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Mme de Montesson. Nous avions déjà eu l'honneur de vous annoncer plusieurs pièces de théâtre de sa composition; mais voici sa première tragédie et le premier ouvrage, je crois, qu'elle ait écrit en vers. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle était parvenue jusqu'à l'âge de quarante ans sans avoir songé même à se faire expliquer les règles si simples et si faciles de notre prosodie; les premiers essais de son talent poétique n'en ont pas moins été de longs poëmes, des comédies et des tragédies de cinq actes. Le sujet de celle qui vient d'être représentée, sur le théâtre de Ms le duc d'Orléans, par les acteurs de la Comédie-Française, est tiré des Anecdotes secrètes de la cour de Bourgogne ; l'exposition, quoique un peu longue, ne nous a paru manquer ni d'intérêt ni de clarté.

ACTE PREMIER. On attend le retour du duc qui vient de remporter sur ses ennemis la victoire la plus signalée; mais ce n'est pas lui qu'on attend avec le plus d'impatience, c'est le comte de Vaudray, son rival sans le vouloir, sans s'en douter, un jeune héros dont la valeur sauva les jours du duc, et fit gagner la bataille. La duchesse avoue à sa confidente que l'ambition seule forma les noeuds de son hyménée, qu'elle brûle en secret pour le jeune comte; que ce feu, renfermé trop longtemps au fond de son cœur, l'emporte enfin sur ses remords et sur sa vertu Je sentais, lui dit-elle,

:

Je sentais le besoin de confesser mon crime.

Le comte de Vaudray n'a pas de goût pour l'adultère. Il aimait la comtesse de Bar, nièce du duc, il en était aimé; et, n'osant espérer l'aveu de son maître, il l'a épousée secrètement avant de partir pour l'armée.

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ACTE SECOND. Le duc ne voit point de récompense assez illustre pour payer les services du comte, si ce n'est la main même de sa nièce; il la lui promet, et le comte, en recevant avec transport l'espoir d'un prix si glorieux, craint trop de le perdre. en lui avouant qu'il osa l'obtenir sans sa permission. Il cherche à entretenir la duchesse, et, prêt à lui confier ses craintes et ses espérances, il découvre quel autre intérêt l'occupe. La duchesse, peu satisfaite, comme on peut croire, des dispositions du comte, veut s'en venger, et, plus intrépide que Phèdre, l'accuse elle

même auprès de son époux d'avoir osé lui adresser de téméraires

vœux.

ACTE TROISIÈME.

On n'est point surpris que le duc cherche à éclaircir ce mystère; il a mandé le comte. Celui-ci, se croyant trahi, se précipite aux genoux du duc, et lui avoue qu'il est uni secrètement avec la comtesse de Bar. Le duc reste confondu à peu près comme le pauvre Orgon: Je ne vous comprends pas; quoi! vous épousiez ma nièce et convoitiez ma femme 1! Dans le premier moment de son indignation, il ne sait quoi penser. En attendant des réflexions plus tranquilles, il fait garder les deux époux chacun dans leur appartement; cependant il ne tarde. pas à présumer que la duchesse en effet pourrait bien s'être méprise :

Eh! ne connaît-on pas l'orgueil de la beauté?

ACTE QUATRIÈME. Le duc assemble les grands de sa cour; il leur demande quelles sont les vertus qui caractérisent essentiellement l'âme d'un bon souverain. L'un exalte la clémence, l'autre la justice, un autre la générosité. Vous ne me parlez pas, leur répond le duc, de la reconnaissance...; et, pénétré de ce doux sentiment, il pardonne au comte son audace en faveur de ses services, et confirme solennellement son mariage avec la comtesse. Il semble qu'ici l'action de la pièce finisse d'elle-même; mais la vengeance de la duchesse trouve le secret de la prolonger. Elle fait donner de faux avis au duc d'une prétendue sédition qui vient d'éclater dans le camp à quelque distance de la ville. Le comte, l'idole des soldats, part pour les faire rentrer dans leur devoir.

ACTE CINQUIÈME. -La duchesse avait besoin de l'absence du comte pour exécuter un projet épouvantable, celui de faire mettre le feu au palais de la comtesse, et d'aposter en même temps des assassins pour la tuer au milieu du tumulte, si elle avait le Donheur d'échapper à l'incendie. Quelque noir qu'ait paru ce complot, il n'y a point de spectateur qu'il ait sérieusement alarmé il était aisé de prévoir que le comte son époux reviendrait à temps pour l'enlever du milieu des flammes, et la sauver

1.

Vous épousiez ma fille et convoitiez ma femme.

(MOLIÈRE, le Tartuffe, act. IV, sc. vi).

des mains des meurtriers; c'est ce qui ne manque point d'arriver, et cela produit même un assez beau coup de théâtre dans le goût de celui de la Veuve du Malabar. La duchesse, désespérée, se fait justice dans les formes du théâtre avec un coup de poignard, et tout finit au gré des spectateurs.

Si le fond de cet ouvrage est romanesque, la conduite en est assez sage, la marche claire, les scènes bien liées. On peut trouver que le rôle de la duchesse de Bourgogne, trop odieux, l'est souvent sans nécessité, qu'elle est plus coupable que Phèdre et beaucoup moins passionnée, ce qui diminue doublement l'intérêt de sa situation. Il semble qu'en général, pour avoir craint de paraître imiter Phèdre, l'auteur soit tombé dans presque tous les défauts que Racine sut éviter avec tant d'art et de génie; mais on peut fort bien être au-dessous de Racine, et mériter encore. de grands éloges. Quoique le style de la pièce n'ait pas cette force, cette énergie qui appartient surtout à la poésie tragique, il a de la noblesse, de la douceur, de la pureté, et il faut sans doute avoir beaucoup d'esprit et beaucoup de talent pour parler si bien le langage des muses lorsqu'on n'en a pas acquis l'habitude de meilleure heure. Le vers de la tragédie qui a été le plus applaudi et qui devait l'être, c'est

Philippe fut toujours l'appui des malheureux.

