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ment augmentée. On la trouve de cette seconde maniere dans le troisieme volume des Œuvres de Fontenelle, in-12. Il s'y est étendu en dissertations sur les Ouvrages sans faire connoître beaucoup plus l'Auteur.

Comme rien de ce qui regarde un homme tel que Corneille n'est indifférent, nous croyons que l'on sera bien-aise de retrouver ici quelques. unes des particularités échappées à Fontenelle, et quelques jugemens d'Ecrivains célebres, sur pere de notre Théatre.

le

On ne peut douter que celui qui peignit les Romains de la maniere la plus sublime qui soit possible, n'eût l'ame aussi noble que César, et ne se fût bien passé de la noblesse d'institution; cependant le pere de Corneille ayant rendu, en diverses occasions, de bons services à Louis XIII, dans la Maîtrise des Eaux et Forêts de la Vicomté de Normandie, ce Monarque lui donna des Lettres de Noblesse, et Parfaict dit que la famille de Marthe le Pésant, mere de Corneille, subsiste encore, avec éclat, dans les plus grandes charges de la Magistrature.

Corneille se maria de bonne-heure et par inclination; mais il ne fallut pas moins que la

puissance du Cardinal de Richelieu pour lui faire obtenir l'objet de son amour. Un matin qu'il se présenta plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire chez le Cardinal, celui-ci lui demanda s'il travailloit. CORNEILLE répondit qu'il étoit bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avoit la tête renversée par la passion violente que lui inspiroit une fille du Lieutenant-Général d'Andely, nommée Lampériere, que son pere ne vouloit pas lui accorder. Le Cardinal fit venir à Paris ce pere difficile, qui arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu ; mais qui fut bien content d'en être quitte pour donner sa fille à un homme tellement en crédit.

P. CORNEILLE eut deux fils qui servirent. Le plus jeune de ces deux ayant même été trèsgriévement blessé au siége de Douai, en présence de Louis XIV, se vit obligé de se retirer, comme on l'apprend par l'Épître de CORNEILLE au Roi, sur son retour de Flandres; et il fut ensuite tué, dans une autre affaire, étant Lieutenant de Cavalerie. Un troisieme fils de P. CORNEILLE embrassa l'état Ecclésiastique,

et eut l'Abbaye d'Aigue - Vive, en Touraine.

On a remarqué que P. et T. Corneille ayant épousé les deux sœurs, la même différence d'âge se trouvoit entr'elles comme entr'eux (environ vingt ans); qu'ils eurent un même nombre d'enfans; qu'ils ne firent qu'un même ménage, et que vingt-cinq ans de mariage s'écoulerent sans qu'ils songeassent ni l'un, ni l'autre, à faire le partage de leurs biens et de ceux de leurs femmes.

Selon Vigneul Marville, (le Chartreux D. Bonaventure d'Argonne) Mélanges d'Histoire et de Littérature, tome deuxieme, pages 167 et suivantes : « A voir Corneille, on ne l'auroit pas pris pour un homme qui faisoit si bien parler les Grecs et les Romains, et qui donnoit un si grand relief aux sentimens et aux pensées des Héros. Son extérieur n'avoit rien qui parlât pour son esprit.... Une grande Princesse qui avoit desiré de le voir et de l'entendre, disoit fort bien qu'il ne falloit point l'écouter ailleurs qu'à l'Hôtel de Bourgogne. Chose certaine, Corneille se négligeoit trop ; ou, pour mieux dire, la nature, qui lui avoit été si libérale en des choses

extraordinaires, l'avoit comme oublié dans les plus communes. Quand ses familiers amis, qui auroient souhaité de le voir parfait en tout, lui faisoient remarquer ces légers défauts, il sourioit et disoit : Je n'en suis pas moins pour cela Pierre Corneille. Il n'a jamais parlé bien correctement la Langue Françoise: peut-être ne se mettoit-il pas en peine de cette exactitude.... Quand il avoit composé un Ouvrage, il le lisoit à Madame de Fontenelle, sa sœur, qui en pouvoit bien juger. Cette Dame avoit l'esprit fort juste, et si la nature s'étoit avisée d'en faire un troisieme Corneille, ce dernier n'auroit pas moins brillé que les deux autres; mais elle devoit être ce qu'elle a été, pour donner un neveu à ses freres, digne héritier de leur mérite et de leur gloire. >>

Le judicieux La Bruyere, désignant P. Corneille, dans ses Caractetes, dit : « Il est simple et timide, d'une eunuyeuse conversation. Il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de ses Pieces, que par l'argent qui lui en revient. Il ne sait pas les réciter, ni lire son écriture. Laissez-le s'élever par la composition;

il n'est pas au-dessous d'Auguste, de Pompée, de Nicomede, d'Héraclius. Il est Roi, et un grand Roi. Il est Politique; il est Philosophe. Il entreprend de faire parler des Héros, de les faire agir il peint les Romains; ils sont plus grands et plus Romains dans ses vers que dans leur Histoire. >>>

« Corneille seroit fort au-dessus de tous les Tragiques de l'antiquité, s'il n'avoit été fort au-dessous de lui dans quelques-unes de ses Pieces. Il est si admirable dans les belles, qu'il ne se laisse pas souffrir ailleurs médiocre. Ce qui n'est pas excellent en lui me semble mauvais, moins pour être mal que pour n'avoir pas la perfection qu'il a su donner à d'autres choses. Ce n'est pas assez à Corneille de nous plaire légérement; il est obligé de nous toucher. S'il ne ravit nos esprits, ils emploieront leurs lumieres à connoître avec dégoût la différence qu'il y a de lui à lui-même. Il est permis à quelques Auteurs de nous émouvoir simplement. Ces émotions, inspirées par eux, sont de petites douceurs agréables, quand on ne cherche qu'à s'attendrir. Avec Corneille, nos ames se préparent

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