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l'unité. Cette idée prouvait feulement qu'il aimait en tout l'extraordinaire et le difficile. (1)

A l'égard de fa religion, quoique les fentimens d'un prince ne doivent pas influer fur les autres hommes, et que l'opinion d'un monarque auffi peu inftruit que Charles ne foit d'aucun poids dans ces matières, cependant il faut fatisfaire, fur ce point comme fur le reste, la curiofité des hommes qui ont eu les yeux ouverts fur tout ce qui regarde ce prince. Je fais de celui qui m'a confié les principaux mémoires de cette hiftoire, que Charles XII fut luthérien de bonne foi jufqu'à l'année 1707. Il vit alors à Leipfic le fameux philofophe M. Leibnitz, qui penfait et parlait librement, et qui avait déjà inspiré ses fentimens libres à plus d'un prince. Je ne crois pas que Charles XII puifa, comme on me l'avait dit, de l'indifférence pour le luthéranifme dans la converfation de ce philofophe, qui n'eut jamais l'honneur de l'entretenir qu'un quart-d'heure; mais M. Fabrice, qui approcha de lui familièrement, fept années de fuite, m'a dit que dans fon loifir chez les Turcs, ayant vu plus de diverses religions, il étendit plus loin fon indifférence. La Motraye même dans fes voyages confirme cette idée. Le comte de Croissy pense de même, et m'a dit plufieurs fois que ce prince ne conferva de fes premiers principes que celui d'une prédestination abfolue, dogme qui favorifait fon courage, et qui juftifiait ses témérités. Le czar avait les mêmes fentimens que lui fur la religion et fur la

(1) Elle prouve auffi qu'il avait approfondi, jusqu'à un certain point, la théorie des nombres, puifqu'il connaiffait la nature et les propriétés des échelles arithmétiques.

destinée; mais il en parlait plus fouvent car il s'entretenait familièrement de tout avec fes favoris, et avait par-deffus Charles l'étude de la philofophie et le don de l'éloquence.

Je ne puis me défendre de parler ici d'une calomnie renouvelée trop fouvent à la mort des princes, que les hommes malins et crédules prétendent toujours avoir été ou empoifonnés ou affaffinés. Le bruit se répandit alors en Allemagne que c'était M. Siquier luimême qui avait tué le roi de Suède. Ce brave officier fut long-temps défefpéré de cette calomnie: un jour en m'en parlant, il me dit ces propres paroles : J'aurais pu tuer le roi de Suède; mais tel était mon respect pour ce héros, que fi je l'avais voulu, je n'aurais pas ofé.

Je fais bien que Siquier lui même avait donné lieu à cette fatale accufation qu'une partie de la Suède croit encore; il m'avoua lui-même qu'à Stockholm, dans une fièvre chaude, il s'était écrié qu'il avait tué le roi de Suède ; que même il avait dans fon accès ouvert la fenêtre, et demandé publiquement pardon de ce parricide. Lorsque dans fa guérison il eut appris ce qu'il avait dit dans fa maladie, il fut fur le point de mourir de douleur. Je n'ai point voulu révéler cette anecdote pendant fa vie. Je le vis quelque temps avant fa mort, et je puis affurer que loin d'avoir tué Charles XII, il fe ferait fait tuer pour lui mille fois. S'il avait été coupable d'un tel crime, ce ne pouvait être que pour fervir quelque puiffance qui l'en aurait fans doute bien récompenfé; il eft mort très-pauvre en France, et même il a eu befoin du fecours de fes amis. Si ces raifons ne fuffifent pas, que l'on confidère que la balle qui frappa Charles XII ne pouvait entrer dans un pistolet,

et que Siquier n'aurait pu faire ce coup déteftable qu'avec un piftolet caché fous fon habit. (2)

Après la mort du roi on leva le fiége de Frederichshall; tout changea dans un moment : les Suédois, plus accablés que flattés de la gloire de leur prince, ne fongèrent qu'à faire la paix avec leurs ennemis, et à réprimer chez eux la puiffance abfolue dont le baron de Gortz leur avait fait éprouver l'excès. Les états élurent librement pour leur reine la princeffe, fœur de Charles XII, et l'obligèrent folennellement de renoncer à tout droit héréditaire fur la couronne, afin qu'elle ne la tînt que des fuffrages de la nation. Elle promit, par des fermens réitérés, qu'elle ne tenterait jamais de rétablir le pouvoir arbitraire : elle facrifia depuis la jaloufie de la royauté à la tendreffe conjugale, en cédant la couronne à fon mari, et elle engagea les états à élire ce prince, qui monta fur le trône aux mêmes conditions qu'elle.

Le baron de Goztz, arrêté immédiatement après la mort de Charles, fut condamné par le fénat de Stockholm à avoir la tête tranchée au pied de la potence de la ville: exemple de vengeance peut-être encore plus que de juftice, et affront cruel à la mémoire d'un roi que la Suède admire encore.

(2) Beaucoup de gens prétendent encore que Charles XII fut la victime de la haine qu'il avait infpirée à fes fujets. Cette opinion n'eft pas même deftituée de vraisemblance. M. de Voltaire ne l'ignorait pas ; mais, comme il ne pouvait vérifier les petites circonftances fur lesquelles cette opinion s'appuie, il a préféré la paffer sous filence.

On garde à Stockholm le chapeau de Charles XII; et la petiteffe du trou dont il eft percé eft une des raisons de ceux qui veulent croire qu'il perit par un affaffinat.

Fin du huitième et dernier livre.

DES LIVRES ET SOMMAIRES

CONTENUS DANS CE VOLUME.

DISCOURS fur l'hiftoire de Charles XII. Page 3 Lettre à M. le maréchal de Schullembourg, général des

Vénitiens.

10

Lettre à M. Norberg, chapelain du roi de Suède Charles XII, et auteur d'une hiftoire de ce monarque. Avis important fur l'hiftoire de Charles XII.

Autre avis.

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ARGUMENT. Hiftoire abrégée de la Suède jufqu'à Charles XII. Son éducation; fes ennemis. Caractère du czar Pierre Alexiowitz. Particularités trèscurieufes fur ce prince et fur la nation ruffe. La Mofcovie, la Pologne et le Danemarck se réunissent contre Charles XII. 31

LIVRE SECON D.

ARGUMENT. Changement prodigieux et fubit dans le caractère de Charles XII. A l'âge de dix-huit ans il foutient la guerre contre le Danemarck, la Pologne et la Mofcovie; termine la guerre de Danemarck en fix femaines; défait quatre-vingts mille mofcovites avec huit mille fuédois, et paffe en Pologne. Defcription de la Pologne et de fon gouvernement. Charles gagne plufieurs

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