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feaux. Auffi fut-elle bientôt accablée par le nombre, & DARIUS. prefque abfolument détruite. Ensuite la ville de Milet aiant été affiégée, devint la proie des vainqueurs, qui la ruinérent entiérement : ce qui arriva fix ans après la revolte d'Ariftagore. Toutes les villes, tant celles du continent, que celles qui étoient fur le bord de la mer & dans les îles, rentrérent bientôt après dans le devoir soit volontairement, foit par force. În traita ceux qui firent quelque résistance, comme on les en avoit menacés. Les jeunes gens les mieux faits furent destinés à fervir dans le Palais du Roi, toutes les filles furent envoiées en Perfe: les villes, de mê. les temples, furent réduites en cendres. Voila ce leur attira la revolte où ils furent entraînés par les defseins ambitieux d'Ariftagore & d'Hystiée.

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que

que

Ce dernier eut auffi fa part dans le malheur général. Herod. lib.6 Car, cette même année, aiant été pris par les Perfes, il cap.29.30. fut conduit à Sardes, où Artapherne le fit pendre fur le champ, fans en demander la permiffion à Darius, de peur que l'affection de ce Prince pour Hyftiée ne le portât à lui accorder fon pardon, & qu'il ne laiffat en vie un dangereux ennemi, qui pourroit fufciter de nouvelles affaires aux Perfes. La fuite fit voir que cette conjecture étoit bien fondée. Car, dès que la tête d'Hyftiée eut été apportée à Darius, il témoigna beaucoup de mécontentement contre les auteurs de fa mort, & fit enterrer honorablement cette tête, comme les reftes d'un homme à qui il avoit des obligations infinies, dont le fouvenir, gravé profondement dans fon efprit, n'avoit être effacé pu par la grandeur des fautes qu'il avoit commifes depuis. Hyftiée étoit de ces hommes inquiets, hardis, entreprenans; qui joignent à beaucoup de grandes qualités des vices encore plus grands; à qui tous moiens font bons pour parvenir à leur but; qui regardent la justice, la probité, la bonne foi, comme des noms fans réalité, qui ne fe font aucun fcrupule d'emploier le menfonge, la fourberie, la perfidie même & parjure, quand tout cela peut leur être de quelque utilité, & qui ne comptent pour rien la ruine des peuples & de leur propre patrie, fi elle eft néceffaire à feur élévation. Il eut une fin digne de fes fentimens, & affez

Tome II.

V

DARIUS. ordinaire à ces politiques irréligieux, qui facrifient tout à leur ambition, & qui ne connoiffent d'autre régle, ni presd'autre dieu, que leur intérêt & leur fortune.

AN. M. 3510.

Herod lib. 6.

cap.43-45.

que

§. VII. Expédition des armées de Darius contre La Gréce.

DARIUS, aiant rappellé tous fes autres Généraux, Av. J.C.494 dans la vingt-huitième année de fon régne, envoia Mardonius fils de Gobryas, jeune Seigneur d'une illuftre famille de Perfe qui venoit d'époufer une de fes filles, pour commander en chef dans toutes les parties maritimes de l'Afie, avec ordre de faire une invafion dans la Grèce, & de le venger des Athéniens & des Erétriens pour l'incendie de Sardes. Le Prince montroit peu de fageffe dans ce choix, où il préféroit un jeune homme de faveur à fes plus vieux & plus expérimentés Généraux, fur-tout dans une guerre très-difficile, dont le fuccès lui tenoit fort à cœur, & qui intéreffoit infiniment la gloire de fon régne. La qualité de gendre du Roi pouvoit augmenter fon crédit, mais n'ajoutoit rien à fon mérite, & ne le rendoit pas excellent Général.

