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ce qui étoit fujet à de grands incon véniens. Il eft vrai qu'à Sparte l'autorité du Sénat, & fur tout des Ephores, & à Athènes celle de l'Aréopa ge & du Confeil des Quatre-cent, à qui il appartenoit de préparer les affaires, & de former les avis, fervoient, pour ainfi dire, de contrepoids à la légéreté & à l'imprudence du peuple mais ce remède n'avoit pas toujours fon effet. On reprochoit deux défauts tout oppofés aux Athé niens: la trop grande précipitation, & la trop grande lenteur. C'est con tre le premier qu'on avoit fait une loi, qui ordonnoit qu'on ne pourroit décerner la guerre qu'après une mûre délibération de trois jours. Et dans les guerres contre Philippe, on a vû combien Démosthène fe plaignoit de la nonchalance des Athéniens, dont leur ennemi favoit bien profiter.Cette lenteur, dans les Républiques, vient de ce qu'à moins que le péril ne foit évident, les particuliers font diftraits par différentes vûes & différens intérêts, qui les empéchent de fe réivair promptement dans une même réfolu tion. Auffi, quand Philippe eut pris Elatée, l'Orateur Athénien, effraié N 3

du

du danger preffant où le trouvoit la République, fit abroger la loi dont je viens de parler, & fit conclure la guerre fur le champ.

LES AFFAIRES s'examinoient & fe dec'doient avec beaucoup plus de maturité & de fageffe chez les Romains, quoique le peuple y fût maître auffi de la décifion. Mais l'autorité du Sénat étoit grande, & prévaloit prefque toujours dans les affaires importantes. Il étoit fort attentif, fur tout dans les commencemens de la République, à mettre, dans les guerres, la juftice de fon côté. Cette réputation de bonne foi, d'équité, de juftice, de modération, de defin téreffement, ne fervit pas moins, que la force des armes, à l'accroiffe ment de la République Romaine & l'on a attribuoit fa puiffance à la protection des Dieux, qui récompen. foient ainfi fa juftice & fa bonne foi. On b remarquoit, avec admiration, que les Romains, dans tous les tems,

avoient

a Favere pietati fideique deos, per quæ populus Romanus ad tantum faftigii pervenerit. Liv. lib. 44. n. 1.

b Majores veftris omnium magnarum res rum & principia exorfi ab diis funt,& finem sum ftatuerunt Liv. I. 45. n. 39.

avoient toujours mis pour bafe de leurs entreprises la religion, & qu'ils en avoient raporté aux Dieux & le principe & la fin.

Le motif le plus puiffant que puffent emploier les Généraux pour animer les troupes à bien combattre, étoit de leur repréfenter que la guerre qu'ils faifoient étant jufte, & la feule né ceffité leur aiant mis les armes à la main, ils pouvoient certainement compter fur la protection des Dieux: au lieu que ces mêmes Dieux, ennemis & vengeurs de l'injuftice,ne manquoient jamais de fe déclarer contre ceux qui entreprenoient des guerres illégitimes en violant la foi des Traités. S. I I.

Déclaration de la guerre.

UNE SUITE a des principes d'équité & de juftice que je viens d'établir, étoit de ne point commencer actuellement la guerre, qu'on n'eût auparavant fignifié par des hérauts publics, aux ennemis, les griefs qu'on avoit contre eux, & qu'on ne les eût

N 4

ex

a Ex quo intelligi poteft nullum bellum effe juftum, nifi quod aut rebus reperitis geratur, aut denunciatum antè fit & indictum. Cic. lib. 1. de Offic. n. 36.

exhortés à réparer les torts qu'on pré tendoit en avoir reçus. Il eft du droit naturel de tenter les voies de douceur & d'accommodement avant que d'en venir à une rupture ouverte. La guerre eft le dernier des remèdes : avant que de l'emploier, il faut avoir effaïé de tous les autres. L'humanité veut qu'on donne lieu aux réflexions & au répentir, & qu'on laiffe le tems d'éclaircir des doutes & de diffiper des foupçons, que des démarches équivoques ont pu faire naître, & qui fouvent fe trouvent fans fondement réel quand on les approfondit.

Cette coutume étoit anciennement & généralement obfervée chez les Grecs. a Polynice, avant que de former le fiége de Thèbes, envoia Ty. dée vers fon frere Ethéocle, pour tenIliad.lib. 2. v.210. ter des voies d'accommodement. Il paroit par Homère que les Grecs dé. puté ent Ulyffe & Ménélas vers les Troiens, pour les fommer de leur rendre Hélène, avant que d'avoir fait contr'eux aucun acte d'hoftilité

&

a Potior cunétis fedit fententia, fratris Prætentare fidem, tutofque in regna precando explorare aditus. Audax ea munera `Tydeus Sponte fubit. Stat. Theb. lib. II.

& on lit la même chofe dans Hérodote. On voit une foule de pareils Lib. 2. exemples dans toute la fuite de l'hi. cap. 112. &c. ftoire des Grecs.

Il est vrai que c'est un moien pref que fûr de remporter de grand avan tages fur les ennemis, que de tomber tout d'un coup fur eux, & de les attaquer fubitement, fans leur avoir laiffé rien entrevoir de fes deffeins, & fans leur avoir donné le tems de fe mettre en état de défenfe. Mais ces incurfions imprévûës, fans aucun préalable, & fans aucune dénonciation antérieure, étoient juftement regardées comme des entreprises injuftes, & vicieufes dans le principe. C'eft, Polyb. felon la remarque de Polybe, ce qui lib. 4. avoit fi fort décrié les Etoliens, & pag. 33 Iu les avoit rendu fi odieux, comme bri gands & voleurs, parce que n'aiant pour règle que leur intérêt, ils ne connoiffoient ni les loix de la guerre, ni celles de la paix, & que tout moien de s'enrichir & de s'aggrandir leur paroiffoit légitime, fans s'embarraffer s'il étoit contre le droit des gens d'attaquer fubitement des voifins, qui ne leur avoient fait aucun tort, & qui fe croioient en fureté à N5 l'om.

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