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Je m'arrêterai d'avantage fur les Grecs, & principalement fur les Lacédémoniens & les Athéniens, qui, de tous les peuples de la Grece,font fans contestation les deux qui fe font le plus diftingués par la valeur & par la Science militaire. J'ai douté longtems fi je parlerois auffi des Romains, qui paroiffent étrangers à mon fujet. Mais tout bien pefé, j'ai cru devoir les joindre aux autres peuples, afin qu'on pût, d'un même coup d'œil, connoitre, au moins legerement, la maniere dont les Anciens faifoient la guerre. C'est le feul but que je me propofe dans ce petit Traité, & je ne porte point mes vûes plus loin. Je n'ai pas oublié ce qui arriva à un Philofophe d'Ephèfe, qui paffoit pour le plus beau parleur de fon tems. Dans une harangue qu'il prononça devant Annibal, il s'avifa de traiter à fond des devoirs d'un bon Général. Le Harangueur fut applaudi par tout l'auditoire. Annibal, preffé de dire ce qu'il en penfoit, répondit avec une libercé militaire, qu'il n'avoit jamais entendu un fi méprifable difcoureur. Je craindrois d'encourir un pareil reproche, fi aprés avoir paffé toute ma vie dans l'étude des Belles Lettres,

Lettres, je prétendois donner des leçons de l'art militaire à ceux qui en font profeffion.

CHAPITRE PREMIER.

E premier Chapitre renfermera ce qui regarde l'entreprise & la déclaration de la guerre, le choix du Général & des Officiers, la levée des troupes, leurs vivres, leur paie, leurs armes, leur marche, la conftruction du camp, & de tout ce qui a raport aux batailles.

ARTICLE PREMIER. Entreprise & Déclaration de la guerre. S. I.

Entreprise de la guerre,

Il n'y a point de principe plus généralement reçu, que celui qui établit, qu'on ne doit entreprendre la guerre que pour des caufes juftes & légitimes; & il n'y en a guéres qui foit plus géné. ralement violé. On convient a que les guerres entreprifes uniquement par des

N

vûës

a Inferre bella finitimis, ...ao populos libi non moleftos fola regni cupiditate conterere & fubdere, quid aliud quàm grande latrocinum nominandam? S. Aug. de Civ. D. lib. 4. cap. 6.

F

Juftin.

lib. 2.

cap. 3.

vûes d'intérêt ou d'ambition, font de
vrais brigandages. La réponse du Pi-
rate à Alexandre le Grand, fi connue
dans l'hiftoire,n'étoit-elle pas fort fen-
fée? LesScythiens n'avoient-ils pas rai-
fon auffi de demander à ce ravageur de
provinces, pourquoi a il venoit trou-
bler le repos des peuples qui ne lui
avoient fait aucun tort, & s'il ne leur
étoit pas permis d'ignorer, dans le
fond de leurs bois & de leurs deferts,
qui étoit Alexandre, & d'où il ve-
noit? Quand Philippe, pris pour
arbitre deux Rois de Thrace qui
par
étoient freres, les chaffe tous deux
de leurs Etats, mérite t-il un autre
nom que celui de voleur & de bri-
gand? Ses autres conquêtes, quoi-
que moins criantes, n'en étoient pas
moins des brigandages, parce qu'elles
étoient toutes fondées fur l'injuftice,
& que nulle voie de vaincre ne lui
paroif-

a Quid nobis tecum eft? Nunquam terram tuam attigimus. Qui fis, unde venias,licet ignorare in vaftis fylvis viventibus ? Q. Curt. lib. cap. 8.

b Philippus, more ingenii fui,ad judicium veluti ad bellum, inopinantibus fratribus, inftructo exercitu fupervenit; & regno utrumque, non judicis more, fed fraude LATRONIS ac fcelere, fpoliavit,

paroiffoit honteufe: Nulla apud eum Id. Juftin. turpis ratio vincendi. La juftice & la néceffité des guerres doivent donc être regardées comme un princ po fondamental en matiére de politique & de gouvernement.

Dans les Etas Monarchiques, le Prince feul, pour l'ordinaire, a le pouvoir d'entreprendre une guerre ; & c'est une des raifons qui rendent fa place fi formidable. Car,s'il a le malheur de l'entreprendre fans une caufe légitime & néceffaire, il répond de tous les crimes qui s'y commettent, de toutes les fuites funeftes qu'elle entraîne après elle, de tous les ravages qui en font inféparables, & de tout le fang humain qui y eft répandu. Qui peut ne point frémir à la vûe d'un tel objet, & d'un compte fi redoutable?

Les Princes ont des Confeils, qui peuvent leur être d'un grand fecours, s'ils ont eu foin de les remplir de perfonnes fages, éclairées, expérimentées, pleines d'amour & de zèle pour le bien public, fans ambition, fans vûe d'intérêt, & fur tout infini ment éloignées de tout déguifement Herod. & de toute flaterie. Quand Darius lib. 4. propofa dans fon Confeil de porter cap, 83. N 2

la

la guerre contre les Scythes, Arta¬ bane fon frere entreprit inutilement d'abord de le détourner d'un deffein fi injufte & fi déraisonnable : fes raifons, quelque folides qu'elle fuffent, ne tinrent point contre les louanges outrées & les flateries exIbid. lib. ceffives des Courtifans. Il ne réüffit 7.cap. 13. pas mieux dans le confeil qu'il donna à fon neveu Xerxès, de n'aller point attaquer les Grecs. Comme celui-ci avoit marqué clairement fon goût, faute effentielle dans ces rencontres, on n’eut garde de s’y oppofer, & lạ délibération ne fut que pour la forme, Dans l'une & dans l'autre occafion, la douleur du fage Prince qui difoit librement fon avis, étoit de voir que ces deux Rois ne comprenoient point quel a malheur c'eft de s'accoutumer à ne point mettre de bornes à fes defirs,à n'être jamais content de ce qu'on poffede, à vouloir aller toujours en avant: ce qui eft la caufe de prefque toutes les guer

res.

Dans les Républiques Grecques, c'étoit l'affemblée du peuple qui dé cidoit de la guerre en dernier reffort ce

a Uς κακὸν ἐἴη διδάσκειν τὴν ψυχήν πλέον τι δίζεσθαι αιεὶ ἔχειν τῷ παρέοντος.

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