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de toutes les parties de l'Art militaire, que le peuple Romain: mais il faut avouer qu'il a excellé furtout dans la fcience des campemens, & dans celle de ranger une armée en bataille. Auffi eft ce ce qu'a le plus admiré en lui Polybe, bon juge en cette matiére, & qui avoit été longtems témoin de l'excellente difcipline qui fe gardoit parmi les troupes Romaines. Quand Philippe pere de Perfée, & avant lui Pyrrhus, prévenus d'eftime pour les Grecs, & pleins de mépris pour toutes les autres nations qu'ils traitoient de barbares, envifagérent pour la premiére fois la diftribution & l'ordre du Camp des Romains, ils s'écrierent pleins de furprife & d'admiration: Ce n'est pas là certes une difpofition barbare.

Mais ce qui, doit le plus nous étonner, & ce qu'on a peine même à concevoir, tant nos mœurs en font éloignées, c'eft ce caractére d'un peuple endurci aux travaux les plus rudes, & invincible aux fatigues les plus accablantes. On voit ici ce que peut une bonne éducation, & une heureufe habitude contractée dès la plus tendre jeuneffe. La plupart de ces foldats, quoi

quoique citoiens Romains, avoient leur bien, & cultivoient eux-mêmes leurs héritages. Hors du tems de guerre, ils s'exerçoient aux travaux les plus pénibles. Leurs mains, accoutumées à manier tous les jours le hoiau, à fouïr la terre, à conduire une pefante charue, ne faifoient que changer d'exercices, & trouvoient même du foulagement dans ceux que la difcipline militaire leur impofoit; comme on dit que les Spartiates n'étoient jamais plus à leur aise qu'à l'armée & dans le camp, tant leur vie, dans tout autre tems, étoit dure & austére.

Il n'eft pas jufqu'à la propreté, (qui le croiroit?) dont on ne prît un foin particulier dans le camp Romain. Comme la grande rue, fituée devant le Prétoire, étoit fort fréquentée par les Officiers & les foldats qui y alloient prendre l'ordre, & par cette raifon expofée à beaucoup de malpropreté, il y avoit des foldats chargés de la balaier tous les jours en hiver & d'y jetter de l'eau en été pour empêcher la pouffiére.

§. V.

§. V.

Fonctions & exercices des foldats & des Officiers Romains dans leur Camp.

LE CAMP étant préparé de la manére dont on vient de l'expofer, les Tribuns affemblés prennent le ferment de tout ce qu'il y a d'hommes dans chaque Légion tant libres qu'efclaves. Tous jurent l'un après l'autre, & le ferment qu'ils font confifte à promettre qu'ils ne voleront rien dans le camp, & que ce qu'ils trouveront dans le camp ils le porteront aux Tribuns.

On avoit déja fait préter un pareil ferment aux foldats dans le tems de leur enrollement : j'ai différé jufqu'ici à le raporter afin qu'étant joint à l'autre on en fente mien la force Parce

Aul. Gell. premier ferment,, le foldat promet

kb. 16.

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de ne rien voler foit feul foit avec ,, plufieurs dans l'armée ou à dix mille ,, pas de l'armée, & de porter au Conful, ou de rendre au légitime pof,, feffeur, ce qu'il aura trouvé qui paffera le prix d'un fefterce, c'està-dire deux fols & demi, excepté ,, certaines chofes qui font mention

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nées

nées dans le ferment. Quand on parle ici de dix mille pas loin de l'ar mée, ce n'est pas qu'au delà de cet espace il fût permis aux foldats de voler mais pour lors, ce qu'ils avoient trouvé, ils n'étoient point obligés de le porter au Conful. Parmi les exceptions étoit le fruit d'un arbre, pomum. Marcus Scaurus raporte néanmoins comme un exemple mémorable de l'abftinence Romaine, de ce qu'un arbre fruitier s'étant trouvé dans l'enceinte du camp, on en étoit forti le lendemain fans que perfonne y eût touché. C'étoit Scaurus qui commandoit alors l'armée.

Frontin Stratag. ↳ 4. C. 3.

Ce ferment montre jufqu'où les Romains portoient l'attention & l'exactitude à empécher dans l'armée toute rapine & toute violence, puisque non feulement le vol eft interdit au foldat avec une févérité inexorable mais qu'on ne lui permet pas même de profiter de ce qu'il a rencontré fur-fon chemin, & que le hazard lui a préfenté. En effet les loix traitent de vol ce qu'on retient ainfi du bien d'autrui après l'avoir trouvé, foit qu'on en connoiffe le maître, ou qu'on lignore. Qui alienum jacens luori faciendi cau- lib. Jur.

Sabin, ex

Sa civil. &

Spartian.

in Pef

cenn.

fa fuftulit, furti obftringitur, frue fcit cujus fit, five nefcit.

J'ai dit que le vol étoit défendu avec une févérité inexorable. On en voit un exemple bien terrible même fous les Empereurs. Un foldat avoit volé une poule à un payfan, & l'avoit mangée avec les neuf autres foldats de la chambrée. L'Empereur Pefcennius Niger les condanna tous dix à mort, & ce ne fut qu'aux inftantes priéres de toute l'armée qu'il leur laiffa la vie, en les obligeant de donner chacun au paysan dix poules, & leur impofant une note d'infamie publique tant que dureroit cette guerre. Que de crimes une telle rigidité eft capable d'arréter ! Quel fpectacle qu'un camp fi bien reglé! Mais quelle différence entre des foldats foumis & difciplinés de la forte au milieu du paganifme, & nos maraudeurs, qui fe difent chrétiens, & qui - ne craignent ni Dieu ni les hommes ! La clôture du camp étoit un bon rempart contre les defordres & la licence; & nous verrons bientôt, que, dans la marche même, la févérité de la difcipline tenoit lieu de haie & de clôture. Un ordre merveilleux régnoit dans

tout

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