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On n'y voudrait point d'épisodes. Je veux dire là-dessus que j'ai toujours été fort obligé à Virgile des digressions qu'il a pratiquées dans ses Géorgiques, mais que pour celles qu'Ovide a mêlées dans l'art d'aimer, je n'ai pu les lui pardonner.

Les plaintes que fait M. de Clèves à Mlle de Chartres, lorsqu'il est sur le point de l'épouser, sont si belles, qu'à ma seconde lecture je brûlais d'impatience d'en être là, et que je ne pouvais m'empêcher de vouloir un peu de mal à ce plan de la cour de Henri II, et à tous ces mariages proposés et rompus qui reculaient si loin ces plaintes qui me charmaient. Bien des gens ont été pris à ce plan. Ils croyaient que tous les personnages dont on y fait le portrait, et tous les divers intérêts qu'on y explique, dussent entrer dans le corps de l'ouvrage, et se lier nécessairement avec ce qui suivait; mais je m'aperçus bien d'abord que l'auteur n'avait eu dessein que de nous donner une vue ramassée de l'histoire de ce temps-là.

L'aventure du bal m'a semblé la plus jolie et la plus galante du monde, et l'on prend dans ce moment-là pour M. de Nemours et pour madame de Clèves l'amour qu'ils prennent l'un pour l'autre. Y-a-t-il rien de plus fin que la raison qui empêche madame de Clèves d'aller au bal du maréchal de Saint-André, que la manière dont le duc de Nemours s'aperçoit de cette raison, que la honte qu'a madame de Clèves qu'il s'en aperçoive, et la crainte qu'elle avait qu'il ne s'en aperçût pas? L'adresse dont madame de Chartres se sert pour tâcher à guérir sa fille de sa passion naissante, est encore très-délicate, et la jalousie dont madame de Clèves est piquée en ce moment-là, fait un effet admirable. Enfin, monsieur, si je voulais vous faire remarquer tout ce que j'ai trouvé de délicat dans cet ouvrage, il faudrait que je copiasse ici tous les sentimens de M. de Nemours et de madame de Clèves.

Nous voici à ce trait si nouveau et si singulier, qui est l'aveu que madame de Clèves fait à son mari de l'amour qu'elle a pour le duc de Nemours. Qu'on raisonne tant qu'on voudra làdessus, je trouve le trait admirable et très-bien préparé : c'est la plus vertueuse femme du monde qui croit avoir sujet de se défier d'elle-même, parce qu'elle sent son cœur prévenu malgré elle en faveur d'un autre que de son mari. Elle se fait un crime de ce penchant tout involontaire et tout innocent qu'il est; elle cherche du secours pour le vaincre. Elle doute qu'elle eût la force d'en venir à bout si elle s'en fiait à elle seule; et pour s'imposer encore une conduite plus austère que celle que sa propre vertu lui imposerait, elle fait à son mari la confidence de ce qu'elle sent pour un autre. Je ne vois rien à cela que de

beau et d'héroïque. Je suis ravi que M. de Nemours sache la conversation qu'elle a avec son mari, mais je suis au désespoir qu'il l'écoute. Cela sent un peu les traits de l'Astrée.

L'auteur a fait jouer un ressort bien plus délicat pour faire répandre dans la cour une aventure si extraordinaire. Il n'y a rien de plus spirituellement imaginé que le duc de Nemours. qui conte au Vidame son histoire particulière en termes généraux. Tous les embarras que cela produit sont merveilleux.

A dire vrai, monsieur, il me semble que M. de Nemours a un peu de tort de faire un voyage à Coulommiers de la nature de celui qu'il y fit, et madame de Clèves a également tort d'en mourir de chagrin. On admire la sincérité qu'eut madame de Cleves d'avouer à son mari son amour pour M. de Nemours; mais quand M. de Nemours, qui doit croire tout au moins qu'il est extrêmement suspect à M. de Clèves, s'informe devant lui, et assez particulièrement, de la disposition de Coulommiers, j'admire avec quelle sincérité il lui avoue le dessein qu'il a d'aller voir sa femme. D'ailleurs entrer la nuit chez madame de Clèves en sautant les palissades, c'est faire une entrée un peu triomphante chez une femme qui n'en est pas encore à souffrir de pareilles entrées. Enfin M. de Clèves tire des conséquences un peu trop fortes de ce voyage. Il devait s'éclaircir de toutes choses plus particulièrement, et je trouve qu'en cette rencontre, ni l'amant ni le mari n'ont assez bonne opinion de la vertu de madame de Clèves, dont ils avaient pourtant l'un et l'autre des preuves assez extraordinaires.

