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chaleur contre cet usage.,, Nos a jeu. ,,nes gens, dit-il, vont dans l'Ecole ,,des Comédiens apprendre à * chan,,ter; exercice que nos ancêtres regar,,gardoient comme deshonorant pour ,,des perfonnes bien nées. Ils y vont ,,fans rougir, & l'on voit de jeunes ,,garçons, & de jeunes filles parmi ,,une troupe de gens abfolument dé,,criés pour leurs mœurs déréglées. Le témoignage d'un homme auffi fage qu'étoit Scipion, eft d'un grand poids dans la matiere dont il s'agit, & donne lieu à bien des réflexions.

Quoiqu'il en foit, nous vojons que les Anciens prenoient un foin extraordinaire de fe perfectionner dans le gefte; & ce foin étoit commun aux Comédiens & aux Orateurs. On fait combien Démosthène y donna d'application. Rofcius difputoit quelquefois avec Ciceron à qui exprimeroit

a Eunt in ludum hiftrionum, difcunt cantare, quod majores noftri ingenuis probro duci voluerunt. Eunt,inquam,in ludum faltatorium,inter Cinados, virgines puerique ingenui. Macrob. Saturnal. 1. 2. c. 8.

* Comme il s'agit ici de Comédiens, on voit bien que par ce mot chanter il faut entendre déclamer, réciter des pieces de théatre.

b Et certè fatis conftat contendere eum

roit mieux la même penlée en plu fieurs manieres différentes, chacun fe, lon fon art, Rofcius par le gefte, Ci, ceron par la voix. Il paroit que Rofcius rendoit par le gefte feul le fens de la phrafe que Ciceron venoit de compofer & de réciter. On jugeoit enfuite lequel des deux avoit le mieux réuffi dans fa tâche. Ciceron changeoit en, fuite les mots ou le tour de la phrase, fans que le fens du difcours en fût é nervé; & il faloit que Rofcius à fon tour rendît le fens par d'autres ge. ftes, fans que ce changement affoiblit Fexpreffion de fon jeu muet.

S. III.

Déclamation & gefte partagés fur le Théatre entre deux Acteurs.

ON fera moins furpris de ce que je viens de raporter au fujet de Rofcius, quand on faura que les Romains partageoient fouvent la déclamation théatrale entre deux Acteurs, dont l'un prononçoit, tandis que l'autre faifoit des geftes. C'est encore ici une de ces

M 3 cho(Ciceronem cum hiftrione folitum,utrum ille fæpius eandem fententiam variis geftibus efficeret, an ipfe per eloquentiæ copiam fermone diverfo pronunciaret. Macrob. Sa turn. lib. 2. cap. 10.

chofes qu'on a peine à concevoir, tant elles font éloignées de nos ufages, & tant elles nous paroiffent bifarres.

Tite Live nous apprend ce qui donna cccafion à cette coutume. Livius a Andronicus, poéte célèbre, & qui le premier donna fur le théatre de Rome une piece réguliere, l'an de Rome 514. environ fix vingt ans après que le fpectacle Dramatique eut commencé à s'y introduire, jouoit lui-même dans une de fes pieces. C'étoit alors la coutume que les Poëtes Dramatiques montaffent eux-mêmes fur le théatre pour y repréfenter un perfonnage. Le peuple, qui fe donnoit la liberté de faire répéter les endroits qui lui plaifoient, à force de crier bis, c'eftà-dire

a Livius... idem fcilicet,quod omnes tunc erant, fuorum carminum actor, dicitur, cùm fæpius revocatus vocem obtudiffet, venia petita puerum ad canendum ante tibicinem cùm ftatuiffet, canticum egiffe aliquanto magis vigenti motu, quia nihil vocis ufus impediebat. Inde ad manum cantari hiftrionibus coeptum, diverbiaque tantum ipforum voci relicta. Liv. lib. 7. n, 2.

Is (Livius Andronicus) fui operis Actor, cùm fæpius à populo revocatus vocem obtudiffet, adhibito pueri & tibicinis concentu, gefticulationem tacitus peregit. Val Max.. lib. 2. cap. 4.

à dire encore une fois, fit réciter fi longtems Andronicus, qu'il s'enroua. Hors d'état de déclamer davantage, il fit trouver bon au peuple qu'un esclave, placé devant le Joueur d'inftrumens, récitât les vers; & tandis que cet efclave récitoit, Andronicus fit les mêmes geftes qu'il avoit faits en récitant luimême. On remarqua que fon action alors étoit beaucoup plus animée, par. ce qu'il emploioit toutes fes forces & toute fon attention à faire les geftes, pendant qu'un autre étoit chargé du foin & de la peine de prononcer. De là, continue Tite-Live, naquit l'ufage de partager la déclamation entre deux Acteurs, & de réciter, pour ainfi dire, à la cadence du gefte des Comédiens. Et cet ufage a fi bien prévalu, que les Comédiens ne prononcent plus eux-mêmes que les dialogues. On trouve le même recit dans Valere Maxime, & il eft confirmé par plufieurs autres paffages.

Il est donc certain que fouvent la prononciation & le gefte fe trouvoient partagés entre deux Acteurs; & c'étoit fur des règles fixes de Mufique, qu'ils mefuroient & le fon de leur voix, & le mouvement des mains & de tout le corps. Nous

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Nous fommes frapés du ridicule qu'il y auroit dans deux perfonnes fur le théatre, dont l'une feroit des geftes fans parler, tandis que Pautre réciteroit fur un ton pathétique les bras croifés. Mais il faut fe fouvenir, en premier lieu, que les théatres des Anciens étoient bien plus vaftes que les nôtres, en fecond lieu, que les Acteurs jouoient mafqués, & que par conféquent on ne pouvoit pas de loin diftinguer fenfiblement aux mouve mens de la bouche & des muscles du vifage s'ils parloient, ou s'ils ne parloient pas. On choififfoit fans doute un Chanteur, (j'appelle ainfi celui qui prononçoit) dont la voix approchât, autant qu'il eft poffible, de la voix du Ifidor. O- Comédien. Ce Chanteur fe plaçoit fur rig. lib.18 une efpece d'eftrade, laquelle étoit

vers le bas de la Scéne.

Mais comment la Mufique Rythmique s'y prenoit-elle, pour affer vir à une même mefure & pour faire tomber en cadence & le Comédien qui récitoit, & le Comédien qui faifoit les geftes? C'eft une de ces chofes dont faint Auguftin dit qu'elles étoient connues de tous ceux qui montoient fur le théatre, & que pour

cela

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