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LIVRE HUITIEM E.

ARGUMENT.

Charles marie la princeffe fa fæur au prince de Heffe. Il eft affiégé dans Stralfund, et fe fauve en Suède. Entreprise du baron de Gortz, fon premier miniftre. Projets d'une réconciliation avec le czar, et d'une defcente en Angleterre. Charles affiège Frederichshall en Norvège. Il eft tué. Son caractère. Gortz eft décapité.

LE

E roi, au milieu de ces préparatifs, donna la fœur qui lui reftait, Ulrique Eléonore, en mariage au prince Frédéric de Heffe-Caffel. La reine douairière, grand'mère de Charles XII et de la princeffe, âgée de quatre-vingts ans, fit les honneurs de cette fête, le 4 avril 1715, dans le palais de Stockholm, et mourut peu de temps après.

Ce mariage ne fut point honoré de la présence du roi; il refta dans Stralfund, occupé à achever les fortifications de cette place importante, menacée par les rois de Danemarck et de Pruffe. Il déclara cependant fon beau-frère généraliffime de fes armées en Suède. Ce prince avait fervi les Etats-Généraux dans les guerres contre la France: il était regardé comme un bon général ; qualité qui n'avait pas peu contribué à lui faire époufer une fœur de Charles XII.

Les mauvais fuccès fe fuivaient alors auffi rapidement qu'autrefois les victoires. Au mois de juin de cette année 1715, les troupes allemandes du roi d'Angleterre et celles de Danemarck investirent la forte ville de Vifmar: les Danois et les Saxons, réunis au nombre de trente-fix mille, marchèrent en même temps vers Stralfund, pour en former le fiége. Les rois de Danemarck et de Pruffe coulèrent à fond, près de Stralfund, cinq vaiffeaux fuédois. Le czar était alors fur la mer Baltique avec vingt grands vaiffeaux de guerre, et cent cinquante de transport, sur lefquels il y avait trente mille hommes. Il menaçait la Suède d'une defcente: tantôt il avançait jufqu'à la côte de Helfinbourg, tantôt il fe préfentait à la hauteur de Stockholm. Toute la Suède était en armes fur les côtes, et n'attendait que le moment de cette invafion. Dans ce même temps fes troupes de terre chaffaient de pofte en pofte les Suédois des places qu'ils poffédaient encore dans la Finlande, vers le golfe de Bothnie; mais le czar ne pouffa pas plus loin fes entreprises.

A l'embouchure de l'Oder, fleuve qui partage en deux la Pomeranie, et qui, après avoir coulé fous Stetin, tombe dans la mer Baltique, eft la petite île d'Ufedom cette place eft très-importante par fa fituation, qui commande l'Oder à droite et à gauche ; celui qui en eft le maître l'eft auffi de la navigation du fleuve. Le roi de Prufse avait délogé les Suédois de cette île, et s'en était faifi, auffi-bien que de Stetin qu'il gardait en féqueftre; le tout, disait-il, pour l'amour de la paix. Les Suédois avaient repris l'île d'Ufedom, au mois de mai 1715. Ils y avaient deux

forts

forts; l'un était le fort de la Suine fur la branche de l'Oder qui porte ce nom; l'autre, de plus de conféquence, était Pennamonder fur l'autre cours de la rivière. Le roi de Suède n'avait, pour garder ces deux forts et toute l'île, que deux cents cinquante foldats poméraniens commandés par un vieil officier fuédois, nommé Kufe-Slerp, dont le nom mérite d'être confervé.

Le roi de Pruffe envoie, le 4 augufte, quinze cents hommes de pied et huit cents dragons pour débarquer dans l'île : ils arrivent et mettent pied à terre, fans oppofition, du côté du fort de la Suine. Le commandant fuédois leur abandonna ce fort comme le moins important: et, ne pouvant partager le peu qu'il avait de monde, il fe retira dans le château de Pennamonder avec fa petite troupe, réfolu de fe défendre jufqu'à la dernière extrémité.