Ce qui suit la mort de M. de Clèves, la conduite de madåme de Clèves, sa conversation avec M. de Nemours, sa retraitë, tout m'a paru très-juste. Il y a je ne sais quoi qui m'empêche de mettre au même rang le peintre et l'apparition de M. de Nemours dans le jardin.

Il me reste à vous proposer un petit scrupule d'histoire. Tout ce que madame de Chartres apprend à sa fille de la cour de François Ier, et tout ce que la reine Dauphine apprend à madame de Clèves de celle d'Henri VIII, étaient-ce des particularités assez cachées dans ce temps-là pour n'être pas sues de tout le monde? car il est certain que depuis, toutes les histoires en ont été pleines, jusques-là que moi-même je les savais. Adieu monsieur; tenez-moi compte de l'effort que je viens de me faire pour vous contenter.

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CONTENUES DANS CE VOLUME.

ENTRETIENS SUR LA Pluralité des Mondes.

Page 1

PREMIER SOIR. Que la Terre est une Planète qui tourne sur elle-même et
autour du Soleil.

SECOND SOIR. Que la Lune est une Terre habitée.

TROISIÈME SOIR. Particularités du Monde de la Lune. Que les autres
Planètes sont habitées aussi.

QUATRIÈME SOIR. Particularités des Mondes de Vénus, de Mercure,
de Jupiter et de Saturne.
CINQUIÈME SOIR. Que les Étoiles fixes sont autant de Soleils, dont chacun

éclaire un Monde.

SIXIÈME SOIR. Nouvelles pensées qui confirment celles des Entretiens
précédens. Dernières découvertes qui ont été faites dans le Ciel.
Lettre sur la Pluralité des Mondes.

HISTOIRE DES ORACLES.

I. DISSERTATION. Que les Oracles n'ont point été rendus par les Dé-

mons.

CHAPITRE PREMIER. Première raison pourquoi les anciens Chrétiens ont
cru que les Oracles étaient rendus par les Démons. Les histoires
surprenantes qui couraient sur le fait des Oracles et des Génies.
CHAPITRE II. Seconde raison des anciens Chrétiens pour croire les
Oracles surnaturels. Convenance de cette opinion avec le système du
christianisme.

CHAPITRE III. Troisième raison des anciens Chrétiens. Convenance de
leur opinion avec la philosophie de Platon.

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CHAPITRE XI. Nouveaux établissemens d'Oracles.
CHAPITRE XII. Lieux où étaient les Oracles.

CHAPITRE IX. Que les anciens Chrétiens eux-mêmes n'ont pas trop
cru que les Oracles fussent rendus par les Démons.
CHAPITRE X. Oracles corrompus.

CHAPITRE VII. Que de grandes sectes de philosophes païens n'ont
point cru qu'il y eût rien de surnaturel dans les Oracles.
CHAPITRE VIII. Que d'autres que des philosophes ont assez souvent fait
peu de cas des Oracles.

CHAPITRE V. Que l'opinion commune, sur les Oracles, ne s'accorde pas
si bien qu'on pense avec la Religion.
CHAPITRE VI. Que les Démons ne sont pas suffisamment établis par le
paganisme.

CHAPITRE IV. Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les Oracles,
doivent être fort suspectes.

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CHAPITRE XIII. Distinctions de jours et autres mystères des Oracles.
CHAPITRE XIV. Des Oracles qui se rendaient sur des billets cachetés.
CHAPITRE XV. Des Oracles en songes.

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CHAPITRE XVI. Ambiguïté des Oracles.

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CHAPITRE XVII. Fourberies des Oracles manifestement découvertes.

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