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sement, et figurent diversement ensemble; au lieu que les étoiles fixes sont toujours dans la même situation les unes à l'égard des autres. Le chariot, par exemple, que vous voyez, qui est formé de ces sept étoiles, a toujours été fait comme il est, et le sera encore long-temps; mais la lune est tantôt proche du soleil, tantôt elle en est éloignée, et il en va de même des autres planètes. Voilà comme les choses parurent à ces anciens bergers de Chaldée dont le grand loisir produisit les premières observations, qui ont été le fondement de l'astronomie; car l'astronomie est née dans la Chaldée, comme la géométrie naquit, dit-on, en Égypte, où les inondations du Nil, qui confondaient les bornes des champs, furent cause que chacun voulut inventer des mesures exactes pour reconnaître son champ d'avec celui de son voisin. Ainsi, l'astronomie est fille de l'oisiveté; la géométrie est fille de l'intérêt, et s'il était question de la poésie, nous trouverions apparemment qu'elle est fille de l'Amour.

Je suis bien aise, dit la marquise, d'avoir appris cette généalogie des sciences, et je vois bien qu'il faut que je m'en tienne à l'astronomie, La géométrie, selon ce que vous me dites, demanderait une âme plus intéressée que je ne l'ai, et la poésie en demanderait une plus tendre; mais j'ai autant de loisir que l'astronomie en peut demander. Heureusement encore nous sommes à la campagne, et nous y menons quasi une vie pastorale : tout cela convient à l'astronomie. Ne vous y trompez pas, madame, repris-je; ce n'est pas là vraie vie pastorale que de parler des planètes et des étoiles fixes. Voyez si c'est à cela que les gens de l'Astrée passent leur temps. Oh! répondit-elle, cette sorte de bergerie-là est trop dangereuse; j'aime mieux celle de ces Chaldéens, dont vous me parliez. Recommencez un peu, s'il vous plaît, à me parler chaldéen. Quand on eût reconnu cette disposition des cieux, que vous m'avez dite, de quoi fut-il question? Il fut question, repris-je, de deviner comment toutes les parties de l'univers devaient être arrangées, et c'est là ce que les savans appellent faire un système. Mais avant que je vous explique le premier des systèmes, il faut que vous remarquiez, s'il vous plaît, que nous sommes tous faits naturellement comme un certain fou athénien, dont vous avez entendu parler, qui s'était mis dans la fantaisie que tous les vaisseaux qui abordaient au port de Pyrée, lui appartenaient. Notre folie, à nous autres, est de croire aussi que toute la nature, sans exception, est destinée à nos usages; et quand on demande, à nos philosophes, à quoi sert ce nombre prodigieux d'étoiles fixes, dont une partie suffirait pour faire ce qu'elles font toutes, ils yous répondent

froidement qu'elles servent à leur réjouir la vue. Sur ce principe, on ne manqua pas d'abord de s'imaginer qu'il fallait que la terre fût en repos au centre de l'univers, tandis que tous les corps célestes, qui étaient faits pour elle, prendraient la peine de tourner à l'entour pour l'éclairer. Ce fut donc au-dessus de la Terre qu'on plaça la Lune, et au-dessus de la Lune, on plaça Mercure, ensuite Vénus, le Soleil, Mars, Jupiter, Saturne. Au-dessus de tout cela, était le ciel des étoiles fixes. La terre se trouvait justement au milieu des cercles que décrivent ces planètes, et ils étaient d'autant plus grands, qu'ils étaient plus éloignés de la terre, et par conséquent les planètes, plus éloignées, employaient plus de temps à faire leur cours, ce qui effectivement est vrai. Mais je ne sais pas, interrompit la marquise, pourquoi vous semblez n'approuver pas cet ordre-là dans l'univers; il me paraît assez net et assez intelligible, et pour moi, je vous déclare que je m'en contente. Je puis me vanter, répliquai-je, que je vous adoucis bien tout ce système. Si je vous le donnais tel qu'il a été conçu par Ptolomée, son auteur, ou par ceux qui y ont travaillé après lui, il vous jetterait dans une épouvante horrible. Comme les mouvemens des planètes ne sont pas si réguliers, qu'elles n'aillent tantôt plus vite, tantôt plus lentement, tantôt en un sens, tantôt en un autre, et qu'elles ne soient quelquefois plus éloignées de la terre, quelquefois plus proches; les anciens avaient imaginé je ne sais combien de cercles différemment entrelacés les uns dans les autres, par lesquels ils sauvaient toutes ces bizarreries. L'embarras de tous ces cercles était si grand, que dans un temps où l'on ne connaissait encore rien de meilleur, un roi de Castille, grand mathématicien, mais apparemment peu dévot, disait, que si Dieu l'eût appelé à son conseil, quand il fit le monde, il lui eût donné de bons avis. La pensée est trop libertine; mais cela même est assez plaisant, que ce système fût alors une occasion de pécher, parce qu'il était trop confus. Les bons avis que ce roi voulait donner, regardaient, sans doute, la suppression de tous ces cercles, dont on avait embarrassé les mouvemens célestes. Apparemment ils regardaient aussi une autre suppression de deux ou trois cieux superflus, qu'on avait mis au-delà des étoiles fixes. Ces philosophes, pour expliquer une sorte de mouvement dans les corps célestes, faisaient au-delà du dernier ciel que nous voyons, un ciel de crystal, qui imprimait ce mouvement aux cieux inférieurs. Avaient-ils nouvelle d'un autre mouvement? c'était aussitôt un autre ciel de crystal. Enfin, les cieux de crystal ne leur coûtaient rien. Et pourquoi ne les faisait-on que de crystal? dit la marquise. N'eussent-ils pas été bons de quelque autre `matière? Non, répondis-je ; il fallait que la lumière passât au tra

