Page images
PDF
EPUB

vifir; il lui reproche, avec un vifage enflammé, le traité qu'il vient de conclure. J'ai droit, dit le " grand vifir d'un air calme, de faire la guerre ,, et la paix. ›› Mais, reprend le roi, n'avais-tu pas toute l'armée mofcovite en ton pouvoir? Notre loi nous ordonne, repartit gravement le vifir, de ,, donner la paix à nos ennemis, quand ils implorent notre miféricorde. Hé t'ordonne-t-elle, infifte le ,, roi en colère, de faire un mauvais traité, quand tu ,, peux impofer telles lois que tu veux? Ne dépendait,, il pas de toi d'amener le czar prifonnier à Conf", tantinople?",

Le turc pouffé à bout répondit sèchement:,, Hé › qui gouvernerait fon empire en fon abfence? il ne ,, faut pas que tous les rois foient hors de chez eux. 99 Charles répliqua par un fourire d'indignation: il se jeta fur un fopha, et regardant le vifir d'un air plein de colère et de mépris, il étendit sa jambe vers lui, et embarraffant exprès fon éperon dans la robe du turc, il la lui déchira, fe releva fur le champ, remonta à cheval, et retourna à Bender, le désespoir dans le cœur.

Poniatowski refta encore quelque temps avec le grand vifir, pour essayer, par des voies plus douces, de l'engager à tirer un meilleur parti du czar; mais l'heure de la prière étant venue, le turc, fans répondre un feul mot, alla se laver et prier DIEU.

Fin du cinquième Livre.

LIVRE SIXIEM E,

ARGUMENT.

Intrigues à la Porte ottomane. Le kan des Tartares et le bacha de Bender veulent forcer Charles de partir. Il fe defend avec quarante domestiques contre une armée. Il eft pris et traité en prifonnier.

LA

A fortune du roi de Suède, fi changée de ce qu'elle avait été, le perfécutait dans les moindres chofes il trouva, à fon retour, fon petit camp de Bender et tout le logement inondés des eaux du Niefter: il fe retira à quelques milles, près d'un village nommé Varnitza; et comme s'il eût eu un fecret preffentiment de ce qui devait lui arriver, il fit bâtir en cet endroit une large maifon de pierre, capable en un besoin de foutenir quelques heures un afsaut. Il la meubla même magnifiquement contre fa coutume, pour impofer plus de refpect aux Turcs.

Il en conftruifit auffi deux autres, l'une pour fa chancellerie, l'autre pour fon favori Grothufen, qui tenait une de ses tables. Tandis que le roi bâtissait ainfi près de Bender, comme s'il eût voulu refter toujours en Turquie, Baltagi Mehemet, craignant plus que jamais les intrigues et les plaintes de ce prince à la Porte, avait envoyé le résident de l'empereur d'Allemagne demander lui-même à Vienne un

paffage pour le roi de Suède par les terres héréditaires de la maifon d'Autriche. Cet envoyé avait rapporté, en trois semaines de temps, une promeffe de la régence impériale de rendre à Charles XII les honneurs qui lui étaient dûs, et de le conduire en toute fureté en Pomeranie.

On s'était adreffé à cette régence de Vienne, parce qu'alors l'empereur d'Allemagne, Charles, fucceffeur de Jofeph I, était en Espagne, où il disputait la couronne à Philippe V. Pendant que l'envoyé allemand exécutait à Vienne cette commiffion, le grand visir envoya trois bachas au roi de Suède, pour lui fignifier qu'il fallait quitter les terres de l'empire turc.

Le roi, qui favait l'ordre dont ils étaient chargés, leur fit d'abord dire que s'ils ofaient lui rien propofer contre fon honneur, et lui manquer de respect, il les ferait pendre tous trois fur l'heure. Le bacha de Salonique, qui portait la parole, déguifa la dureté de fa commiffion fous les termes les plus refpectueux. Charles finit l'audience fans daigner feulement répondre; fon chancelier Mullern, qui refta avec ces trois bachas, leur expliqua en peu de mots le refus de fon maître, qu'ils avaient affez compris par fon filence.

