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§. XXIII.

Des Impôts exceffifs & trop onéreux; moyens d'y remédier.

EL peuple qui fupporte des impofitions très-fortes, eft cependant moins chargé en proportion, que tel autre qui paie beaucoup moins, & qui fe trouve pourtant accablé fous le poids de la charge, plus ou moins onéreuse en proportion du plus ou moins de commerce & de circulation de l'argent. Ainfi, par-tout où il y a un grand commerce, les droits & les gabelles peuvent être d'autant plus confidérables, que les arts & l'induftrie rendent aux particuliers, ce que la douane a tiré d'eux; d'où il fuit que quoique le Prince leve beaucoup, tout ce qui entre dans fes coffres retourne au peuple par une autre voie. Ce qui fait trouver les impôts exorbitans, & ce qui les rend effectivement tels, c'eft quand le Prince tire du peuple & ne lui rend rien; lorfque les villageois & les laboureurs ont beaucoup de peine à vivre, & que les citoyens aifés font privés des commodités par lefquelles ils fe diftinguoient du fimple peuple. Quand on voit dans un Gouvernement des terres laiffées incultes par les propriétaires rebutés de la furcharge des taxes & des redevances, on peut fans crainte de fe tromper, en conclure, que relativement aux impôts & à leur répartition, le Gouvernement eft très-mauvais.

On a dit dans le paragraphe précédent, qu'il étoit des temps fàcheux de guerre & de calamité qui obligeoient le Souverain à établir de nouvelles impofitions; mais dans ces cas, qui, comme on voit, devroient être fort rares, il feroit jufte & raifonnable que ces guerres & ces calamités paffées, les impôts ceffaffent auffi. Mais pour l'ordinaire c'eft le contraire qui arrive, & à peine un impôt eft créé qu'il prend de profondes racines, & n'eft plus fupprimé, comme ne l'ont pas été les anciens, & comme ne le feront pas ceux qu'on établira dans la fuite. Car fi l'on recherche l'origine de la plupart des taxes, tailles, droits, &c. on trouvera que c'eft un besoin extraordinaire qui les a fait mettre, que la coutume les a foutenus, & que de prétextes en prétextes ils fe font perpétués & fe perpétueront jufqu'à la fin. Eft-ce pour éteindre une dette, que la taxe a été impofée ? Pourquoi cette dette acquitée la taxe continue-t-elle de fubfifter? Le bon Prince la fupprimera, & par cette fuppreffion il s'attirera la confiance & la bénédiction du peuple mais, par malheur tout eft foumis au calcul, & il n'y a que trop de gens qui trouvent que le revenu de quelques millions, vaut mieux que la confiance & la bénédiction publiques.

Une guerre finit; le peuple commence à refpirer; n'eft-il pas de la raifon & de la charité que le Prince s'attache à éteindre peu-à-peu les dettes contractées pendant cette guerre, & qu'il ôte fucceffivement & à proportion, les impôts qui n'ont été créés que pour acquitter ces dettes. C'eft pourtant ce qu'on ne fait guere; & cela vient de ce que dans les Con

feils des Rois il y a trop de perfonnes toujours prêtes à s'élever contre quiconque propofe de foulager le public.

Il eft des dettes publiques de deux fortes, celles que l'Etat a contractées avec les étrangers, & celles qu'il a contractées avec lui-même ou avec les citoyens or, ce qu'il y a de plus important, c'eft de payer les premieres parce que tant qu'il n'eft dû qu'aux fujets de l'Etat, la totalité n'en fouffre pas car il ne fe perd rien de l'argent de l'Etat ou des villes en fortant de la caiffe publique pour paffer dans les bourses des particuliers, il ne fait que changer de maître fans changer de pays : mais quand les deniers fortent de l'Etat, c'eft alors que le fonds public diminue, & la nation en eft d'autant affoiblie. Il est donc du plus grand intérêt du Prince, de faire enforte que les étrangers ne fucent pas longtemps le fang du peuple. Lorfque ces premieres dettes font éteintes, le Souverain ne doit s'occuper qu'à éteindre celles du dedans, & il y a d'autant plus d'intérêt, que les fujets une fois déchargés de ce fardeau, lui payeroient d'autant plus facilement les contributions qu'ils lui doivent. Au refte les dettes de cette feconde efpece ont de très-dangereufes conféquences, attendu que les particuliers trouvant un expédient fi facile de faire valoir leur argent, fans fe donner aucune peine, placent là tous leurs fonds, abandonnent le commerce, les arts, & négligent tous les moyens de contribuer au bien du pays.