vers, et d'ailleurs il fallait qu'ils fussent solides : il le fallait absolument; car Aristote avait trouvé que la solidité était une chose attachée à la noblesse de leur nature; et puisqu'il l'avait dit, on n'avait garde d'en douter. Mais on a vu des comètes qui, étant plus élevées qu'on ne croyait autrefois, briseraient tout le crystal des cieux par où elles passent, et casseraient tout l'univers; et il fallut se résoudre à faire les cieux d'une matière fluide, telle que l'air. Enfin, il est hors de doute, par les observations de ces derniers siècles, que Vénus et Mercure tournent autour du soleil, et non autour de la terre ; et l'ancien système est absolument insoutenable par cet endroit. Je vais donc vous en proposer un qui satisfait à tout, et qui dispenserait le roi de Castille de donner des avis; car il est d'une simplicité charmante, et qui seule le ferait préférer. Il semblerait, interrompit la marquise, que votre philosophie est une espèce d'enchère, où ceux qui offrent de faire les choses à moins de frais, l'emportent sur les autres. Il est vrai, repris-je, et ce n'est que par là qu'on peut attraper le plan sur lequel la nature a fait son ouvrage. Elle est d'une épargne extraordinaire; tout ce qu'elle pourra faire d'une manière qui lui coûtera un peu moins, quand ce moins ne serait presque rien, soyez sûre qu'elle ne le fera que de cette manièrelà. Cette épargne néanmoins s'accorde avec une magnificence surprenante, qui brille dans tout ce qu'elle a fait c'est que la magnificence est dans le dessein, et l'épargne dans l'exécution. Il n'y a rien de plus beau qu'un grand dessein que l'on exécute à peu de frais. Nous autres, nous sommes sujets à renverser souvent tout cela dans nos idées. Nous mettons l'épargne dans le dessein qu'a eu la nature, et la magnificence dans l'exécution. Nous lui donnons un petit dessein, qu'elle exécute avec dix fois plus de dépense qu'il ne faudrait; cela est tout-à-fait ridicule. Je serai bien aise, dit-elle, que le système dont vous m'allez parler, imite de fort près la nature; car ce grand ménage-là tournera au profit de mon imagination, qui n'aura pas tant de peine à comprendre ce que vous me direz. Il n'y a plus ici d'embarras inutiles, repris-je. Figurez-vous un allemand, nommé Copernic, qui fait main-basse sur tous ces cercles différens, et sur tous ces cieux solides, qui avaient été imaginés par l'antiquité. Il détruit les uns, il met les autres en pièces. Saisi d'une noble fureur d'astronome, il prend la terre, et l'envoie bien loin du centre de l'univers où elle s'était placée, et dans ce centre il y met le soleil, à qui cet honneur était bien mieux dû. Les planètes ne tournent plus autour de la terre, et ne l'enferment plus au milieu du cercle qu'elles décrivent. Si elles nous éclairent, c'est en quelque sorte par hasard, et parce qu'elles

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nous rencontrent en leur chemin. Tout tourne présentement autour du soleil; la terre y tourne elle-même ; et pour la punir du long repos qu'elle s'était attribué, Copernic la charge le plus qu'il peut de tous les mouvemens qu'elle donnait aux planètes et aux cieux. Enfin, de tout cet équipage céleste, dont cette petite terre se faisait accompagner et environner, il ne lui est demeuré que la lune, qui tourne encore autour d'elle. Attendez un peu, dit la marquise, il vient de vous prendre un enthousiasme qui vous a fait expliquer les choses si pompeusement, que je ne crois pas les avoir entendues. Le soleil est au centre de l'univers, et là il est immobile. Après lui, qu'est-ce qui suit? C'est Mercure, répondis-je ; il tourne autour du soleil, en sorte que le soleil est à peu près le centre du cercle que Mercure décrit. Au-dessus de Mercure est Vénus, qui tourne de même autour du soleil. Ensuite vient la terre, qui, étant plus élevée que Mercure et Vénus, décrit autour du soleil un plus grand cercle que ces planètes. Enfin, suivent Mars, Jupiter, Saturne, selon l'ordre où je vous les nomme; et vous voyez bien que Saturne doit décrire autour du soleil le plus grand cercle de tous; aussi emploie-t-il plus de temps qu'aucune autre planète à faire sa révolution. Et la lune, vous l'oubliez ? interrompit-elle. Je la retrouverai bien, repris-je. La lune tourne autour de la terre, et ne l'abandonne point; mais comme la terre avance toujours dans le cercle qu'elle décrit autour du soleil, la lune la suit, en tournant toujours autour d'elle ; et si elle tourne autour du soleil, ce n'est que pour ne point quitter la terre.

