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des regles-mêmes pour atteindre plus furement à leur but. Mr. de Piles reconnoit que le défaut de dégradation dans cette colonne ne doit être attribué qu'au deffein que l'Ouvrier, fupérieur aux regles de fon art, avoit de foulager la vûe, & de rendre les objets plus fenfibles & plus palpables.

3. LE COLORIS eft différent de la couleur. Celle-ci eft ce qui rend les objets fenfibles à la vûe. Le Coloris eft une des parties effentielles de la Peinture, par laquelle le Peintre fait imiter la couleur de tous les objets naturels, en faifant un mélange judicieux des couleurs fimples qui font fur fa palette. Cette partie eft bien importante. Elle enfeigne de quelle forte les couleurs doivent être emploiées pour produire ces beaux effets du Clair-obfcur, qui aident à faire paroitre le relief des figures, & les enfoncemens des tableaux.

Pline l'explique affez au long. Après avoir parlé des commencemens fort fimples & fort groffiers de la Peinture, il ajute, a qu'à l'aide du tems & de l'expérience elle fe dé

a Tandem fears ipfa diftinxit, & invenit lumen atque umbras, differentia colorum alterna vice fe

dévelopa peu à peu qu'elle trouva les Jours & les Ombres, avec la différence des couleurs qui fe relevent P'une par l'autre; & qu'elle mit en ufage le Clair-obfcur, comme le dernier éclat & la confommation du Coloris. Car ce Clair-obfcur n'est pas proprement la lumiere, mais il tient comme le milieu entre les Jours & les Ombres qui entrent dans la compofition du fujet. Et de là vient que les Grecs l'ont appellé ToNos, c'està-dire le Ton de la peinture: pour nous faire entendre, que, comme dans la Mufique il y a mille tons différens qui s'uniffent les uns aux autres d'une maniere infenfible pour faire un fon harmonieux; de même, dans la Peinture, il y a une force & une dégradation de lumiere prefque imperceptibles, lefquelles varient encore felon les couleurs propres ou locales des divers objets où elles tombent. C'est par cette diftribution enchantereffe des lumieres & des ombres, &, s'il eft permis de parler ainfi, par les prestiges de cette efpece de magie, FS

que fe excitante: poftea deinde adjectus eft SPLENDOR, alius hic quàm lumen; quem, quia inter hoc & umbram effet, appellaverunt - we'vev. Plin. lib. 5. cap. 5.

que les Peintres font illufion aux fens, & en impofent aux yeux des fpectateurs. Ils emploient, avec un art qu'on ne fe laffe point d'admirer, les teintes, les demi teintes, & toutes les diminutions de couleurs né. ceffaires pour dégrader la couleur des objets. Les nuances ne font pas mieux fondues dans la nature que dans leurs tableaux.

C'eft cet appas féduifant de la Peinture qui frape & attire tout le monde: les ignorans,les connoiffeurs, & les Peintres mêmes. Elle ne permet à perfonne de paffer indifféremment par un lieu où fera quelque tableau qui porte ce caractere, fans être comme furpris, fans s'arréter, & fans jouir quelque tems du plaifir de fa furprise. La véritable Peinture eff donc celle qui nous appelle, pour ainfi dire, en nous furprenant: & ce n'eft que par la force de l'effet qu'elle produit, que nous ne pouvons nous empécher d'en approcher, comme fi elle avait quelque chofe à nous dire. Et quand nous fommes auprès d'elle, nous trouvons en effet qu'elle nous divertit par le beau choix, & par la nouveauté des chofes qu'elle nous

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préfente; par l'hiftoire, & par la fable dont elle nous rafraîchit la mé moire par les inventions ingénieufes, & par les allégories dont nous nos faifons un plaifir de trouver le ens, ou de critiquer l'obscurité.

Il y a plus, comme le remarque Ariftote dans fa Poétique. Des mon. ftres,& des hommes morts ou mourans, que nous n'oferions regarder ou que nous ne verrions qu'avec horreur, nous les voions avec plaifir imités dans les ouvrages des Peintres. Mieux ils font imités, plus nous les regardons avidement. Le maffacre des Innocens a dû laiffer des idées bien funeftes dans l'imagination de ceux qui virent réellement les foldats effrénés égorger les enfans dans le fein des meres fanglantes. Le tableau de le Brun, où nous voions l'imitation de cet événement tragique, nous émeut & nous attendrit, mais il ne laiffe dans notre efprit aucune idée importone. Nous favons que le Peintre ne nous afflige qu'autant que nous le voulons, & que notre douleur qui n'eft que fuperficielle, difparoitra avec le tableau: au lieu que nous ne ferions pas maîtres ni de la vivacité

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ni

ni de la durée de nos fentimens, fi nous avions été frapés par les objets-mêmes.

Mais a ce qui doit dominer dans la Peinture, & ce qui en fait la fouve. raine perfection, c'eft le Vrai. Rien n'est bon, rien ne plait fans le Vrai. Tous les Arts qui ont pour objet l'imitation, ne s'exercent que pour inftruire & pour divertir les hommes par une fidele représentation de la nature. J'inférerai ici fur cette matiere un morceau, dont j'efpere que le Lecteur me faura gré. Je l'ai extrait Cours de Peinture du petit Traité de Mr. de Piles fur le de M. de Vrai dans la Peinture, & encore plus d'une Lettre de Mr. du Guet qui y eft jointe, & qu'il avoit écrite à une Dame, qui lui avoit demandé fon fentiment fur ce petit Traité.

Piles.

Du Vrai dans la Peinture.

QUOIQUE la Peinture ne foit qu'une imitation, & que l'objet qui eft dans le tableau ne foit que feint, il eft pourtant appel'é Vrai, quand il imite parfaitement le caractere de fon modele. On

a Picturæ probari non debent, quæ non fant fimiles veritati. Vitruv. lib. 7. cap. 5.

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