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La raison de cette inaction était un deffein des plus grands, mais en même temps des plus difficiles à exécuter qu'ait jamais formés l'imagination humaine.

Le baron Henri de Gortz, né en Franconie, et baron immédiat de l'Empire, ayant rendu des fervices importans au roi de Suède pendant le féjour de ce monarque à Bender, était depuis devenu fon favori et fon premier miniftre.

Jamais homme ne fut fi fouple et fi audacieux à la fois, fi plein de reffources dans les difgrâces, fi vafte dans fes deffeins, ni fi actif dans fes démarches; nul projet ne l'effrayait, nul moyen ne lui coûtait; il prodiguait les dons, les promeffes, les fermens, la vérité et le menfonge.

Il allait de Suède en France, en Angleterre, en Hollande, essayer lui-même les refforts qu'il voulait faire jouer. Il eût été capable d'ébranler l'Europe, et il en avait conçu l'idée. Ce que fon maître était à la tête d'une armée, il l'était dans le cabinet; auffi prit-il fur Charles XII un afcendant qu'aucun miniftre n'avait eu avant lui.

Ce roi, qui à l'âge de vingt ans n'avait donné que des ordres au comte Piper, recevait alors des leçons du baron de Gortz : d'autant plus foumis à ce miniftre que le malheur le mettait dans la néceffité d'écouter des confeils, et que Gortz ne lui en donnait que de conformes à fon courage. Il remarqua que de tant de princes réunis contre la Suède, George, électeur de Hanover, roi d'Angleterre, était celui contre lequel Charles était le plus piqué, parce que c'était le feul que Charles n'eût point offenfé; que

George était entré dans la querelle fous prétexte de l'apaifer, et uniquement pour garder Brême et Verden, auxquels il femblait n'avoir d'autre droit que de les avoir achetés à vil prix du roi de Danemarck, à qui ils n'appartenaient pas.

les

et le préten

Il entrevit auffi de bonne heure que le czar était s'imagine fecrètement mécontent des alliés, qui tous l'avaient qu'il retabli ra Staniflas empêché d'avoir un établiffement dans l'empire en Pologne, d'Allemagne, où ce monarque, devenu trop dange- dant en Anreux, n'aspirait qu'à mettre le pied. Vismar, la gleterre. feule ville qui reftât encore aux Suédois fur les côtes d'Allemagne, venait enfin de fe rendre aux Pruffiens et aux Danois, le 14 février 1716. Ceuxci ne voulurent pas feulement fouffrir que troupes mofcovites, qui étaient dans le Meckelbourg, paruffent à ce fiége. De pareilles défiances, réitérées depuis deux ans, avaient aliéné l'efprit du czar, et avaient peut-être empêché la ruine de la Suède. Il y a beaucoup d'exemples d'Etats alliés conquis par une feule puiffance; il y en a bien peu d'un grand empire conquis par plufieurs alliés. Si leurs forces réunies l'abattent, leurs divifions le relèvent bientôt.

Dès l'année 1714 le czar eût pu faire une defcente en Suède. Mais, foit qu'il ne s'accordât pas avec les rois de Pologne, d'Angleterre, de Danemarck et de Prufse, alliés justement jaloux; foit qu'il ne crût pas encore fes troupes affez aguerries pour attaquer fur fes propres foyers cette même nation dont les feuls paysans avaient vaincu l'élite des troupes danoifes, il recula toujours cette entreprise.

Ce qui l'avait arrêté encore était le besoin d'argent. Le czar était un des plus puiffans monarques du monde, mais un des moins riches: fes revenus ne montaient pas alors à plus de vingt-quatre millions de nos livres. Il avait découvert des mines d'or, d'argent, de fer, de cuivre; mais le profit en était encore incertain, et le travail ruineux. Il établiffait un grand commerce; mais les commencemens ne lui apportaient que des efpérances fes provinces nouvellement conquifes augmentaient fa puissance et fa gloire, fans accroître encore ses revenus. Il fallait du temps pour fermer les plaies de la Livonie, pays abondant, mais défolé par quinze ans de guerre, par le fer, par le feu et par la contagion, vide d'habitans, et qui était alors à charge à fon vainqueur. Les flottes qu'il entretenait, les nouvelles entreprises qu'il fefait tous les jours, épuifaient fes finances. Il avait été réduit à la mauvaise reffource de hauffer les monnaies; remède qui ne guérit jamais les maux d'un Etat, et qui eft fur-tout préjudiciable à un pays qui reçoit des étrangers plus de marchandises qu'il ne leur en fournit.