Je vous entends, répondit-elle; et j'aime la lune de nous être restée, lorsque toutes les autres planètes nous abandonnaient. Avouez, que si votre allemand eût pu nous la faire perdre, il l'aurait fait volontiers; car je vois, dans tout son procédé, qu'il était bien mal intentionné pour la terre. Je lui sais bon gré, répliquai-je, d'avoir rabattu la vanité des hommes, qui s'étaient mis à la plus belle place de l'univers; et j'ai du plaisir à voir présentement la terre dans la foule des planètes. Bon, répondit-elle, croyez-vous que la vanité des hommes s'étende jusqu'à l'astronomie? Croyez-vous m'avoir humiliée, pour m'avoir appris que la terre tourne autour du soleil? Je vous jure que je ne m'en estime pas moins. Mon Dieu, madame, pris-je, je sais bien qu'on sera moins jaloux du rang qu'on tient dans l'univers, que de celui qu'on croit devoir tenir dans une chambre, et que la préséance de deux planètes ne sera jamais une si grande affaire que celle de deux ambassadeurs, Cependant, la même inclination, qui fait qu'on veut avoir la place la plus honorable dans une cérémonie, fait qu'un phi

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losophe, dans un système, se met au centre du monde, s'il peut. Il est bien aise que tout soit fait pour lui; il suppose peutêtre, sans s'en apercevoir, ce principe qui le flatte, et son cœur ne laisse pas de s'intéresser à une affaire de pure spéculation. Franchement, répliqua-t-elle, c'est là une calomnie que vous avez inventée contre le genre humain. On n'aurait donc jamais dû recevoir le système de Copernic, puisqu'il est si humiliant. Aussi, repris-je, Copernic lui-même se défiait-il fort du succès de son opinion. Il fut très-long-temps à ne la vouloir pas publier. Enfin, il s'y résolut, à la prière de gens très-considérables; mais aussi, le jour qu'on lui apporta le premier exemplaire imprimé de son livre, savez-vous ce qu'il fit? Il mourut. Il ne voulut point essuyer toutes les contradictions qu'il prévoyait, et se tira habilement d'affaire. Écoutez, dit la marquise, il faut rendre justice à tout le monde. Il est sûr qu'on a de la peine à s'imaginer qu'on tourne autour du soleil; car enfin, on ne change point de place, et on se retrouve toujours le matin où l'on s'était couché le soir. Je vois, ce me semble, à votre air, que vous m'allez dire que, comme la terre toute entière marche..... Assurément, interrompis-je, c'est la même chose que si vous vous endormiez dans un bateau qui allât sur la rivière, vous vous trouveriez à votre réveil dans la même place et dans la même situation, à l'égard de toutes les parties du bateau. Oui ; mais, répliqua-t-elle, voici une différence; je trouverais à mon réveil le rivage changé, et cela me ferait bien voir que mon bateau aurait changé de place. Mais il n'en va pas de même de la terre ; j'y retrouve toutes choses comme je les avais laissées. Non pas, madame, répondis-je, le rivage est changé aussi. Vous savez qu'au-delà de tous les cercles des planètes sont les étoiles fixes: voilà notre rivage. Je suis sur la terre, et la terre décrit un grand cercle autour du soleil. Je regarde au centre de ce cercle, j'y vois le soleil. S'il n'effaçait point les étoiles, en poussant ma vue en ligne droite au-delà du soleil, je le verrais nécessairement répondre à quelques étoiles fixes; mais je vois aisément, pendant la nuit, à quelles étoiles il a répondu le jour, et c'est exactement la même chose. Si la terre ne changeait point de place sur le cercle où elle est, je verrais toujours le soleil répondre aux mêmes étoiles fixes; mais dès que la terre change de place il faut que je la voie répondre à d'autres étoiles. C'est là le rivage qui change tous les jours; et comme la terre fait son cercle en un an autour du soleil, je vois le soleil, en l'espace d'une année, répondre successivement à diverses étoiles fixes qui composent un cercle; ce cercle s'appelle le Zodiaque. Vou

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