Le grand vifir ne fe rebuta pas: il ordonna à Ifmaël bacha, nouveau férafquier de Bender, de menacer le roi de l'indignation du fultan, s'il ne fe déterminait pas fans délai. Ce férafquier était d'un tempérament doux et d'un efprit conciliant, qui lui avait attiré la bienveillance de Charles et l'amitié de tous les Suédois. Le roi entra en conférence avec lui; mais ce fut pour lui dire qu'il ne partirait que

quand Achmet lui aurait accordé deux chofes, la punition de fon grand vifir, et cent mille hommes pour retourner en Pologne.

Baltagi Mehemet fentait bien que Charles restait en Turquie pour le perdre; il eut foin de faire mettre des gardes fur toutes les routes de Bender à Conftantinople, pour intercepter les lettres du roi. Il fit plus; il lui retrancha fon thaïm, c'est-à-dire, la provifion que la Porte fournit aux princes à qui elle accorde un afile. Celle du roi de Suède était immense, confiftant en cinq cents écus par jour en argent, et dans une provifion de tout ce qui peut contribuer à l'entretien d'une cour dans la fplendeur et dans l'abondance.

Dès que le roi fut fa fubfiftance, il fe d'hôtel, et lui dit :

que le vifir avait ofé retrancher tourna vers fon grand maîtreVous n'avez eu que deux tables ,, jufqu'à préfent, je vous ordonne d'en tenir quatre, ,, dès demain. "

Les officiers de Charles XII étaient accoutumés à ne trouver rien d'impoffible de ce qu'il ordonnait : cependant on n'avait ni provifions ni argent; on fut obligé d'emprunter à vingt, à trente, à quarante pour cent, des officiers, des domestiques et des janiffaires devenus riches par les profufions du roi. M. Fabrice, l'envoyé de Holftein, Jeffreys, miniftre d'Angleterre, leurs fecrétaires, leurs amis, donnèrent ce qu'ils avaient. Le roi, avec fa fierté ordinaire et fans inquiétude du lendemain, fubfiftait de ces dons qui n'auraient pas fuffi long-temps. Il fallut tromper la vigilance des gardes, et envoyer fecrètement à

Conftantinople pour emprunter de l'argent des négocians europeans. Tous refusèrent d'en prêter à un roi qui femblait s'être mis hors d'état de jamais rendre. Un feul marchand anglais, nommé Couk, ofa enfin prêter environ quarante mille écus, fatisfait de les perdre fi le roi de Suède venait à mourir. On apporta cet argent au petit camp du roi, dans le temps qu'on commençait à manquer de tout, et à ne plus efpérer de reffource.

Dans cet intervalle, M. Poniatowski écrivit du camp même du grand vifir, une relation de la campagne du Pruth, dans laquelle il accufait Ballagi Mehemet de lâcheté et de perfidie. Un vieux janiffaire, indigné de la faibleffe du vifir, et de plus gagné par les préfens de Poniatowski, se chargea de cette relation; et ayant obtenu un congé, il préfenta lui-même la lettre au fultan.

Poniatowski partit du camp quelques jours après, et alla à la Porte ottomane former des intrigues contre le grand vifir felon fa coutume.

Les circonftances étaient favorables: le czar en liberté ne se pressait pas d'accompli fes promeffes: les clefs d'Azoph ne venaient point; le grand vifir qui en était responsable, craignant avec raison l'indignation de fon maître, n'ofait s'aller préfenter devant lui.

Le férail était alors plus rempli que jamais d'ine trigues et de factions. Ces cabales que l'on voit dans toutes les cours, et qui fe terminent d'ordinaire dans les nôtres par quelque déplacement de miniftre, ou tout au plus par quelque exil, font toujours tomber à Conftantinople plus d'une tête ; il en coûta la vie

« PreviousContinue »