A fon arrivée dans la Macédoine, où il étoit paffé avec l'armée de terre après avoir traversé la Thrace, tout le pays effraié de fa puiffance fe foumit. Mais fa flote, aiant voulu doubler le mont Athos, (nommé préfentement Capo Santo) pour gagner les côtes de la Macédoine, fut accueillie d'une fi violente tempête, que plus de trois cens vaiffeaux, avec plus de vingt mille hommes, y périrent. Dans le même tems, l'armée de terre reçut un échec non moins confidérable. Car comme elle campoit dans un lieu mal fûr, les Thraces tombérent de nuit fur le camp des Perses, en firent un grand carnage, & blefférent Mardonius lui-même. Tous ces mauvais fuccès l'obligérent bientôt après de retourner en Afie avec la honte & la douleur d'avoir mal réuffi dans cette expédition tant par terre que par mer.

Darius s'apercevant trop tard que la jeuneffe & le peu d'expérience de Mardonius étoient la cause de l'échec

qu'avoient reçu les troupes, le rappella, & mit dans la fuite DARIUS. à fa place deux autres Généraux, Datis Méde de nation, & Artapherne fils d'Artapherne fon frere qui avoit été Gouverneur de Sardes. Ce Prince fongeoit férieusement à mettre en exécution le grand deffein qu'il rouloit depuis lontems dans fon efprit; c'étoit d'attaquer la Grèce avec toutes fes forces, & fur-tout de tirer une illuftre vengeance des Athéniens & de ceux d'Erétrie, dont l'entreprise con. tre Sardes lui étoit toujours présente.

1. Etat d'Athénes. Caractéres de Miltiade, de Thémistocle, & d'Ariftide.

pour

IL FAUT nous rappeller dans l'efprit l'état où étoit lors Athénes, qui feule foutint le premier choc des Perfes à Marathon, & nous former par avance quelque idée des grands hommes qui eurent part à cette célébre victoire.

Athénes, délivrée tout récemment du joug de la servitude qu'elle s'étoit vû contrainte de porter pendant plus de trente ans fous Pififtrate & fous fes enfans, goûtoit en paix les avantages de la liberté, dont cette courte privation n'avoit fervi qu'à lui faire mieux fentir & le prix & la douceur. Lacédémone, qui dominoit pour lors dans la Gréce, & qui d'abord avoit beaucoup contribué à cet heureux changement, sembla dans la fuite s'en repentir, & jaloufe du tranquille repos qu'elle-même avoit procuré à fes voifins, elle entreprit de le troubler en effaiant de faire remonter fur le trône Hippias fils de Pifistrate. Ses efforts furent inutiles, & ne fervirent qu'à marquer fa mauvaise volonté, & la douleur qu'elle avoit de voir qu'Athénes voulût fe maintenir dans l'indépendance même à fon égard. Hippias eut recours aux Perfes. Artapherne, Gouverneur de Sardes, fit dire aux Athéniens, comme nous l'avons raporté ci-dessus, qu'ils euffent à le rétablir dans fon autorité, s'ils ne vouloient s'attirer fur les bras toute la puiffance de Darius. Cette feconde tentative n'aiant pas mieux réuffi que la premiére, Hippias attendit une occafion plus favorable. Nous verrons bientôt qu'il fervit de guide & de conducteur aux Généraux que le Roi de Perfe envoía contre la Grèce,

V ij

DARIUS.

Herod. lib.6.

cap. 34-41. Cornel. Nep.

in Milt.c. 1-3.

Plut.in Arift. pag. 319. 320.

