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27 juin 1682.

Education de

de trente-fept ans, comme le grand Guslave, avant d'avoir pu achever cet ouvrage du defpotisme que fon fils, Charles XI, éleva jufqu'au comble.

Charles XI, guerrier comme tous fes ancêtres, fut plus abfolu qu'eux. Il abolit l'autorité du fénat, qui fut déclaré le fénat du roi, et non du royaume. Il était frugal, vigilant, laborieux, tel qu'on l'eût aimé, fi fon defpotifme n'eût réduit les fentimens de fes fujets pour lui à celui de la crainte.

Il époufa, en 1680, Ulrique Eléonore, fille de Frédéric III, roi de Danemarck, princeffe vertueuse et digne de plus de confiance que fon époux ne lui en témoigna. De ce mariage naquit le roi Charles XII, l'homme le plus extraordinaire, peut-être, qui ait jamais été fur la terre, qui a réuni en lui toutes les grandes qualités de fes aïeux, et qui n'a eu d'autre défaut, ni d'autre malheur, que de les avoir toutes outrées. C'eft lui dont on fe propose ici d'écrire ce qu'on a appris de certain touchant fa perfonne et fes actions.

Le premier livre qu'on lui fit lire fut l'ouvrage de Charles XII. Samuel Puffendorf, afin qu'il pût connaître de bonne heure fes Etats et ceux de ses voisins. Il apprit d'abord l'allemand, qu'il parla toujours depuis auffi-bien que fa langue maternelle. A l'âge de fept ans, il favait manier un cheval. Les exercices violens, où il fe plaifait, et qui découvraient fes inclinations martiales, lui formèrent de bonne heure une conftitution vigoureuse, capable de foutenir les fatigues où le portait fon tempérament.

Quoique doux dans fon enfance, il avait une

opiniâtreté infurmontable: le feul moyen de le plier était de le piquer d'honneur; avec le mot de gloire, on obtenait tout de lui. Il avait de l'averfion pour le latin; mais dès qu'on lui eut dit que le roi de Pologne et le roi de Danemarck l'entendaient, il l'apprit bien vîte, et en retint affez pour le parler le refte de fa vie. On s'y prit de la même manière pour l'engager à entendre le français; mais il s'obftina tant qu'il vécut à ne jamais s'en fervir, même avec des ambaffadeurs français, qui ne favaient point d'autre langue.

Dès qu'il eut quelque connaiffance de la langue latine, on lui fit traduire Quinte-Curce: il prit pour ce livre un goût que le fujet lui inspirait beaucoup plus encore que le ftyle. Celui qui lui expliquait cet auteur lui ayant demandé ce qu'il penfait d'Alexandre, je penfe, dit le prince, que je voudrais lui ressembler. Mais, lui dit-on, il n'a vécu que trente-deux ans. Ah! reprit-il, n'est-ce pas affez quand on a conquis des royaumes? On ne manqua pas de rapporter ces réponses au roi, fon père, qui s'écria: Voilà un enfant qui vaudra mieux que moi, et qui ira plus loin que le grand Guftave. Un jour il s'amufait dans l'appartement du roi à regarder deux cartes géographiques, l'une d'une ville de Hongrie prise par les Turcs fur l'empereur, et l'autre de Riga, capitale de la Livonie, province conquise par les Suédois depuis un fiècle. Au bas de la carte de la ville hongroise il y avait ces mots tirés du livre de Job: DIEU me l'a donnée, DIEU me l'a ôtée, le nom du Seigneur foit béni. Le jeune prince ayant lu ces paroles, prit fur le champ un crayon, et écrivit au bas de la carte de Riga: DIEU

1693.

me l'a donnée, le Diable ne me l'ôtera pas. (a) Ainfi, dans les actions les plus indifferentes de fon enfance, ce naturel indomptable laiffait fouvent échapper de ces traits qui caractérisent les ames fingulières, et qui marquaient ce qu'il devait être un jour.

