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à l'ancien vifir Chourlouli et à Ofman, ce lieutenantde Baltagi Mehemet, qui était le principal auteur de la paix du Pruth, et qui depuis cette paix avait obtenu une charge considérable à la Porte. On trouva parmi les trésors d'Ofman la bague de la czarine, et vingt mille pièces d'or au coin de Saxe et de Mofcovie ; ce fut une preuve que l'argent feul avait tiré le czar du précipice, et avait ruiné la fortune de Charles XII. Le vifir Baltagi Mehemet fut relégué dans l'île de Lemnos, où il mourut trois ans après. Le fultan ne faifit fon bien ni à fon exil ni à fa mort: il n'était pas riche, et fa pauvreté justifia fa mémoire.

A ce grand vifir fuccéda Jussuf, c'est-à-dire Joseph, dont la fortune était auffi fingulière que celle de ses prédéceffeurs. Né fur les frontières de la Mofcovie, et fait prifonnier par les Turcs à l'âge de fix ans avec fa famille, il avait été vendu à un janissaire. Il fut long-temps valet dans le férail, et devint enfin la feconde perfonne de l'empire où il avait été esclave; mais ce n'était qu'un fantôme de miniftre. Le jeune Selictar Ali Coumourgi l'éleva à ce pofte gliffant, en attendant qu'il pût s'y placer lui-même; et Jusuf fa créature n'eut d'autre emploi que d'appofer les fceaux de l'empire aux volontés du favori. La politique de la cour ottomane parut toute changée dès les premiers jours de ce vifirat : les plénipotentiaires du czar qui reftaient à Conftantinople, et comme miniftres, et comme otages, y furent mieux traités que jamais: le grand visir confirma avec eux la paix du Pruth: mais ce qui mortifia le plus le roi de Suède, ce fut d'apprendre que les liaisons fecrètes qu'on prenait à Conftantinople avec le czar, étaient le fruit

de la médiation des ambaffadeurs d'Angleterre et de Hollande.

Conftantinople, depuis la retraite de Charles à Bender, était devenue ce que Rome a été fi fouvent, le centre des négociations de la chrétienté. Le comte Defaleurs, ambaffadeur de France, y appuyait les intérêts de Charles et de Stanislas: le miniftre de l'empereur allemand les traverfait: les factions de Suède et de Mofcovie s'entre-choquaient, comme on a vu long-temps celles de France et d'Espagne agiter cour de Rome.

la

L'Angleterre et la Hollande, qui paraissaient neutres, ne l'étaient pas: le nouveau commerce que le czar avait ouvert dans Pétersbourg attirait l'atten tion de ces deux nations commerçantes.

Les Anglais et les Hollandais feront toujours pour le prince qui favorifera le plus leur trafic. Il y avait beaucoup à gagner avec le czar: il n'eft donc pas étonnant que les miniftres d'Angleterre et de Hollandé le ferviffent fecrètement à la Porte ottomane. Une des conditions de cette nouvelle amitié fut que l'on ferait fortir inceffamment Charles des terres de l'empire turc; foit que le czar efpérât se faifir de fa perfonne fur les chemins, foit qu'il crût Charles moins redou table dans fes Etats qu'en Turquie, où il était toujours fur le point d'armer les forces ottomanes contre l'empire des Ruffes.

Le roi de Suède follicitait toujours la Porte de le renvoyer par la Pologne avec une nombreuse armée. Le divan réfolut en effet de le renvoyer, mais avec une fimple escorte de sept à huit mille hommes; non

plus comme un roi qu'on voulait fecourir, mais comme un hôte dont on voulait fe défaire. Pour cet effet le fultan Achmet lui écrivit en ces termes :

Très-puiffant entre les rois adorateurs de JESUS, redreffeur des torts et des injures, et protecteur de la justice dans les ports et les républiques du Midi et du Septentrion; éclatant en majesté, ami de l'honneur & de la gloire, et de notre fublime Porte, Charles, roi de Suède, dont DIEU couronne les entreprises de bonheur.

