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Appelle à lui la gloire, elle accourt sur ses pas;
L'éblouissant fantôme ennoblit le trépas :
Tout l'affronte ou l'attend, le reçoit ou le donne;
lci la foudre abat, là le glaive moissonne;
Le fer croise le fer, les rangs foulent les rangs.
Entendez-vous les cris des vainqueurs, des mourans?
L'un de son assassin repousse la furie;

L'autre traîne à regret un reste affreux de vie ;
Et provoquant la rage, invoquant l'amitié,
Demande, tout sanglant, la mort à la pitié,
Et ne la doit enfin qu'à la soif du pillage.
Et si j'interrogeois ces scènes du carnage!
De ces guerriers mourans dans leur jeune saison,
L'un a quitté sa vigne et l'autre sa moisson;
L'autre un art bienfaisant. Mais la patrie ordonne :
Marchons, bravons ces feux, rompons cette colonne,
Reprenons ces drapeaux déchirés et sanglans.
Jeune guerrier, tu meurs à la fleur de tes ans!
Ah! combien va gémir ta mère désolée!

Pleurez, Amours; beaux-arts, ornez son mausolée.

On reconnoît dans cet heureux mélange de scènes de désolation et de sentimens tendres et doux, une agréable imitation de la manière de Virgile, qui, par une circonstance touchante, sait jeter tant d'intérêt sur la mort d'un guerrier, et dulces moriens reminiscitur Argos. La sensibilité poétique de Virgile attache souvent le plus vif intérêt, même aux objets inanimés. M. Delille, qui s'est si bien pénétré de ce grand modèle, à son exemple anime tout, nous intéresse à tout. Parle-t-il de ce château de Meudon, où il passa de si heureux jours, et des bois qui l'environnoient, où il fit de si beaux vers, il s'écrie:

Hélas! ces bois sacrés, ces bosquets ne sont plus ;
Par le fer destructeur je les vis abattus,

Abattus au printemps !

Et qu'un doux repentir ramène plus charmante :
Sa négligence plaît, et son désordre enchante.

Mais je vois la pudeur s'avancer sur sa trace.
Ah! qui peut séparer la pudeur de la grâce?
L'Imagination de ses regards discrets

A peine ose entrevoir ses mystères secrets;

Mais de son trouble heureux, de sa rougeur aimable,
Elle adore tout bas le charme inexprimable.

Le vice audacieux s'arrête à son aspect,

Et le désir lui-même est glacé de respect.

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Mais comme nous voyons, délicate et craintive,

Se flétrir sous nos mains la tendre sensitive,
Un mot, un geste, un rien alarme ses appas;
Le cœur vole au-devant de son doux embarras ;
Son silence nous plaît, sa froideur même enflamme,
Et la pudeur enfin est la grâce de l'ame.
Mais tandis que j'essaie à tracer ce tableau,
Elle-même, en mes mains, arrête mon pinceau.
D'orgueil, de modestie, ineffable mélange,
Ainsi que le reproche elle craint la louange.
Déjà je vois rougir ses timides attraits, etc.

Veut-on voir un contraste de tons et de couleurs, et par-tout le ton et les couleurs qui conviennent au sujet ; voici l'image des combats :

Le fer luit, l'éclair brille, et les tonnerres grondent;
Des montagnes, des bois, les échos leur répondent,
Les échos qui, jadis chers aux dieux bocagers,
N'avoient appris encor que les chants des bergers.
Telle qu'une ménade ardente, échevelée,
L'Imagination se perd dans la mêlée :
A travers et la poudre, et le fer, et les feux,
Vagabonde, elle porte et ses pas et ses yeux,
Et revient m'en tracer l'épouvantable image.
Tout dégoûtant de sang le démon du carnage

Appelle à lui la gloire, elle accourt sur ses pas;
L'éblouissant fantôme ennoblit le trépas :
Tout l'affronte ou l'attend, le reçoit ou le donne;
lci la foudre abat, là le glaive moissonne;
Le fer croise le fer, les rangs foulent les rangs.
Entendez-vous les cris des vainqueurs, des mourans?
L'un de son assassin repousse la furie;

L'autre traîne à regret un reste affreux de vie ;
Et provoquant la rage, invoquant l'amitié,
Demande, tout sanglant, la mort à la pitié,
Et ne la doit enfin qu'à la soif du pillage.
Et si j'interrogeois ces scènes du carnage!
De ces guerriers mourans dans leur jeune saison,
L'un a quitté sa vigne et l'autre sa moisson;
L'autre un art bienfaisant. Mais la patrie ordonne :
Marchons, bravons ces feux, rompons cette colonne,
Reprenons ces drapeaux déchirés et sanglans.
Jeune guerrier, tu meurs à la fleur de tes ans!
Ah! combien va gémir ta mère désolée!

