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Lucile, le premier, osa la faire voir;
Aux vices des Romains présenta le miroir;
Vengea l'humble vertu de la richesse altière,
Et l'honnête homme à pied du faquin en litière.
Horace à cette aigreur mêla son enjoûment.
On ne fut plus ni fat, ni sot impunément :
Et malheur à tout nom qui, propre à la censure,
Put entrer dans un vers sans rompre la mesure.
Perse, en ses vers obscurs, mais serrés et pressans,
Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.
Juvénal, élevé dans les cris de l'école,
Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.
Ses ouvrages, tout pleins d'affreuses vérités,
Etincellent pourtant de sublimes beautés.
Soit que sur un écrit arrivé de Caprée,
Il brise de Séjan la statue adorée;

Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,
D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs ;

De ses maîtres savans, disciple ingénieux,
Regnier, seul parmi nous, formé sur leurs modèles,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles, etc...

CHAPITRE III.

DES POÉSIES FUGITIVES.

Du Sonnet.

D. Qu'est-ce que le Sonnet?

R. Le sonnet qu'on a long-temps regardé comme le plus bel ouvrage poétique, est composé de quatorze vers, dont les huit premiers roulent sur deux rimes employées quatre fois chacune, et rangées en deux quatrains tous semblables. Les six vers restans forment deux tercets, qui doivent

être sur trois rimes différentes. Il faut que chaque quatrain, et chiq ie tercet, renferme un sens parfait, et qu'ainsi il y ait un repos après les quatriènie, huitième et onzième vers.

D. Quel doit en être le style?

R. Tout doit être exact, poli, châtié dans ce petit poëme; on n'y souffre ni un vers faible, ni la répétition d'un même mot. Les sonnets graves et héroïques exigent les vers alexandrins; mais les vers de dix, et même de huit syllabes, ne conviennent pas mal à ceux qui sont moins sérieux.

Le sonnet le plus fameux, en notre langue, est celui de Desbarreaux, que voici :

Grand Dieu, tes jugemens sont remplis d'équité,
Toujours tu prends plaisir à nous être propice;
Mais j'ai tant fait de mal, que jamais ta bouté
Ne me pardonnera sans blesser ta justice.

Oui, mon Dieu, la grandeur de mon impiété
Ne laisse à ton pouvoir que le choix du supplice:
Ton intérêt s'oppose à ma félicité,

Et ta clémence même attend que je périsse.

Contente ton désir, puisqu'il t'est glorieux;
Offense-toi des pleurs qui coulent de mes yeux.
Tonne, frappe, il est temps; rends moi guerre poor guerre,

J'adore en périssant la raison qui t'aigrit.

Mais dessus quel endroit tombra ton tonnerre,
Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ?

D. N'y a-t-il pas des sonnets qu'on appelle irréguliers?

R. Oui ce sont ceux où l'on diversifie les rimes des deux quatrains, et où l'ou emploie aussi des vers de mesure différente. Tel est celui-ci, du président Hónault sur un avorton:

Toi qui meurs avant que de naître, Assemblage confus de l'être et du néant, Triste avorton, informe enfant, Rebut du néant et de l'être.

Toi que l'amour fit par un crime,

un crime à son tour,

Et que l'honneur défait par
Funeste ouvrage de l'amour,

De l'honneur funeste victime:

Donne fin aux remords par qui tu t'es vengé,
Et du fond du néant où je t'ai replongé,
N'entretiens point l'horreur dont ma faute et suivis,
Deux tyrans opposés ont déci lé ton sort,

L'amour malgré l'honneur t'a fait donner la vie,
L'honneur malgré l'amour t'a fait donner la mort.

D. N'y a-t-il pas aussi des sonnets en bouts rimés?

R. Oui c'est un pur jeu d'esprit qui consiste à remplir quatorze rimes bizarres, données en blanc, et rangées à la façon de celles du sonnet. En voici un dont le sujet est l'or:

Ce métal précieux, cette fatale... pluie

Qui vainquit Danaé, peut vaincre... l'univers
Par lui les grands secrets se trouvent... découverts,
Et l'on ne répand point de larmes qu'il n'...... essuie.

Il semble que sans lui tout le bonheur nous... fuie,
Les plus vastes cités deviennent des... déserts.

Les lieux les plus charmans sont pour nous des... enfers;
Enfin tout nous déplaît, nous choque et nous... ennuie.
Il faut, pour en avoir, ramper comme un... lézard;
Pour le plus grand défaut c'est un excellent... fard;
Il peut, dans un moment, illustrer la... canaille.

Il donne de l'esprit au plus lourd... animal;
Il peut forcer un mur, gagner une... bataille,
Mais il n'a jamais fait tant de bien que de... mal.

D. Quels auteurs se sont distingués en ce genre?

R. Les sonnets ont été fort en vogue dans l'Italie, depuis Pétrarque, qui est reconnu pour le père de cette espèce de poésie. Ce fut, Dubellay, selon les uns, et Melin de St.-Gelais, selon d'autres, qui apporta le premier usage des sonnets en France. Il en existe plusieurs de Ronsard, de Malherbe, de Maynard, etc.... mais, comme l'a dit Boileau :

A peine dans Gombaut, Maynard et Malleville,
En peut-on admirer deux ou trois entre mille.

De l'Épigramme.

D. Qu'est-ce que l'Épigramme?

R. C'est une petite pièce de vers, qui doit se terminer par une pensée vive et brillante, ou par un mot ingénieusement tourné, dont la pointe, qu'on appelle chute, ait quelque chose qui pique notre esprit,

l'intéresse, ou le surprenne agréablement. D. Quel doit en être le style?

R. Les expressions doivent en être choisies, la versification châtiée, sans la moindre licence. On y pardonne d'autant moins les fautes, que l'ouvrage est court, et qu'on les y découvre plus aisément.

Boileau a dit, après avoir parlé du

sonnet :

L'épigramme, plus libre en son tour plus borné,
N'est souvent qu'un bon mot, de deux rimes orné

Il s'ensuit, que la brièveté et le sel sont ses deux principaux caractères.

D. Y a-t-il plusieurs sortes d'épigrammes? R. On peut en distinguer de trois espèces : 1°. l'épigramme purement morale, telle que celle-ci, de Pelisson:

Grandeur, savoir, renommée,
Amitié, plaisir et bien,

Tout n'est que vent, que fumée;

Pour mieux dire, tout n'est rien.

Ou cette autre de Rousseau, qui est moins sérieuse :

Ce monde-ci n'est qu'une œuvre comique,
Où chacun fait ses rôles différens.

Là, sur la scène, en habit dramatique,
Brillent prélats, ministres, conquérans.
Pour nous, vil peuple, assis aux derniers rangs,
Troupe futile, et des grands rebutée,
Par nous, d'en-bas la pièce est écoutée.

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