fi généreuse, eut la curiofité d'apprendre à quoi montoient donc fes richeffes. Ce Prince lui répondit que dans la vûe de les lui offrir il en avoit fait un compte exact, & qu'elles mon

7.

4

« PreviousContinue »