Il fallut donc l'affiéger dans les formes. On embarque pour cet effet de l'artillerie à Stetin; on renforce les troupes pruffiennes de mille fantaffins et de quatre cents cavaliers. Le 18 augufte on ouvre la tranchée en deux endroits, et la place eft vivement battue par le canon et par les mortiers. Pendant le fiége, un foldat fuédois, chargé en fecret d'une lettre de Charles XII, trouva le moyen d'aborder dans l'île, et de s'introduire dans Pennamonder : il rendit la lettre au commandant; elle était conçue en ces termes :

Ne faites aucun feu que quand les ennemis feront , au bord du foffé; défendez-vous jusqu'à la dernière "goutte de votre fang; je vous recommande à votre ,, bonne fortune. CHARLES. "

Hift. de Charles XII.

V

Slerp, ayant vu ce billet, réfolut d'obéir et de mourir, comme il lui était ordonné, pour le fervice de fon maître. Le 22, au point du jour, les ennemis donnèrent l'affaut : les affiégés, n'ayant tiré que quand ils virent les affiégeans au bord du foffé, en tuèrent un grand nombre: mais le foffé était comblé, la bréche large, le nombre des affiégeans trop fupérieur. On entra dans le château par deux endroits à la fois. Le commandant ne fongea alors qu'à vendre chèrement fa vie et à obéir à la lettre. Il abandonne les brèches par où les ennemis entraient, il retranche près d'un baftion fa petite troupe, qui a l'audace et la fidélité de le fuivre; il la place de façon qu'elle ne peut être entourée. Les ennemis courent à lui, étonnés de ce qu'il ne demande point quartier. Il se bat pendant une heure entière; et, après avoir perdu la moitié de fes foldats, il eft tué enfin avec fon lieutenant et fon major. Alors cent foldats, qui reftaient avec un feul officier, demandèrent la vie, et furent faits prifonniers on trouva dans la poche du commandant la lettre de fon maître, qui fut portée au roi de Pruffe.

Pendant que Charles perdait l'île d'Ufedom et les îles voifines, qui furent bientôt prises; que Vifmar était près de fe rendre; qu'il n'avait plus de flotte; que la Suède était menacée, il était dans la ville de Stralfund; et cette place était déjà affiégée par trentefix mille hommes.

Stralfund, ville devenue fameuse en Europe par le fiége qu'y foutint le roi de Suède, eft la plus forte place de la Pomeranie. Elle est bâtie entre la mer Baltique et le lac de Franken, fur le détroit de Gella: on n'y peut arriver de terre que fur une chauffée

étroite, défendue par une citadelle et par des retranchemens qu'on croyait inacceffibles. Elle avait une garnison de près de neuf mille hommes, et de plus, le roi de Suède lui-même. Les rois de Danemarck et de Pruffe entreprirent ce fiége avec une armée de trente-fix mille hommes, compofée de pruffiens, de danois et de faxons.

L'honneur d'affiéger Charles XII était un motif fi preffant qu'on passa par-dessus tous les obftacles, et qu'on ouvrit la tranchée la nuit du 19 au 20. octobre de cette année 1715. Le roi de Suède, dans le commencement du fiége, difait qu'il ne comprenait pas comment une place bien fortifiée, et munie d'une garnison fuffifante, pouvait être prife. Ce n'eft pas que dans le cours de fes conquêtes paffées il n'eût pris plufieurs places, mais prefque jamais par un fiége régulier; la terreur de fes armes avait alors tout emporté d'ailleurs il ne jugeait pas des autres par lui-même, et n'eftimait pas affez fes ennemis. Les affiégeans prefsèrent leurs ouvrages avec une activité et des efforts qui furent fecondés par un hasard trèsfingulier.

On fait que la mer Baltique n'a ni flux ni reflux. Le retranchement qui couvrait la ville, et qui était appuyé, du côté de l'Occident, à un marais impraticable, et du côté de l'Orient, à la mer, feinblait hors de toute infulte. Personne n'avait fait attention que, lorfque les vents d'Occident foufflaient avec quelque violence, ils refoulaient les eaux de la mer Baltique vers l'Orient, et ne leur laiffaient que trois pieds de profondeur vers ce retranchement, qu'on eût cru bordé d'une mer impraticable. Un foldat s'étant laiffé

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