Athénes, depuis le recouvrement de fa liberté, étoít toute autre que fous les tyrans, & montroit un courage tout nouveau. Parmi fes citoiens, Miltiade fut celui qui fe diftingua le plus dans la guerre contre les Perfes dont nous allons parler. Il étoit fils de Cimon, illuftre Athénien. Celui-ci avoit un frere, de mere non de nommé auffi pere, Miltiade, d'une maison fort noble & fort ancienne, originaire d'Egine, qui avoit été reçu depuis peu au nombre des citoiens d'Athénes. Il y étoit fort puiffant du tems même de Pififtrate: mais comme il fouffroit avec peine fon pouvoir defpotique, il accepta avec joie l'offre qu'on lui fit d'aller s'établir avec une colonie dans la Cherfonéfe de Thrace, où il étoit appellé par les Dolonces habitans du pays pour être leur roi, où, comme on parloit pour lors, leur tyran. Etant mort fans enfans, il laiffa la fouveraineté à Stéfagore fon neveu, fils aîné de fon frere Cimon: & celui-ci étant mort auffi fans poftérité, les fils de Pifistrate, qui gouvernoient alors la ville d'Athénes, avoient envoié dans ce pays-là, pour lui fuccéder, Miltiade fon frere, qui est celui dont nous parlons ici. Il y arriva & s'y établit l'année même que Darius entreprit la guerre contre les Scythes. Il accompagna ce Prince avec quelques vaiffeaux jufqu'au Danube; & ce fut lui qui confeilla aux Ioniens de rompre le pont, & de fe retirer fans attendre Darius, Pendant fon féjour dans la Cherfonéfe, il époufa* Hégéfipyle, fille d'Olore un roi de Thrace du voifinage, de laquelle il eut Cimon ce fameux Général des Athéniens dont il fera beaucoup parlé dans la fuite. Miltiade aiant renoncé pour plufieurs raifons à fon établissement dans la Thrace, s'embarqua avec tout ce qu'il avoit fur cinq vaiffeaux, & fit voile vers Athénes. Il s'y établit de nouveau, & s'y acquit une grande réputation.

Dans le même tems, deux autres citoiens, plus jeunes in Themift. que Miltiade, commençoient à se faire connoitre à Athépag. 112. 113. nes; favoir, Ariftide & Themistocle. Plutarque obferve ger. refp. pag. que le premier s'étoit formé fur le modéle de Clifthéne,

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grand-pere, qui fut pere de Thucydide l'hiftorien. Herod. ibid.

l'un des plus grands hommes de fon tems, & zélé défen- DARIUS. feur de la liberté, qui avoit beaucoup contribué à la rétablir à Athènes, en chaffant de cette ville les Pififtratides. C'étoit une falutaire coutume établie chez les anciens, & qu'il feroit à fouhaiter qui le fût auffi parmi nous, que les jeunes gens qui afpiroient aux charges, a s'attachaffent particuliérement aux vieillards qui s'y étoient le plus diftingués, & qu'ils appriffent par leurs converfations, & encore plus par leurs exemples, l'art de fe bien conduire eux-mêmes, & de gouverner fagement les autres. C'est ainfi, dit Plutarque, qu'Ariftide s'attacha à Clisthéne, Cimon à Ariftide, & il en raporte plufieurs autres, parmi lefquels il met Polybe, dont nous avons parlé fi fouvent, qui fe rendit le difciple affidu & l'imitateur fidéle du célébre Philopémen.

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Themistocle & Ariftide étoient d'un caractére très-différent, mais ils rendirent tous deux de grands services à la République. Themistocle, qui panchoit naturellement vers le gouvernement populaire, ne négligea rien pour fe faire des amis, fe montrant affable à tous, complaifant, toujours prêt à rendre service aux citoiens, qu'il connoif

pas

21.

resp. pag. 896.

foit tous par leurs noms, & n'étoit fort délicat fur les Cic. de fene&t. moiens qu'il emploioit pour leur faire plaifir. Auffi quel- "Plut. An seni qu'un lui difant qu'il gouverneroit parfaitement, s'il con- fit gerenda fervoit l'égalité parmi les citoiens, & qu'il ne panchât pas 807. plus pour l'un que pour l'autre," A Dieu ne plaife, ré pondit-il, que je fois jamais affis fur un tribunal, où mes » amis n'aient pas plus de crédit & de faveur que les étran"gers. » Cléon, qui parut quelque tems après à Athénes, garda une conduite toute oppofée, mais qui n'étoit pas exemte de blâme. En entrant dans le maniement des af faires publiques, il affembla tous fes amis, & leur déclara que dès ce moment il renonçoit à leur amitié, parce qu'elle pouvoit être pour lui une occafion de manquer à fon devoir, & de commettre des injuftices. C'étoit leur faire peu d'honneur, & juger d'eux peu favorablement. Mais, dit Plutarque, ce n'eft pas à fes amis, mais à fes paffions qu'il devoit renoncer.

a Difcere à peritis, fequi optimos. Tacit. in Agric.

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