Voilà en partie les fondemens fur lefquels Gortz bâtit le deffein d'une révolution. Il ofa proposer au roi de Suède d'acheter la paix de l'empereur mofcovite à quelque prix que ce pût être; lui fefant envisager le czar irrité contre les rois de Pologne et d'Angleterre, et lui donnant à entendre que Pierre Alexiowitz et Charles XII réunis pourraient faire trembler le refte de l'Europe.

Il n'y avait pas moyen de faire la paix avec le czar, fans céder une grande partie des provinces

qui

qui font à l'orient et au nord de la mer Baltique; mais il lui fit confidérer qu'en cédant ces provinces que le czar poffédait déjà, et qu'on ne pouvait reprendre, le roi ne pourrait avoir la gloire de remettre à la fois Stanislas fur le trône de Pologne, de replacer le fils de Jacques II fur celui d'Angleterre, et de rétablir le duc de Holftein dans fes Etats.

Charles, flatté de ces grandes idées, fans pourtant y compter beaucoup, donna carte blanche à fon miniftre. Gortz partit de Suède muni d'un pleinpouvoir qui l'autorisait à tout fans restriction, et le rendait plénipotentiaire auprès de tous les princes avec qui il jugerait à propos de négocier. Il fit d'abord fonder la cour de Mofcou par le moyen d'un écoffais, nommé Areskins, premier médecin du czar, dévoué au parti du prétendant, ainfi que l'étaient presque tous les écoffais qui ne subsistaient pas des faveurs de la cour de Londres.

Ce médecin fit valoir au prince Menzikoff l'impor tance et la grandeur du projet, avec toute la vivacité d'un homme qui y était intéreffé. Le prince Menzikoff goûta fes ouvertures; le czar les approuva. Au lieu de defcendre en Suède, comme il en était convenu avec les alliés, il fit hiverner ses troupes dans le Meckelbourg, et il y vint lui-même fous prétexte de terminer les querelles qui commençaient à naître entre le duc de Meckelbourg et la nobleffe de ce pays; mais pourfuivant en effet fon deffein favori d'avoir une principauté en Allemagne, et comptant engager le duc de Meckelbourg à lui vendre fa fouveraineté.

Les alliés furent irrités de cette démarche : ils ne Hift. de Charles XII.

X

voulaient point d'un voifin fi terrible, qui, ayant une fois des terres en Allemagne, pourrait un jour s'en faire élire empereur, et en opprimer les fouverains. Plus ils étaient irrités, plus le grand projet du baron de Gortz s'avançait vers le fuccès. Il négociait cependant avec tous les princes confédérés, pour mieux cacher fes intrigues fecrètes. Le czar les amufait tous auffi par des efpérances. Charles XII, cependant, était en Norvège avec fon beau-frère, le prince de Heffe, à la tête de vingt mille hommes; la province n'était gardée que par onze mille danois divifés en plufieurs corps, que le roi et le prince de Heffe pafsèrent au fil de l'épée.

Charles avança jufqu'à Chriftiania, capitale de ce royaume la fortune recommençait à lui devenir favorable dans ce coin du monde ; mais jamais le roi ne prit affez de précautions pour faire fubfifter fes troupes. Une armée et une flotte danoise approchaient pour défendre la Norvège. Charles, qui manquait de vivres, fe retira en Suède, attendant l'iffue des vaftes entreprises de fon ministre.

Cet ouvrage demandait un profond fecret et des préparatifs immenfes, deux chofes affez incompatibles. Gortz fit chercher jufque dans les mers de l'Afie un fecours qui, tout odieux qu'il paraissait, n'en eût pas été moins utile pour une defcente en Ecoffe, et qui du moins eût apporté en Suède de l'argent, des hommes et des vaiffeaux.

Il Y avait long-temps que des pirates de toutes nations, et particulièrement des anglais, ayant fait entre eux une affociation, infeftaient les mers de l'Europe et de l'Amérique. Poursuivis par-tout fans

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