Ce qui empêche le plus généralement que l'on n'éteigne en temps de paix les impofitions établies pendant la guerre, eft l'ufage adopté par la plupart des Souverains, d'avoir dans le calme le plus profond de nombreuses armées fur pied. On dit que cette précaution eft néceffaire pour être toujours prêt à repouffer une attaque imprévue cela peut être ; mais il est très-malheureux, que par cette cruelle politique, la paix, s'il eft permis de s'exprimer ainfi, s'entende avec la guerre pour dévorer la fubftance des peuples. Toutefois, quand l'argent des troupes circule dans l'Etat, ce n'eft qu'un demi-mal, parce que fi d'un côté le peuple est surchargé, de l'autre, il vend mieux fes denrées & fes ouvrages. D'ailleurs un Souverain qui a toutes fes forces prêtes au befoin, a fouvent le moyen d'épargner des guerres à fes peuples.

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§. XXIV.

Des Monnoies.

A monnoie en or, en argent & en cuivre, a été inventée pour faciliter le commerce qui deviendroit trop difficile, & fouvent trop impraticable, fi l'on ne le faifoit que par échanges. Mais cette invention eft fujette à bien des viciffitudes, & c'eft un grand mal que la monnoie éprouve des variations, d'autant plus qu'elles ne tendent que très-rare

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ment à la faire baiffer de prix, mais trop fouvent à lui donner une augmentation de valeur confidérable & quelquefois très-difproportionnée. Il eft des pays, où les négocians fe jettent dans cette efpece de commerce qui n'eft profitable que pour eux, & fort préjudiciable au public. Il en eft d'autres, qui, pourvu que l'on paie les impofitions en bonnes espele Gouvernement s'embarraffe peu, que fur la place on monte, on change à fon gré le prix de fa propre monnoie, que l'on en introduise, d'étrangeres, & qu'on les apprécie à fa fantaifie c'eft fans contredit un très-grand mal, & tolérer de pareils abus, c'eft travailler très-efficacement à la ruine du public.

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Le plus grand tort qu'un Prince puiffe faire à foi-même & à fes peuples, eft de donner aux efpeces monnoyées à fa marque un prix fupérieur & qui n'eft pas proportionné à leur valeur intrinfeque. Il eft vrai que d'abord fes finances gagnent beaucoup par cette altération du poids & de la matiere; mais s'il commence par gagner cent, il ne tarde il ne tarde pas à perdre mille, parce que cette monnoie ainfi altérée, & perdant autant de fa valeur intrinfeque, eft rebutée de tous les particuliers qui n'en veulent plus. Sur cette matiere, les imprudences, les abus, les fraudes même font très-multipliées. Pour en connoître les inconvéniens, il fuffit d'être convaincu de la vérité de cette maxime, que le Prince fait tort à fes Etats toutes les fois qu'il fait battre des monnoies dont la matiere n'eft pas au titre de la valeur intrinfeque qu'elle doit avoir parce que s'il peut contraindre fes fujets à les prendre, il ne peut pas y obliger les étrangers, avec lefquels les citoyens ne pourront plus commercer.

Veut-on fe former une idée des altérations & des changemens que l'on fait éprouver aux monnoies, & toujours au préjudice des peuples. Que l'on confidere le cours des monnoies en Europe, depuis 1400 jufqu'à 1600, de 1600 jufqu'à 1706, & depuis cette derniere époque jufqu'à nos jours, on y trouvera une différence étonnante pour l'augmentation du prix & l'altération dans la matiere. Ce feroit une découverte curieufe, quoiqu'affligeante, que celle de favoir où font paffés depuis deux fiecles les énormes tréfors que l'Europe a tirés de l'Amérique, cette infinie quantité de perles & de pierres précieufes que l'on a tirées de l'Afie : cette immensité de richeffes, qui, des mines du Pérou, du Chily, du Bréfil, &c. n'a refté quelques jours en Europe que pour aller s'abymer & fe perdre on ne fait où. On dira fans doute qu'avant la découverte des Indes Occidentales, il y avoit en Europe moins d'efpeces d'or & d'argent, que tout s'y paie plus cher, qu'il y a plus de commerce, &c. mais avec tout cela, où trouve-t-on chez les Européens ces monts d'or qui devroient y être, fi ces richeffes ne fe fuffent pas perdues.

Ce qui contribue le plus à diffiper & à abforber toutes les richeffes de l'Europe, eft le très-funefte commerce d'Orient, où fe tranfporte tout le produit des mines d'Amérique, produit que l'on achete au prix de tant de foins, Tome IX.

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de fatigué, d'induftrie: c'eft en Turquie que paffent les efpeces monnoyées de Toscane, où elles gagnent foixante pour cent; celles de Venife y paffent auffi avec un gain de 50 pour. Les Anglois, les Hollandois & plufieurs autres Nations Européennes, portent par différentes voies, des fommes prodigieufes aux Indes Orientales, & paient une espece de tribut ruineux au Mogol, à la Perfe, à la Chine, au Japon & à tous les comptoirs des Royaumes Orientaux: fobres & peu curieux de nos modes, ces peuples nous achetent très-peu de chofe, & nous vendent à haut prix, leurs foies, leurs toiles, leurs épiceries & leurs drogues médicinales dont nous avons l'imbécillité de croire ne pouvoir nous paffer, tandis que fi nous le voulions, nos fimples équivaudroient à leurs drogues, qui augmentent bien plutôt qu'elles ne diminuent nos liftes de mortalité. Les réflexions qu'il y a à faire fur ce fujet, fe préfentent en foule; tout le monde le fait & perfonne ne remédie au mal, qui va toujours croiffant enforte qu'il eft très-probable que tôt ou tard, fi les Souverains ne s'y oppofent plus efficacement qu'ils ne l'ont fait jufqu'ici, toutes les richeffes, tout l'or & l'argent de l'Europe iront irrévocablement fe perdre en Orient,

S. X X V.

Des Archives publiques, des Greffiers, des Notaires, & du foin que le Gouvernement doit prendre des Pauvres.

