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avec vous, Monfieur, au fujet de votre admirable paffage de l'Omer; mais j'en croirai plus le général allemand, qui a dû tout favoir, que l'officier fuédois qui n'en a pu favoir qu'une partie.

Je réformerai mon histoire fur les mémoires de votre excellence et fur ceux de cet officier. J'attends encore un extrait de l'hiftoire fuédoife de Charles XII, écrite par M. Norberg, chapelain de ce monarque.

J'ai peur, à la vérité, que le chapelain n'ait quelquefois vu les chofes avec d'autres yeux que les ministres qui m'ont fourni mes matériaux. J'eftimerai fon zèle pour fon maître; mais moi qui n'ai été chapelain ni du roi ni du czar; mais moi qui n'ai songé qu'à dire vrai, j'avouerai toujours que l'opiniâtreté de Charles XII à Bender, son obstination à rester dix mois au lit, et beaucoup de fes démarches après la malheureuse bataille de Pultava me paraiffent des aventures plus extraordinaires qu'héroïques.

Si l'on peut rendre l'histoire utile, c'eft, ce me femble, en fefant remarquer le bien et le mal que les rois ont fait aux hommes. Je crois, par exemple, que fi Charles XII, après avoir vaincu le Danemarck, battu les Moscovites, détrôné son ennemi Augufte, affermi le nouveau

roi de Pologne, avait accordé la paix au czar qui la lui demandait, s'il était retourné chez lui vainqueur et pacificateur du Nord; s'il s'était appliqué à faire fleurir les arts et le commerce dans fa patrie, il aurait été alors véritablement un grand homme; au lieu qu'il n'a été qu'un grand guerrier, vaincu à la fin par un prince qu'il n'eftimait pas. Il eût été à fouhaiter pour le bonheur des hommes que Pierre le grand eût été quelquefois moins cruel, et Charles XII moins opiniâtre.

Je préfère infiniment à l'un et à l'autre un prince qui regarde l'humanité comme la pre mière des vertus, qui ne fe prépare à la guerre que par néceffité, qui aime la paix parce qu'il aime les hommes, qui encourage tous les arts, et qui veut être, en un mot, un fage fur le trône : voilà mon héros, Monfieur. Ne croyez pas que ce foit un être de raison; ce héros existe peut-être dans la perfonne d'un jeune roi, dont la réputation viendra bientôt jusqu'à vous; vous verrez fi elle me démentira; il mérite des généraux tels que vous. C'est de tels rois qu'il eft agréable d'écrire l'histoire : car alors on écrit celle du bonheur des hommes.

Mais fi vous examinez le fond du journal de M. Adlerfeld, qu'y trouverez-vous autre chose, finon lundi 3 avril il y a eu tant de

milliers d'hommes égorgés dans un tel champ : le mardi, des villages entiers furent réduits en cendres, et les femmes furent confumées par les flammes avec les enfans qu'elles tenaient dans leurs bras : le jeudi, on écrasa de mille bombes les maisons d'une ville libre et innocente, qui n'avait pas payé comptant cent mille écus à un vainqueur étranger qui passait auprès de ses murailles : le vendredi, quinze ou feize cents prisonniers périrent de froid et de faim. Voilà à peu-près le fujet de quatre

volumes.

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N'avez-vous pas fait réflexion fouvent M. le maréchal, que votre illuftre métier est encore plus affreux que néceffaire? Je vois que M. Adlerfeld déguife quelquefois des cruautés, qui en effet devraient être oubliées, pour n'être jamais imitées. On m'a affuré, par exemple, qu'à la bataille de Frauenftadt, le maréchal Renfchild fit maffacrer de fang-froid douze ou quinze cents mofcovites qui demandaient la vie à genoux, fix heures après la bataille ; il prétend qu'il n'y en eut que fix cents, encore ne furent-ils tués qu'immédiatement après l'action. Vous devez le favoir, Monfieur; vous aviez fait les difpofitions admirées des Suédois même à cette journée malheureuse: ayez donc la bonté de me dire la vérité, que j'aime autant que votre gloire.

16 LETTRE A M. DE SCHULLEMBOURG.

J'attends avec une extrême impatience le refte des inftructions dont vous voudrez bien m'honorer : permettez-moi de vous demander ce que vous pensez de la marche de Charles XII en Ukraine, de fa retraite en Turquie, de la mort de Patkul. Vous pouvez dicter à un fecrétaire bien des chofes, qui ferviront à faire connaître des vérités dont le public vous aura obligation. C'eft à vous, Monfieur, à lui donner des inftructions, en récompense de l'admiration qu'il a pour vous.

Je fuis avec les fentimens de la plus refpectueuse estime, et avec des vœux fincères pour la confervation d'une vie que vous avez fi fouvent prodiguée,

MONSIEUR,

DE VOTRE EXCELLENCE,

Le très-humble et trèsobéiffant ferviteur, V.

En finiffant ma lettre, j'apprends qu'on imprime à la Haie la traduction française de l'hifloire de Charles XII, écrite en fuédois par M. Norberg; ce fera pour moi une

nouvelle palette (*) dans laquelle je tremperai les pinceaux

dont il me faudra repeindre mon tableau.

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(*) La palette n'a pu fervir. On fait que l'hiftoire de Charles XII par Norberg n'eft, jufqu'en 1709, qu'un amas indigefte de faits mal rapportés, et depuis 1709 qu'une copie de l'hiftoire compofée par M. de Voltaire.

LETTRE

A M.

NORBERG,

Chapelain du roi de Suède, CHARLES XII, et auteur d'une hiftoire de ce monarque.

SOUFFREZ, Monfieur, qu'ayant entrepris la tâche de lire ce qu'on a déjà publié de votre hiftoire de Charles XII, on vous adreffe quelques juftes plaintes, et fur la manière dont vous traitez cette hiftoire, et fur celle dont vous en ufez dans votre préface avec ceux qui l'ont traitée avant vous.

Nous aimons la vérité; mais l'ancien proverbe, toutes vérités ne font pas bonnes à dire, regarde fur-tout les vérités inutiles. Daignez vous fouvenir de ce paffage de la préface de l'hiftoire de M. de Voltaire. L'histoire d'un prince, dit-il, n'eft pas tout ce qu'il a fait, mais feulement ce qu'il a fait de digne d'être tranfmis à la postérité.

Il y a peut-être des lecteurs qui aimeront à voir le catéchifme qu'on enfeignait à Charles XII, et qui apprendront avec plaifir qu'en 1693 le docteur Pierre Rudbekius donna le bonnet de docteur au maître-ès-arts Aquinus, à Samuel Virenius, à Ennegius, à Herlandus, à Stukius, et autres personnages très-eftimables, fans doute, Hift. de Charles XII.

B

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