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SUR

L'HISTOIRE DE CHARLES XII,

Qui était au-devant de la première édition.

IL Y

y a bien peu de fouverains dont on dût écrire une hiftoire particulière. En vain la malignité ou la flatterie s'eft exercée fur prefque tous les princes: il n'y en a qu'un très-petit nombre dont la mémoire se conserve; et ce nombre ferait encore plus petit, fi l'on ne se souvenait que de ceux qui ont été justes.

Les princes qui ont le plus de droit à l'immortalité font ceux qui ont fait quelque bien aux hommes. Ainfi tant que la France fubfiftera, on s'y fouviendra de la tendreffe que Louis XII avait pour fon peuple; on excufera les grandes fautes de François I en faveur des arts et des fciences dont il a été le père; on bénira la mémoire de Henri IV, qui conquit fon héritage à force de vaincre et de pardonner; on louera la magnificence de Louis XIV, qui a protégé les arts que François I avait fait naître.

Par une raison contraire, on garde le fouvenir des mauvais princes, comme on se fouvient des inondations, des incendies et des pefles.

Entre les tyrans et les bons rois font les conquérans, mais plus approchans des premiers ceux-ci ont une réputation éclatante; on eft avide de connaître les moindres particularités de leur vie. Telle eft la miférable faibleffe des hommes, qu'ils regardent avec admiration ceux qui ont fait du mal d'une manière brillante, et qu'ils parleront fouvent plus volontiers du deftructeur d'un empire que de celui qui l'a fondé.

Pour tous les autres princes qui n'ont été illuftres ni en paix ni en guerre, et qui n'ont été connus ni par de grands vices ni par de grandes vertus, comme leur vie ne fournit aucun exemple ni à imiter ni à fuir, elle n'eft pas digne qu'on s'en fouvienne. De tant d'empereurs de Rome, d'Allemagne, de Moscovie; de tant de fultans, de califes, de papes, de rois, combien y en a-t-il, dont le nom ne mérite de fe trouver ailleurs que dans les tables chronologiques, où ils ne font que pour fervir d'époques ?

Il y a un vulgaire parmi les princes, comme parmi les autres hommes; cependant la fureur

d'écrire eft venue au point qu'à peine un fouverain ceffe de vivre que le public eft inondé de volumes fous le nom de mémoires, d'hiftoire de fa vie, d'anecdotes de fa cour. Par-là les livres fe multiplient de telle forte qu'un homme qui vivrait cent ans, et qui les emploierait à lire, n'aurait pas le temps de parcourir ce qui s'eft imprimé fur l'histoire feule, depuis deux fiècles en Europe.

Cette démangeaison de transmettre à la poftérité des détails inutiles, et d'arrêter les yeux des fiècles à venir fur des événemens communs, vient d'une faibleffe très-ordinaire à ceux qui ont vécu dans quelque cour, et qui ont eu le malheur d'avoir quelque part aux affaires publiques. Ils regardent la cour où ils ont vécu comme la plus belle qui ait jamais été, le roi qu'ils ont vu comme le plus grand monarque, les affaires dont ils se sont mêlés comme ce qui a jamais été de plus important dans le monde. Ils s'imaginent que la poftérité verra tout cela avec les mêmes yeux.

Qu'un prince entreprenne une guerre, que fa cour foit troublée d'intrigues, qu'il achète l'amitié d'un de fes voifins et qu'il vende la fienne à un autre; qu'il faffe enfin la paix avec ses ennemis, après quelques victoires et

quelques défaites; fes fujets, échauffés par la vivacité de ces événemens préfens, pensent être dans l'époque la plus fingulière depuis la création. Qu'arrive-t-il ? ce prince meurt; on prend après lui des mefures toutes différentes; on oublie et les intrigues de fa cour, et ses maîtresses, et ses miniftres, et fes généraux, et fes guerres, et lui-même.

Depuis le temps que les princes chrétiens tâchent de se tromper les uns les autres, et font des guerres et des alliances, on a figné des milliers de traités, et donné autant de batailles; les belles ou infames actions font innombrables. Quand toute cette foule d'événemens et de détails fe préfente devant la postérité, ils font prefque tous anéantis les uns par les autres; les feuls qui reflent font ceux qui ont produit de grandes révolutions, ou ceux qui, ayant été décrits par quelque écrivain excellent, fe fauvent de la foule, comme des portraits d'hommes obfcurs peints par de grands maîtres.

On fe ferait donc bien donné de garde d'ajouter cette hiftoire particulière de Charles XII, roi de Suède, à la multitude des livres dont le public eft accablé, fi ce prince et fon rival. Pierre Alexiowitz, beaucoup plus grand homme. que lui n'avaient été, du confentement de

toute la terre, les perfonnages les plus finguliers qui euffent paru depuis plus de vingt fiècles. Mais on n'a pas été déterminé feulement à donner cette vie , par la petite fatisfaction d'écrire des faits extraordinaires ; on a pensé que cette lecture pourrait être utile à quelques princes, fi ce livre leur tombe par hafard entre les mains. Certainement il n'y a point de fouverain qui, en lifant la vie de Charles XII, ne doive être guéri de la folic des conquêtes. Car où eft le fouverain qui pût dire : J'ai plus de courage et de vertus, une ame plus forte, un corps plus robuste; j'entends mieux la guerre, j'ai de meilleures troupes que Charles XII? Que fi avec tous ces avantages, et après tant de victoires, ce roi a été fi malheureux, que devraient espérer les autres princes qui auraient la même ambition avec moins de talens et de reffources?

On a compofé cette hiftoire fur des récits de perfonnes connues, qui ont paffé plusieurs années auprès de Charles XII et de Pierre le grand, empereur de Mofcovie; et qui, s'étant retirées dans un pays libre long-temps après la mort de ces princes, n'avaient aucun intérêt de déguiser la vérité. M. Fabrice, qui a vécu sept années dans la familiarité de Charles XII, M. de Fierville, envoyé de France, M. de Villelongue,

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