Il avait onze ans lorfqu'il perdit fa mère. Cette Le 5 auguste princeffe mourut d'une maladie caufée, dit-on, par les chagrins que lui donnait fon mari, et par les efforts qu'elle fefait pour les diffimuler. (b) Charles XI avait dépouillé de leurs biens un grand nombre de fes fujets, par le moyen d'une espèce de cour de justice, nommée la chambre des liquidations, établie de fon autorité feule. Une foule de citoyens ruinés par cette chambre, nobles, marchands, fermiers, veuves, orphelins, rempliffaient les rues de Stockholm, et venaient tous les jours à la porte du palais pouffer des cris inutiles. La reine fecourut ces malheureux de tout ce qu'elle avait. Elle leur donna son argent, ses pierreries, fes meubles, fes habits même. Quand elle n'eut plus rien à leur donner, elle fe jeta en larmes aux pieds de fon mari, pour le prier d'avoir compaffion de fes fujets. Le roi lui répondit gravement: Madame, nous vous avons prife pour nous donner des enfans, et non pour nous donner des avis. Depuis ce temps il la traita, dit-on, avec une dureté qui avança fes jours.

16 avril

Il mourut quatre ans après elle, dans la quarante1697. deuxième année de fon âge, et dans la trente-septième de fon règne, lorfque l'Empire, l'Espagne, la Hollande,

(a) Deux ambaffadeurs de France en Suède m'ont conté ce fait. (b) Le P. Barre, génovéfain, a copié tout cet article dans son hiftoire d'Allemagne, tome VII, et il l'applique à un comte de Virtemberg.

d'un côté, et la France de l'autre, venaient de remettre la décifion de leurs querelles à fa médiation, et qu'il avait déjà entamé l'ouvrage de la paix entre ces puiffances.

Il laiffa à fon fils, âgé de quinze ans, un trône affermi et refpecté au dehors, des fujets pauvres, mais belliqueux et foumis, avec des finances en bon ordre, ménagées par des miniftres habiles.

Charles XII, à fon avénement, non-feulement fe trouva maître absolu et paisible de la Suède et de la Finlande, mais il régnait encore fur la Livonie, la Carelie, l'Ingrie; il poffédait Vismar, Vibourg, les îles de Rugen, d'Oesel, et la plus belle partie de la Poméranie, le duché de Brême et de Verden; toutes conquêtes de fes ancêtres, affurées à fa couronne par une longue poffeffion et par la foi des traités folennels de Munfter et d'Oliva, foutenus de la terreur des armes fuédoises. La paix de Ryfvick, commencée fous les aufpices du père, fut conclue fous ceux du fils il fut le médiateur de l'Europe, dès qu'il commença à régner.

Les lois fuédoifes fixent la majorité des rois à quinze ans mais Charles XI, absolu en tout, retarda par fon teftament celle de fon fils jufqu'à dix-huit. Il favorifait, par cette difpofition, les vues ambitieuses de fa mère, Edwige-Eléonore de Holstein, veuve de Charles X. Cette princeffe fut déclarée par le roi, fon fils, tutrice du jeune roi fon petit-fils, et régente du royaume, conjointement avec un confeil de cinq perfonnes.

La régente avait eu part aux affaires fous le règne du roi, fon fils. Elle était avancée en âge; mais fon

ambition, plus grande que fes forces et que fon génie, lui fefait espérer de jouir long-temps des douceurs de l'autorité, fous le roi fon petit-fils. Elle l'éloignait autant qu'elle pouvait des affaires. Le jeune prince paffait fon temps à la chaffe, ou s'occupait à faire la revue des troupes : il fefait même quelquefois l'exercice avec elles; ces amusemens ne semblaient que l'effet naturel de la vivacité de fon âge. Il ne paraissait dans fa conduite aucun dégoût qui pût alarmer la régente; et cette princeffe fe flattait que les diffipations de ces exercices le rendraient incapable d'application, et qu'elle en gouvernerait plus long-temps.

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Un jour, au mois de novembre, la même année de la mort de fon père, il venait de faire la revue de plufieurs régimens: le confeiller d'Etat, Piper, était auprès de lui; le roi paraiffait abymé dans une rêverie profonde. Puis-je prendre la liberté, lui dit "Piper, de demander à votre majefté à quoi elle fonge fi férieufement? Je fonge, répondit le prince, que je me fens digne de commander à ces braves gens: et je voudrais que ni eux ni moi ne reçuffions l'ordre d'une femme. Piper faifit dans le moment l'occasion de faire une grande fortune. Il n'avait pas affez de crédit pour ofer fe charger lui-même de l'entreprise dangereufe d'ôter la régence à la reine, et d'avancer la majorité du roi; il propofa cette négociation au comte Axel Sparre, homme ardent, et qui cherchait à fe donner de la confidération : il le flatta de la confiance du roi. Sparre le crut, fe chargea de tout, et ne travailla que pour Piper. Les conseillers de la régence furent bientôt perfuadés. C'était à qui précipiterait

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