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Alcaméne & lui furent chargés de faire chacun une ftatue de Minerve, afin que l'on pût choifir la plus belle des deux, que l'on vouloit placer fur une colonne fort haute. Quand les deux ftatues furent achevées, on les expofa aux yeux du public. La Minerve d'Alcaméne vûe de près parut admirable, & eut tous les fuffrages. Celle de Phidias au contraire fut trouvée hideufe: une grande bouche ouverte, des narines qui fembloient fe retirer, je ne fai quoi de rude & de groffier dans le vifage. On fe moqua de Phidias & de fa ftatué. Placez-les, dit-il, à l'endroit où elles doivent être. On les y plaça l'une après l'autre. Alors la Minerve d'Alcaméne ne parut plus rien, au lieu que celle de Phidias frapoit par un air de grandeur & de majefté qu'on ne pouvoit fe laffer d'admirer. On rendit à Phidias l'approbation que fon rival avoit furprise; & celui-ci fe retira confus & honteux, fe repentant bien de n'avoir pas appris les régles de P'Optique.

Les ftatues que l'on vante avant le tems dont nous parlons, étoient plus recommandables par leur antiquité D 6

que

que par leur mérite. Phidias donna le premier aux Grecs le goût de la belle nature, & leur apprit à l'imiter a Auffi, dès que fes ouvrages parurent, ils faifirent l'eftime du public. Ce qui est étonnant, ce n'eft pas qu'il ait fait des ftatues admirables, mais qu'il en ait pu faire un fi grand nombre : car le dénombrement qu'en font les Auteurs paroit prefque incroiable: & il eft peutêtre le feul qui ait joint tant de facilité à tant de perfection.

Paufan. Je croi qu'il travailla de bon cœur in Attic. fur un bloc de marbre qu'on trouva pag. 12. dans le camp des Perfes après la

bataille de Marathon, où ils furent entiérement défaits. Ces barbares,qui comptoient fur une victoire affurée, l'avoient apporté pour en ériger un trophée. Phidias en fit une Nêméfis, déeffe qui avoit pour fonction d'humilier & de punir l'orgueil infolent des hommes. La haine que les Grecs portoient naturellement aux barbares, & le doux plaifir de venger fa patrie, animerent fans doute d'un nouveau feu le génie du Sculpteur,

&

a Quinti Hortenfii admodum adolefcentis ingenium, ut Phidiæ fignum, fimul afpectum & Frobatum eft. Cic. de clar. Orat. n. 228.

& prétérent à fon cifeau & à fes mains une nouvelle adreffe.

Du prix des dépouilles remportées Id. in fur les mêmes ennemis, il fit auffi Bot pag. pour les Platéens une ftatue de Mi- 548. nerve. Elle étoit de bois doré. Le vifage, auffi bien que l'extrémité des mains & des piés, étoit de marbre Pentélique.

Son grand talent étoit de bien repréfenter les dieux. Il avoit l'imagination grande & noble, de forte que, felon la remarque a de Cicéron, il n'alloit pas chercher leurs traits & leur reffemblance dans quelque objet visible; mais, par la force de fon génie il s'étoit fait une idée du vrai beau, à laquelle il avoit fans ceffe l'efprit appliqué, qui devenoit fa regle & fon modele, & qui dirigeoit fon art & fa main.

Auff Périclés, qui s'en fioit plus à lui qu'à tous les Architectes, l'avoitil fait Directeur & comme Surintendant des bâtimens de la République.

Quand

a Phidias, cùm faceret Jovis formam aut Minervæ, non contemplabatur aliquem à quo fimilitudinem duceret fed ipfius in mente infidebat fpecies pulcritudinis eximia quædam, quam intuens, in eaque defixus, ad illius fimilitudinem artem & manum dirigebat. Cic. in Orat.n.9.

Quand le Parthénon fut achevé, ce magnifique temple de Minerve, dont quelques reftes affez bien confervés charment encore aujourd'hui les voiageurs, il fongea à en faire la Dédicace, qui confiftoit à y mettre une ftatue de la déeffe. Phidias fut chargé de l'ouvrage, & ce fut alors qu'il fe furpaffa lui-même. Il fit une ftatue d'or & d'ivoire, haute de vingt-fix coudées (trente neuf piés.) Les Athéniens voulurent de l'ivoire, qui étoit alors beaucoup plus rare & plus precieufe que le plus beau marbre.

Quelque riche que fût cette prodigieufe ftatue, l'art y furpaffoit infiPlin. lib. niment la matiére. Phidias avoit gravé 36. cap. 5.fur la partie convexe du bouclier de Minerve, le combat des Athèniens contre les Amazones; fur la partie concave, le combat des Géans contre les dieux; fur la chauffure de la déeffe, le combat des Centaures & des Lapithes; fur le Piédestal la naiffance de Pandóre, & tout ce qu'en dit la Fable. Ciceron, Pline, Plutarque, Paufanias, & plufieurs autres grands Ecrivains de l'antiqui té, tous connoiffeurs, tous témoins oculaires, ont parlé de cette ftatue.

Sur

Sur leur témoignage on ne peut pas douter que ce ne fût en effet un des plus beaux ouvrages qu'on eût jamais vûs.

160.

Quelques-uns affurent, dit Plutar. Plut. in que, que Phidias avoit mis fon nom Periclp. au piédestal de fa Minerve d'Athénes. Cette circonftance n'eft point marquée dans Paufanias, & fe trouve démentie par Ciceron qui dit pofitivement a que Phidias, n'aiant pas eu la liberté de mettre fon nom à cette ftatue, il avoit gravé fon portrait fur le bouclier de la déeffe. Plutarque ajoute que Phidias s'étoit repréfenté lui-même fous la forme d'un vieillard tout chauve,qui leve une groffe pierre de fes deux mains, & qu'il avoit auffi représenté Périclés combattant contre une Amazone, mais dans une telle attitude, que fa main qu'il étendoit pour lancer un javelot cachoit une partie du vifage.

Les habiles Ouvriers ont toujours été curieux d'inférer leur nom dans leurs ouvrages, pour participer à l'immortalité qu'ils procuroient aux

au.

a Phidias fimilem fui fpeciem inclufit in elypeo Minervæ, cùm infcribet: non lice ret. Tufcul. lib.1. n. 34.

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