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DES PIECES

DE P. CORNEILLE.

MELITE, ou les Fausses Lettres, Comédie

en cinq actes, en vers, dédiée à M. de Liancourt, avec un Avis au Lecteur; représentée en 1625, et imprimée, pour la premiere fois, à Paris, en 1633, in-4. chez François Targa.

Tircis, qui n'aime point et croit pouvoir ne jamais aimer, se moque d'Eraste son ami, qui lui raconte sa passion pour Mélite, et l'assure que toute son indifférence seroit bientôt détruite par la seule vue de cette belle personne. Tircis accepte le défi, est conduit chez Mélite et cede, en effet, à ses charmes. Il se déclare, et cause de la jalousie à Eraste, qui ne croyoit pas le persuader si bien. Voulant se venger, et faire passer Mélite pour coquette, il contrefait des Lettres d'elle, et les adresse à Philandre, ami de Tircis, et amant de sa sœur, Cloris, qu'il abandonne pour se livrer aux avances qu'il croit avoir reçues de Mélite, et dont il

fait part aussi-tôt à Tircis, en lui remettant même ces fausses Lettres. Ce dernier les renvoie à Mélite, et lui fait annoncer que son infidélité lui cause la mort. Une telle nouvelle la met dans le plus grand désespoir, et dans un danger réel. On dit à Eraste qu'il n'a plus ni maîtresse, ni rival. Il perd l'esprit, et semble agité par les furies; et prenant Philandre pour Minos, il lui avoue que ces fatales Lettres sont fausses. Philandre est confondu. Mais Mélite, qui n'est point morte, apprend que la prétendue mort de Tircis n'étoit qu'une feinte pour l'éprouver. Les deux amans se réunissent et s'épousent; Eraste s'attache à Cloris, et le crédule Philandre est sacrifié.

Tel est le canevas de cette piece, « dont Corneille reprend lui-même les défauts dans l'Examen qui la suit. L'unité d'action est la seule qui y soit observée. Corneille dit n'en être redevable qu'au seul sens commun qui le guidoit. Le sens commun avoit été extrêmement rare jusqu'alors; et ce qui ne l'étoit pas moins, c'étoit un certain ton de décence qui regne dans cette Comédie. »Dictionnaire dramatique, tome second, page 213.

<< Corneille n'eut besoin que de la pureté de son cœur, pour rappeller d'abord la scene aux loix de la bienséance, pour la purger de ces familiarités, de ces transports trop libres, de ces embrassemens, de ces caresses qu'un siecle grossier avoit presque exigés en ornemens de théatre, sous prétexte de vérité. Au-licu de cette vérité choquante, et qui n'étoit bonne qu'à supprimer, il en introduisit une autre dont on avoit

besoin, et qui forma dans la suite la bonne Comédie; il produisit sur la scene la conversation des honnêtes gens. La Comédie jusques-là n'avoit rien imité. On avoit pour toute source de comique quelques personnages bás et burlesques, des Jodelets, des Capitans, des Valets ivres ou stupides, qui outroient tout, et ne peignoient rien. Corneille supprima tous ces monstres insipides; il instruisit la Comédie à retracer nos passions, nos ridicules, notre langage; et le germe de toutes ces réformes est dans cette Mélite si imparfaite, dont il nous a depuis autorisés à rougir pour lui; mais qui est aussi supérieure à la meilleure piece de Hardy, que Tartufe ou le Misanthrope est supérieur à Mélite. » Éloge de P. Corneille, par M. Gaillard, page 24 et 25.

On a vu dans la vie de Corneille, par Fontenelle, ce qui donna lieu à cette Comédie. « La Demoiselle qui en avoit fait naître le sujet, porta long-tems dans Rouen le surnom glorieux de Mélite, et se vit ainsi dès-lors associée à toutes les louanges que reçut son illustre amant. >>

«Le Public ne rendit pas d'abord à cette piece toute la justicè qu'elle méritoit. Il fallut plusieurs représentations pour lui faire sentir la supériorité qu'elle montroit sur toutes celles qui l'avoient précédées. Mais Hardy, qui étoit l'Auteur bannal du Théatre, et qui partageoit avec les Comédiens le produit de toutes les pieces, même de celles qu'il n'avoit pas composées, disoit à ceux qui lui apportoient sa part des représentations de Mélite: Bonne farce! bonne farce!

parce que cette part s'augmentoit de jour en jour. » Parfaict, histoire du Théatre François, tome quatrieme, page 461, et Anecdotes dramatiques, tome premier, page 539.

« Le succès de Mélite devint si prodigieux, que, dès ce coup d'essai, l'on reconnut l'excellent génie de ce nouvel Auteur, et l'on jugea qu'il alloit remettre la Comédie en crédit. Le concours y fut en effet si grand, que les Comédiens qui avoient été réduits encore une fois, faute de spectateurs, au seul Théatre de l'Hôtel de Bourgogne, se séparerent de nouveau, et établirent la Troupe du Marais du Temple. » Histoire de la Ville de Paris, liv. dix-neuvieme.

« Avant cette époque, disent les mêmes Historiens, les Picces de Théatre de nos premiers Poëtes commencerent à vieillir, et leurs représentations froides et languissantes, n'ayant plus cet air de nouveauté qui ne charme qu'autant qu'il surprend, ne donnoient plus aucun plaisir. Les Comédiens voulurent suppléer à ce défaut par de mauvaises farces, le plus souvent insipides, ou remplies d'obscénité; mais il n'y cut que le bas peuple, ou tout au plus quelques libertins qui s'accommoderent de ce spectacle ridicule, si indigne du Théatre François. Cette licence étoit parvenue à un tel point, que le Magistrat fut obligé d'y mettre la main; ainsi la Comédie tomba dans un fort grand mépris. Les choses étoient dans cet état, et le Théatre presque abandonné, lorsque P. Corneille fit paroître sur la scene sa Mélite. » Fontenelle, dans son Histoire du Théatre François, ajoute à cette

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cause de décadence, la vieillesse de Hardy et sa mort prochaine, qui alloit, dit-il, bientôt faire une grande breche au Théatre, quand Corneille donna Mélite.

« Il n'avoit que dix-neuf ans; et elle se sentoit encore beaucoup du ton des premiers Poëtes; quelques pensées libres et de fréquens baisers faisoient la plus grande partie du Comique. Corneille réforma, dans la seconde Edition, toutes ces indécences, et en corrigea aussi le style et la versification. » Joly, édition de P. Corneille, in-12, 1747.

Clitandre, ou l'Innocence délivrée, Tragédie, précédée d'une Préface et d'un Argument, et dédiée au Duc de Longueville; représentée et imprimée, pour la premiere fois, à Paris, en 1632, in-8. chez François Targa.

« Un voyage que je fis à Paris, dit Corneille, dans l'Examen de Clitandre, pour voir le succès de Mélite, m'apprit qu'elle n'étoit pas dans les vingt-quatre heures. C'étoit l'unique regle que l'on connût en ce temslà. J'entendis que ceux du métier la blâmoient de peu d'effet, et de ce que le style en étoit trop familier. Pour la justifier contre cette censure par une espece de bravade, et montrer que ce genre de Pieces avoit les vraies beautés de Théatre, j'entrepris d'en faire une réguliere, c'est-à-dire, dans ces vingt-quatre heures, pleine d'incidens, et d'un style plus élevé, mais qui ne vaudroit rien du tout; en quoi je réussis parfaitement.

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