Pleurez, Amours; beaux-arts, ornez son mausolée.

On reconnoît dans cet heureux mélange de scènes de désolation et de sentimens tendres et doux, une agréable imitation de la manière de Virgile, qui, par une circonstance touchante, sait jeter tant d'intérêt sur la mort d'un guerrier, et dulces moriens reminiscitur Argos. La sensibilité poétique de Virgile attache souvent le plus vif intérêt, même aux objets inanimés. M. Delille, qui s'est si bien pénétré de ce grand modèle, à son exemple anime tout, nous intéresse à tout. Parle-t-il de ce château de Meudon, où il passa de si heureux jours, et des bois qui l'environnoient, où il fit de si beaux vers, il s'écrie:

Hélas! ces bois sacrés, ces bosquets ne sont plus ;
Par le fer destructeur je les vis abattus,

Abattus au printemps !

Rien de plus heureux, ce semble, que cette répétition abattus, elle est extrêmement touchante, ainsi que la circonstance du temps, qui auroit dû faire respecter cette superbe parure de la nature et de la saison.

Il n'y a point de chant, dans le poëme de l'Imagination, qui ne renferme un grand nombre de morceaux aussi beaux et peut-être plus beaux encore que ceux que j'ai cités. J'avoue que le choix m'en a extrêmement embarrassé ; et quoique j'aie dû éviter et les morceaux les plus intéressans, tels que les épisodes, parce qu'ils sont trop longs pour entrer dans un journal, et les morceaux nombreux déjà fort connus, il en restoit encore une si grande quantité, que je n'ai jamais mieux éprouvé l'embarras des richesses. Le quatrième chant fourniroit à lui seul une ample moisson d'heureuses citations: rien de plus poétique que les souvenirs qu'inspirent à M. Delille les lieux antiques et fameux; que les impressions qu'il éprouve à l'aspect des débris, des ruines et des ravages du temps ; que les émotions qu'il reçoit des lieux célèbres par quelques scènes, quelques souvenirs chers à l'imagination, au cœur, au sentiment. Je regrette sur-tout de ne pouvoir pas citer cet épisode ingénieux et poétique, où il rend hommage, en si beaux vers, à l'esprit, au talent, au goût pour les beaux-arts qui distinguent M. de Choiseuil-Gouffier, aux travaux sur la Grèce, qu'il a déjà publiés, et à ceux qu'il nous promet encore.

A tant de beautés se mêlent sans doute quelques défauts; je les indiquerai avec franchise : la critique que j'en ferai, et quelques petites observations sur les grandes notes de M. Esménard, feront le sujet d'un quatrième et dernier extrait.

A.

XLV.

Fin du même sujet.

JE ne m'arrêterai point à prouver longuement qu'il

une sorte

n'y a pas de véritable ordre, ni de liaison essentielle entre les diverses parties du poëme de M. Delille, ce seroit une dissertation bien superflue. Cet ordre et cette liaison étoient impossibles ; et l'esprit de M. Delille, qui fait des choses étonnantes, ne peut cependant pas faire des choses impossibles. Ce n'est pas qu'il n'ait imaginé une sorte de méthode générale à laquelle il a voulu soumettre l'ensemble de son ouvrage, de plan philosophique auquel il a voulu subordonner les diverses parties et les nombreux détails. Ainsi, adoptant deux grandes divisions, il considère l'Imagination dans l'homme et hors de l'homme; il chante son origine et ses opérations dans l'homme intellectuel; ses effets, sur l'homme sensible; il décrit poétiquement les principales impressions qu'elle reçoit des objets extérieurs. Mais pourquoi, parmi ces impressions, compte-t-il la mélancolie et la tristesse? Ces deux affections n'appartenoient-elles pas plutôt au second chant, où il célèbre les effets de l'Imagination sur l'homme sensible? Et si M. Delille répond qu'elles nous sont souvent inspirées par des objets extérieurs, n'en est-il pas de même de la reconnoissance, de l'amitié, de la haine, de la crainte, de l'espérance, qu'il a cependant chantées, et avec raison, ce me semble, dans le second chant? Si l'auteur eût été fidèle à ses deux grandes divisions, n'étoit-ce pas dans celle où il considère l'Imagination plutôt dans

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