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feuilles de figuier], par ichthyomantie [par les poissons], par choéromantie [par la vessie de pourceau], par cléromantie [par la fève, comme à la fête des rois], par anthropomantie [par l'inspection des entrailles humaines], par stichomantie sibylline [par les vers des sibylles], par onomatomantie [par les lettres du nom], par alectryomantie [en mettant des graines sur chacune des lettres de l'alphabet, et en regardant celles qu'un coq. qu'on fait venir, mangera les premières), par aruspicine et extispicine [examen des entrailles des victimes], par le vol des oiseaux, le chant des oiseaux, des canards en particulier, ou bien par nécromantie, en évoquant tel ou tel mort que l'on veut interroger.

Panurge, pendant cette énumération, donne de fréquents témoignages d'impatience. Il suggère, à Her Trippa cinq ou six modes de divination qu'il a oubliés, sans épuiser la matière toutefois. Ainsi il oublie la rabdomantie ou l'art de découvrir les sources en faisant tourner une baguette de coudrier connue sous le nom de verge d'Aaron, la bélénomantie ou l'art de deviner l'issue d'une entreprise en lançant au hasard certaines flèches préparées, divination pratiquée fréquemment chez les Chaldéens et mentionnée dans la Bible, et quantité d'autres. La liste complète des présages usités chez les différents peuples, a été tentée plus d'une fois sans pouvoir jamais devenir complète. Panurge finit par envoyer au diable le sorcier et regrette d'avoir perdu son temps dans la tanière de ce diable enjuponné›.

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Ainsi l'astrologie et les présages n'ont rien appris à Panurge. De désespoir, il adresse à son compagnon

frère Jean des Entommeures. C'est alors que les deux amis se mettent à écouter les cloches; leur n'est pas plus satisfai

nous le savons

réponse
sante que celle des autres oracles.

IX.

Au retour, nos trois personnages racontent à Pantagruel, qui ne les a pas accompagnés, le succès ou plutôt l'insuccès de leur mission. Tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, dit Pantagruel, se compose de trois choses: l'âme, le corps et les biens. Le théologien s'occupe de notre âme, le médecin de notre corps, le jurisconsulte de nos biens. Consultous un théologien, un médecin et un jurisconsulte.» Il fut décidé, malgré les objections de Panurge, qu'on inviterait à dîner, pour le dimanche suivant, le théologien Hippothadée dans lequel on a cru voir le confesseur de Louis XII, le médecin Roudibilis - dans lequel on voit Guillaume Rondelet, savant médecin du temps, -- le légiste Bridoye, qui est devenu le Brid'oison de Beaumarchais, en y adjoignant le philosophe Trouillegan, dont Molière s'est souvenu.

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Les personnages convoqués arrivent. On se met à table. Au second service, Panurge pose la fameuse question: Dois-je me marier? »

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«Si vous éprouvez le désir et le besoin de vous marier, mariez-vous, dit le théologien. C'est parler cela, dit Panurge. Je me marierai donc, je vous convie à mes noces, Corps de geline [de poule], nous ferons chère lie; vous aurez de la livrée des noces, et nous mangerons de l'oie, que ma femme ne rôtira point. Panurge fait allusion à une phrase bien

connue de la farce de Pathelin. Encore vous prierai-je de mener la première danse des jeunes filles, s'il vous plaît me faire tant de bien et d'honneur à charge de revanche.

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Reste un petit scrupule. Ma femme ne me trompera-t-elle point? Non, mon ami, s'il plaît à Dieu. Ah, s'il plait à Dieu! Vous me renvoyez aux conditionnelles, qui, en dialectique, permettent toutes les contradictions. Si mon mulet transalpin volait, mon mulet transalpin aurait des ailes. Vous me remettez au conseil privé de Dieu, en la chambre de ses menus plaisirs. Où prenez-vous le chemin pour y aller. vous autres Français? Monsieur notre père, je crois que ce sera mieux pour vous de ne pas venir à mes noces. Le bruit et le triballement des gens de noces vous rompraient tout le testament, [c'est-à-dire la tête et l'esprit: testa et mens.]Vous aimez le repos, le silence, la solitude. Et puis vous dansez mal et seriez honteux [intimidé] en menant le premier bal. Je vous enverrai du rillé [porc grillé] dans votre chambre, et de la livrée nuptiale aussi. Vous boirez à nous, s'il vous plaît.»

