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tout le christianisme avoit extrêmement déplu. CORNEILLE alarmé, voulut retirer la Piece d'entre les mains des Comédiens qui l'apprenoient; mais enfin il la leur laissa, sur la parole d'un d'entre eux qui n'y jouoit point, parce qu'il étoit trop mauvais Acteur. Etoit-ce donc à ce Comédien à juger mieux que tout l'Hôtel de Rambouillet?

Pompée suivit Polyeucte. Ensuite vint le Menteur, Piece comique, et presque entiérement prise de l'Espagnol, selon la coutume de ce tems

là.

Quoique le Menteur soit très-agréable, et qu'on l'applaudisse encore aujourd'hui sur le Théatre, j'avoue que la Comédie n'étoit point encore arrivée à sa perfection. Ce qui dominoit dans les Pieces, c'étoit l'intrigue et les incidens, erreurs de nom, déguisemens, lettres interceptées, aventures nocturnes; et c'est pourquoi on prenoit presque tous les sujets chez les Espagnols, qui triomphent sur ces matieres. Ces Pieces ne laissoient pas d'être fort plaisantes, et pleines d'esprit. Témoin le Menteur dont nous parlons, Dom Bertrand de Cigaral, le Geolier

B

de soi-même. Mais enfin la plus grande beauté de la Comédie étoit inconnue; on ne songeoit point aux mœurs et aux caracteres, on alloit chercher bien loin le ridicule dans des événemens imaginés avec beaucoup de peine, et on ne s'avisoit point de l'aller prendre dans le cœur humain, où est sa principale habitation. Moliere est le premier qui l'ait été chercher là, et celui qui l'a le mieux mis en œuvre. Homme inimitable, et à qui la Comédie doit autant que la Tragédie à CORNEILLE.

Comme le Menteur eut beaucoup de succès CORNEILLE lui donna une suite; mais qui ne réussit guere. Il en découvre lui-même la raison dans les Examens qu'il a faits de ses Pieces. Là il s'établit juge de ses propres Ouvrages, et en parle avec un noble désintéressement, dont il tire en même tems le double fruit, et de prévenir l'envie sur le mal qu'elle en pourroit dire, et de se rendre lui-même croyable sur le bien qu'il en dit.

A la suite du Menteur succéda Rodogune. Il a écrit quelque part, que pour trouver la plus belle de ses Pieces, il falloit choisir entre Rodo.

gune et Cinna; et ceux à qui il en a parlé, ont démêlé, sans beaucoup de peine, qu'il étoit pour Rodogune. Il ne m'appartient nullement de prononcer sur cela ; mais peut-être préféroit-il Rodogune, parce qu'elle lui avoit extrêmement coûté. Il fut plus d'un an à disposer le sujet. Peut-être vouloit-il, en mettant son affection de ce côté-là, balancer celle du Public, qui paroît être de l'autre. Pour moi, si j'ose le dire, je ne mettrois point le différent entre Rodogune et Cinna; il me paroît aisé de choisir entre elles, et je connois quelque Piece (1) de CORNEILLE que je ferois passer encore avant la plus belle des deux.

On apprendra dans les Examens de CORNEILLE, mieux que l'on ne feroit ici, l'Histoire de Théodore, d'Héraclius, de Don Sanche d'Aragon, d'Andromede, de Nicomede et de Pertharite. On y verra pourquoi Théodore et Don Sanche d'Aragon réussirent fort peu, et pourquoi Pertharite tomba absolument. On ne put souffrir dans Théodore la seule idée du péril

(1) Polyeucte.

de la prostitution; et si le Public étoit devenu si délicat, à qui CORNEILLE devoit-il s'en prendre qu'à lui-même ? Avant lui, le viol réussissoit dans les Pieces de Hardy. Il manqua à Don Sanche un suffrage illustre, qui lui fit manquer tous ceux de la Cour. Exemple assez commun de la soumission des François à de certaines autorités. Enfin, un mari qui veut racheter sa femme en cédant un Royaume, fut encore, sans comparaison, plus insupportable dans Pertharite, que la prostitution ne l'avoit été dans Théodore. Le bon mari n'osa se montrer au Public que. deux fois. Cette chûte du grand CORNEILLE peut être mise parmi les exemples les plus remarquables des vicissitudes du monde, et Bélisaire demandant l'aumône n'est pas plus étonnant.

Il se dégoûta du Théatre, et déclara qu'il y renonçoit, dans une petite Préface assez chagrine qu'il mit au-devant de Pertharite. Il dit, pour raison, qu'il commence à vieillir; et cette raison n'est que trop bonne, sur-tout quand il s'agit de Poésie et des autres talens de l'imagination. L'espece d'esprit qui dépend de l'imagination, et c'est ce qu'on appelle communément

esprit dans le monde, ressemble à la beauté, et ne subsiste qu'avec la jeunesse. Il est vrai que la vieillesse vient plus tard pour l'esprit; mais elle vient. Les plus dangereuses qualités qu'elle lui apporte, sont la sécheresse et la dureté ; et il y a des esprits qui en sont naturellement plus susceptibles que d'autres, et qui donnent plus de prise aux ravages du tems: ce sont ceux qui avoient de la noblesse, de la grandeur, quelque chose de fier et d'austere. Cette sorte de caractere contracte aisément, par les années, je ne sais quoi de sec et de dur. C'est à-peu-près ce qui arriva à CORNEILLE. Il ne perdit pas en vieillissant l'inimitable noblesse de son génie; mais il s'y mêla quelquefois un peu de dureté. Il avoit poussé les grands sentimens aussi loin que la nature pouvoit souffrir qu'ils allassent; il commença de tems en tems à les pousser un peu plus loin. Ainsi, dans Pertharite, une Reine consent à épouser un tyran qu'elle déteste, pourvu qu'il égorge un fils unique qu'elle a, et que par cette action il se rende aussi odieux qu'elle souhaite qu'il le soit. Il est aisé de voir que ce sen

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