IL importe infiniment qu'il y ait, dans tout Gouvernement, des lieux où

foit déposée une copie de tous les actes, teftamens & autres contrats qui doivent y être confervés avec plus de foin encore qu'ils ne le font chez les Notaires. Jadis les Rois, les Princes & les Eglifes mêmes avoient leurs archives particulieres mais les révolutions, les incendies, les invafions des Barbares, mille facheux événemens ont fait périr & ces lieux & les monumens qui y étoient confervés; de maniere que nos archives font très récentes, & que l'acte le plus ancien qui exifte encore de nos jours, ne remonte qu'à un très-petit nombre de fiecles.

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Le moyen le plus fûr qu'il y ait à prendre pour conferver les actes & les titres, eft que l'on faffe des copies fidelles de tous les actes dans des cadaftres ou regiftres, & qu'elles foient bien conformes aux originaux : que ces regiftres foient dépofés & ne fortent jamais des archives, dont la garde ne doit être confiée qu'à des perfonnes d'une probité reconnue & de la plus intacte intégrité. Mais au défaut d'archives, comme ce font les Notaires qui font les dépofitaires des actes, des contrats & des titres, ils ne devroient fe fervir pour leurs écritures que de papiers très-forts & de la meilleure encre; c'eft cependant à quoi ils ne paroiffent guere faire une attention particuliere. Auffi ceux qui font à la tête du Gouvernement ne fauroient regarder comme trop important au bien & à l'honneur de

l'Etat d'avoir de bons Notaires, qui ne devroient être reçus qu'après avoir fubi un rigoureux examen. Rien n'eft plus pernicieux que d'admettre des ignorans à cet emploi; car, des gens qui ne font pas au fait, des loix générales & des coutumes du pays, ne fauroient rédiger & étendre comme il faut les intentions & les volontés de ceux qui contractent. Le peu d'attention que l'on a pour le choix de ces Officiers publics, & la négligence avec laquelle on fouffre leurs fautes, font à ceux qui font à la tête du Gouvernement plus de tort qu'ils ne le penfent, & c'eft avec raison que c'eft à eux qu'on attribue tous les maux qui résultent de l'impéritie des

Notaires.

Les pauvres font la portion onéreufe & fouffrante du Gouvernement; & les Princes qui ne s'empreffent point à foulager leur mifere, à les fecourir dans leurs befoins, manquent effentiellement d'humanité. Comme le reste des citoyens, ils font les fujets du Souverain, & il doit s'en montrer le pere. De tous les établiffemens, ceux donc qui dépofent le plus en faveur de la bienfaisance & de l'humanité du Prince, font les hôpitaux pour les pauvres infirmes & pour les enfans trouvés. Toutefois il ne fuffit pas à un Souverain d'avoir fondé de pareils établiffemens s'il veut les rendre auffi utiles qu'ils peuvent l'être, il doit au moins une fois tous les ans prendre des informations exactes pour s'affurer que toutes les obligations, impofées à ceux qui font prépofés à l'administration de ces lieux, font fidélement remplies car il peut arriver que les revenus de ces établissemens foient plus les revenus des adminiftrateurs que ceux des pauvres : il doit s'affurer que l'on fatisfait à l'intention des fondateurs ou des teftateurs, à laquelle il ne faut rien changer, à moins que d'en avoir les plus fortes raisons.

L'un des plus grands biens encore que le Souverain puiffe faire à l'Etat, eft de procurer, par tous les moyens poffibles, aux pauvres de quoi travailler & gagner leur vie, & fur-tout en les employant aux arts qui mettent en œuvre la foie & la laine: en féviffant contre les pareffeux & les vagabonds, toujours prêts à mal faire; il faut ou les forcer à travailler, ou les bannir comme des citoyens dangereux, ou les punir s'ils s'obstinent à refter.

S. X X V I.

Des Jeux honnétes, de la Chaffe & de la Péche.

UN travail trop affidu fatigue, ufe & affoiblit: le corps comme l'efprit

doit prendre des momens de relâche & de diftraction; il eft donc indifpenfable de laiffer aux citoyens de toutes les claffes des divertiffemens honnêtes qui les amufent & leur faffent pour quelques momens perdre de vue leurs pénibles occupations. Or, de tous les amufemens, le plus honnête fans contredit, & le plus utile, eft le spectacle épuré, & bien dirigé. Car

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