La plaisanterie de Rabelais diffère notablement de la nôtre : quand il a trouvé une veine plaisante, il la creuse, il l'épuise. Nous insistons moins aujourd'hui, et notre esprit aime à passer d'un point à un autre, à tout indiquer rapidement sans rien approfondir; c'était tout le contraire au XVI° siècle, et même au XVII. Voyez Molière. Nos paysans ont conservé cette manière de plaisanter. En écoutant Panurge, et Rabelais en général, il me semble entendre un écho des plaisanteries qui ont bercé mon enfance.

Hippothadée s'explique: «Dieu n'a pas de caprices, et vous n'avez pas besoin pour connaître sa volonté de consulter son conseil privé et de voyager en la chambre de ses très saints plaisirs. Votre femme ne vous trompera pas, si vous la prenez instruite en vertus et honnêteté, aimant et croyant Dieu, si de votre côté, vous l'entretenez en bonne amitié conjugale et lui montrez le bon exemple. Le miroir le plus parfait n'est pas celui qui est le plus orné de dorures et de pierreries, mais celui qui réfléchit le plus fidèlement les images; de même, la femme la plus estimable n'est pas celle qui sera riche, élégante, extraicte de noble race, mais celle qui s'efforcera de se former en bonne grâce et de se conformer aux mœurs de son mari. La lune ne prend lumière ni de Mercure, ni de Mars, ni d'aucune autre planète ou étoile qui soit au ciel, elle n'en reçoit que du soleil. Soyez le soleil de votre femme, et vous ferez bon ménage >

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Ce ne sont pas des conseils que Panurge demande, c'est l'avenir qu'il veut savoir, et le théologien ne le lui dit pas. Vous voulez donc, lui dit-il, en filant les poils de sa barbe, que j'épouse la femme forte décrite par Salomon? Elle est morte assurément. Je ne la vis jamais, que je sache, Dieu me pardonne. Grand merci, toutefois, mon père. Mangez ce morceau de massepain, cela vous aidera à faire digestion; puis vous boirez une coupe d'hypocras clairet, c'est salubre et stomachique.>

X.

C'est le tour du médecin Rondibilis. Son allocution occupe plusieurs chapitres.

Il commence par indiquer à Panurge les moyens de se distraire de sa préoccupation matrimoniale. Boire du vin modérément, prendre au besoin quelques drogues calmantes, mais surtout donner de l'activité à son esprit, s'occuper sérieusement de travaux et d'affaires, étudier; s'il se passionne pour l'étude, il oubliera bientôt toute autre pensée, tant l'étude peut devenir attrayante et absorbante. Pallas et les Muses sont vierges, et ici il lui fait le charmant éloge de l'étude que nous avons inséré dans la Biographie (I, p. 43).

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Panurge a beaucoup étudié et il doit connaître les agréments et les entraînements de l'étude. Ces conseils lui sont inutiles. Il veut se marier.

- Mariez-vous alors, lui dit Rondibilis, et invitez-moi à vos noces avec ma femme et mes amis.

Cela va sans dire, répond Panurge, mais il reste un petit point à vider. Vous avez vu sur l'étendard de Rome quatre lettres: S. P. Q. R., Si Peu Que Rien. [C'est ainsi qu'il traduit: Senatus populusque romanus; V. Hugo ne fait pas autrement: Festina lente, festine lentement: Numero Deus impare gaudet, le numero deux se réjouit d'être impair, etc.] Et Panurge pose l'éternelle question: Ne sera-t-il pas trompé par sa femme? Rondibilis répond que tout homme qui se marie s'expose à l'être. Mais il indique les moyens d'éviter ce malheur, et il les donne sous la forme d'un apologue.

Jupiter fit un jour l'état de sa maison et le calendrier de tous ses dieux et déesses; il assigna à chacun ses saisons et ses fêtes, régla les oracles, les voyages, les sacrifices.-Ici Panurge interrompt le médecin pour raconter l'histoire d'un évêque contemporain:

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