Jamais application de ce genre ne fut plus juste ni plus naturelle.

me

Le rôle de la duchesse de Bourgogne a été rendu avec beaucoup d'adresse par Me Vestris, celui du comte de Vaudray par Molé; Mile Sainval a eu plusieurs inflexions touchantes dans le rôle de la comtesse de Bar; Brizard n'a pas fait valoir infiniment celui du duc;

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé.

Les pièces consacrées à l'inauguration du nouveau ThéâtreItalien ne sont pas heureuses. Celle de M. Sedaine n'a pas reparu depuis la première représentation; celle de M. Des Fontaines n'a pas eu beaucoup plus de succès, et semblait en mériter encore moins c'est le Réveil de Thalie, comédie en trois actes et en vers, mêlée de vaudevilles. Il n'est pas aisé d'en indiquer le

plan; l'on pourrait même douter qu'il en ait jamais existé un dans la pensée de l'auteur; rien de plus embrouillé, rien de plus décousu.

On ne peut refuser à M. Des Fontaines de l'esprit et de la facilité; mais son esprit a une manière recherchée, et il manque absolument de ce goût qui sait mettre chaque chose à la place qui lui convient. Le seul rôle qui ait un peu soutenu la pièce est le rôle du Gascon; le chevalier de Ventillac ressemble fort au capitaine Claque de Molière à la nouvelle salle; mais, pour être de la même famille, il n'en a pas moins quelques traits à lui, et quelques traits assez plaisants. Voici une tirade qu'on a fort applaudie :

Jé hais les culbutes,
J'exècre le cri des sifflets,

Et j'ai plus empêché de chutes
Que vous n'avez eu dé succès.

Au moindré bruit, jé mé lance et mé porte
Du centré dans lé coin, du coin dans lé milieu,
Et d'un coup dé ma main qu'on entend dé la porte

Jé rends à votre acteur la parole et lé jeu.

Lé bacchanal double, jé mé réporte

Dans le plus fort du tourbillon.

Lé péti-tcollet mé dit non,

Jé passe. Lé marchand mé donne la gourmade,

Jé pousse. Lé soldat m'adresse la bourrade,

Jé réçois mais j'arrive, et, malgré tout lé train,
Imperceptiblement jé mets la pièce à fin.

-La Dernière Aventure d'un homme de quarante ans, etc., par M. Rétif de La Bretonne. Trois volumes in-12. L'auteur a fait son Quadragénaire pour prouver qu'un homme à quarante ans pouvait encore espérer d'être heureux en aimant. Dans cet nouvel ouvrage, il prouve le contraire, et toujours, suivant sa méthode, par des histoires prises dans les ruisseaux de la rue Saint-Honoré. De ses nombreuses productions, celle-ci n'est pas sans doute la meilleure, mais on y rencontre encore quelques peintures fort attachantes par la chaleur et la vérité de la passion qu'elles respirent; c'est un mérite qu'on ne saurait lui

refuser.

Lettres de deux amants habitants de Lyon, publiées par M. Léonard. Trois volumes in-12. La catastrophe est connue;

tout le roman inventé par M. Léonard pour la rendre plus pathétique n'offre qu'un tissu de fadeurs, de sentiments exagérés, d'imitations maladroites, sans mouvement, sans naturel et sans intérêt.

JUIN.

L'Histoire des minéraux n'offre pas à l'éloquence des sujets aussi heureux, aussi propres à être embellis par elle que l'histoire du règne animal; mais la sagacité ingénieuse de M. le comte de Buffon y découvre pour ainsi dire à chaque pas de nouvelles preuves de son système sur les révolutions de notre globe terrestre; et l'auteur, attaché à ses recherches par ce grand intérêt, le fait partager souvent à ses lecteurs; des observations sèches ou minutieuses en elles-mêmes paraissent plus importantes par leur liaison intime avec les premières origines du monde. Si le quartz, le schorl, le talc, les schistes et l'ardoise ne sont que des matières brutes et communes, elles n'en attestent pas moins les grands travaux de la nature durant l'espace de plusieurs milliers de siècles; ce sont des titres authentiques de l'ancienneté de notre globe, de la longue succession des âges qui durent en préparer la forme et la richesse actuelle ; les minéraux sont dans l'histoire du monde ce que sont les monnaies, les médailles et les vieux monuments dans l'histoire des empires.

M. de Buffon divise en trois grandes classes toutes les matières brutes et minérales qui composent le globe de la terre. La première classe embrasse les matières qui, ayant été produites par le feu primitif, n'ont point changé de nature.

La seconde classe comprend les matières qui ont subi une seconde action du feu, et qui ont été frappées par les foudres de l'électricité souterraine ou fondues par le feu des volcans.

La troisième classe contient les substances calcinables, les terres végétales, et toutes les matières formées du détriment et des dépouilles des animaux et des végétaux, par l'action ou l'intermède de l'eau.

« C'est surtout, dit M. de Buffon, dans cette troisième classe que se voient tous les degrés et toutes les nuances qui remplissent

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