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§. V.

S'il faut préférer la Mufique moderne à Pancienne.

LA FAMEUSE querelle au fujet des Anciens & des Modernes, s'eft fort échaufée à cette occafion, parce que, fila Mufique ancienne a ignoré le contrepoint, on prétend que c'eft un titre inconteftable de préference pour la moderne. Je ne fai, en fuppofant même le fait, qui pourra bien toujours demeurer douteux, fi la conféquence eft fi certaine. Ne fe peut-il pas faire que les Anciens aient porté la Mufique pour tout le refte à un degré de perfection cù les Modernes n'aient pu atteindre, comme cela eft arrivé en d'autres Arts? (je ne dis pas que cela foit, je ne parle que de la poffibilité;) pour lors la découverte du contrepoint devroit-elle donner une préférence abfolue aux derniers fur les autres ? Les plus habiles Peintres de l'antiquité, comme Apelle, n'emploioient dans leurs tableaux que quatre couleurs. Loin que ce fût pour Pline une raifon de rien dimipuer de leur mérite & de leur répu

tation,

tation, il les en admiroit encore da vantage, d'avoir laiffé fi loin derriere eux tous les Peintres qui les avoient fuivis, quoique ceux-ci euffent mis en ufage un grand nombre de nouvelles couleurs.

Il en faudra toujours revenir au fond, & examiner fi en effet la Mufique des derniers terns l'emporte fans contestation fur celle des Anciens: & c'elt ce qu'il ne paroit pas poffible de décider. Il n'en eft pas de la Mufique comme de la Sculpture. Dans celle-ci on peut juger le procès fur les pieces qui fe produifent de part & d'autre. On a des ftatues & des bas reliefs de l'antiquité, dont on peut faire la comparaison avec les nôtres: & nous avons vû que Michel-Ange, fur ce point, paffoit condannation, & reconnoiffoit de bonne foi la fupériorité des Anciens. Il n'eft parvenu jufqu'à nous aucun ouvrage de la Mufique ancienne qui puiffe nous en faire fentir l'excellence, ni nous faire juger, fur notre expérience propre, fi elle étoit auffi parfaite que la nôtre. Les merveilleux effets qu'on prétend qu'elle produifoit, ne paroiffent pas des preuves fort décifives.

Il nous refte des traités Didactiques, tant grecs que latins, qui peuvent nous inftruire de la théorie de cet art: mais peut-on en conclure quelque chofe de bien sûr pour la pratique? Cela peut nous donner quelque jour, quelque ouverture: mais il y a bien loin des préceptes à l'exécution. De fimples traités de poéfie fuffiroient-ils pour nous faire connoitre fi les Poétes modernes doivent être préférés aux Anciens ?

Dans l'incertitude qui reftera toujours par raport à la question dont je parle, il y a un préjugé bien favorable pour les Anciens, qui doit au moins, ce me femble, faire fufpendre le jugement. On convient que les Grecs avoient un génie merveilleusement propre pour les Arts, qu'ils les ont cultivés avec un fuccès extraordinaire, & qu'ils les ont portés pour la plupart à un très haut degré de perfection. Architecture, Sculpture, Peinture, on ne leur difpute point cette louange. Or de tous ces Arts, il n'y en a aucun qui ait été cultivé fi anciennement ni fi généralement que la Mufique. Ce n'étoient pas quelques particuliers feulement

qui

qui s'y appliquoient, comme dans les autres Arts: c'étoient généralement tous ceux qui étoient élevés avec quelque foin. L'étude de la Mufique faifoit une partie effentielle de l'éducation de la Jeuneffe. Elle étoit d'un ufage général pour les fêtes folennelles, pour les facrifices, & fur tout pour les repas, prefque toujours accompagnés de concerts, qui en faifoient toute la joie & le principal affaifonnement. Il y avoit des difputes publiques, & des récompenfes pour ceux qui s'y diftinguoient par un mérite fingulier. Elle dominoit d'une maniere particuliere dans les Choeurs & dans les Tragédies. On fait jufqu'à quelle magnificence & jufqu'à quelle perfection tout le reste fut porté à Athénes dans ces fpectacles: n'y auroit-il eu que la Mufique Atticorumqu'on y eût négligée? Croit-on que aures te- ces oreilles Attiques, fi fines & fi délicates pour Cic. le fimple difcours, le fuffent moins par raport aux concerts de voix & d'inftrumens qui régnoient dans ces Choeurs, & qui faifoient le plaifir d'Athénes le plus fenfible & le plus ordinaire? Pour moi, je ne puis

retes &

religiofæ.

le fon des mots dans

m'em

m'empêcher de croire que les Grecs, portés comme ils l'étoient au divertiffement, élevés & nourris dans le goût des concerts, avec tous les fecours dont j'ai parlé, avec ce génie inventif & induftrieux pour tous les Arts qu'on leur connoit, ont excellé dans la Mufique, comme dans tout le refte. C'est la feule conclufion que je tire de tout le raifonnement que je viens de faire, fans prétendre donner la préférence aux Anciens fur les Modernes.

Je n'ai point parlé de la perfection où ont pu parvenir les Chantres Ifraélites fur tout ce qui regarde le fon de la voix, & celui des inftrumens, pour ne point méler une mufique toute fainte & toute confacrée à la religion avec une mufique toute profane, & entierement livrée à l'i dolatrie, & à tous les excès qui en étoient la fuite. Il eft à préfumer que ces Chantres, à qui l'Ecriture paroit donner une espece d'infpiration & de don de a prophétie, non pour compofer des Pfeaumes prophétiques, mais

pour

a Chonenias PROPHETIæ præerat... Erat quippe valde fapiens. Paralip. 15. 22. David & magiftratus exercitus fegregaverunt

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