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AUSSITOT que le très-illuftre Achmet, ci-devant "chiaoux pachi, aura eu l'honneur de vous présenter " cette lettre, ornée de notre fceau impérial, foyeż perfuadé et convaincu de la vérité de nos intentions qui y font contenues, à favoir que, quoiqué " nous nous fuffions propofé de faire marcher de ,, nouveau contre le czar nos troupes toujourš

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victorieuses, cependant ce prince, pour éviter le ,, jufte reffentiment que nous avait donné fon retar,, dement à exécuter le traité conclu fur les bords ,, du Pruth, et renouvelé depuis à notre fublime ,, Porte, ayant rendu à notre empire le château et ,, la ville d'Azoph, et cherché par la médiation ,, des Ambassadeurs d'Angleterre et de Hollande, nos ,, anciens amis, à cultiver avec nous les liens d'une ,, conftante paix, nous la lui avons accordée, et

donné à fes plénipotentiaires, qui nous reftent "pour otages, notre ratification impériale, après ,, avoir reçu la fienne de leurs mains.

,, Nous avons donné au très-honorable et vaillant " Delvet Gherai, han de Budziack, de Crimée, dé

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" Nagaï et de Circaffie, et à notre très-fage confeiller ,, et généreux férafquier de Bender, Ifmaël, (que " DIEU perpétue et augmente leur magnificence et " prudence) nos ordres inviolables et falutaires pour ,, votre retour par la Pologne, felon votre premier ❞ deffein qui nous a été renouvelé de votre part. › Vous devez donc vous préparer à partir fous les aufpices de la providence, et avec une honorable " escorte, l'hiver prochain, pour vous rendre dans " vos provinces, ayant foin de passer en ami par " celles de la Pologne.

,, Tout ce qui fera néceffaire pour votre voyage , vous fera fourni par ma fublime Porte, tant en "argent qu'en hommes, chevaux et chariots. Nous " vous exhortons fur-tout, et vous recommandons

de donner vos ordres les plus pofitifs et les plus ,, clairs à tous les Suédois et autres gens qui fe ,, trouvent auprès de vous, de ne commettre aucun ,, défordre, et de ne faire aucune action qui tende ,, directement ou indirectement à violer cette paix et "' amitié.

"Vous conferverez par-là notre bienveillance, ,, dont nous chercherons à vous donner d'auffi ,, grandes et d'auffi fréquentes marques qu'il s'en " préfentera d'occafions. Nos troupes destinées pour " vous accompagner recevront des ordres conformes " à nos intentions impériales.

,, Donné à notre fublime Porte de Conftantinople, ,, le 14 de la lune rebyul eurech 1214. Ce qui revient au 19 avril 1712.

Cette lettre ne fit point encore perdre l'efpérance
Hifl. de Charles XII.

Q

au roi de Suède : il écrivit au fultan qu'il ferait toute fa vie reconnaiffant des faveurs dont fa hauteffe l'avait comblé; mais qu'il croyait le fultan trop juste pour le renvoyer avec la fimple escorte d'un camp volant, dans un pays encore inondé des troupes du czar. En effet, l'empereur ruffe, malgré le premier article de la paix du Pruth, par lequel il s'était engagé à retirer toutes fes troupes de la Pologne, y en avait fait encore passer de nouvelles ; et ce qui femble étonnant, c'est que le grand feigneur n'en

favait rien.

La mauvaise politique de la Porte, d'avoir toujours par vanité des ambaffadeurs des princes chrétiens à Conftantinople, et de ne pas entretenir un feul agent dans les cours chrétiennes, fait que ceux-ci pénètrent et conduisent quelquefois les réfolutions les plus fecrètes du fultan, et que le divan eft toujours dans une profonde ignorance de ce qui se paffe publiquement chez les chrétiens.

Le fultan, enfermé dans fon férail parmi fes femmes et fes eunuques, ne voit que par les yeux de fon grand vifir: ce miniftre, auffi inacceffible que fon maître, occupé des intrigues du férail, et sans correfpondance au dehors, eft d'ordinaire trompé, ou trompe le fultan, qui le dépose ou le fait étrangler à la première faute, pour en choifir un autre auffi ignorant ou auffi perfide, qui fe conduit comme fes prédéceffeurs, et qui tombe bientôt comme eux.

Telle eft pour l'ordinaire l'inaction et la fécurité profonde de cette cour, que, fi les princes chrétiens fe liguaient contre elle, leurs flottes feraient aux

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